D2023-03-014

Plaignante

Noémie Beaudoin

Mis en cause

Mathieu Bock-Côté, chroniqueur

Le Journal de Montréal

Le Journal de Québec

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 7 mars 2023

Date de la décision

Le 23 février 2024

Résumé de la plainte

Noémie Beaudoin dépose une plainte le 7 mars 2023 au sujet de la chronique « Je suis pour une mode genrée », de Mathieu Bock-Côté, publiée le 6 mars 2023 sur le site internet du Journal de Montréal et du Journal de Québec. La plaignante déplore de la discrimination.

Contexte

Dans la chronique visée par la plainte, Mathieu-Bock-Côté explique qu’il vient de lire plusieurs articles sur la Semaine de la mode automne-hiver de Paris 2023-2024, qui se terminait au moment de la publication de son texte. Il constate que les créateurs de cette industrie mettent de l’avant une mode non genrée et estime que « Les grands créateurs de mode ont joué un rôle dans la déconstruction des sexes ». Selon lui, l’homme et la femme s’habillent différemment parce que leurs corps ne sont pas « interchangeables » et « ne se mettent pas en valeur de la même manière ».

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs de la plaignante

Grief 1 : discrimination

Principe déontologique applicable

Discrimination : «  (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)

1.1 Choisir son genre

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a tenu des propos discriminatoires qui tendent à entretenir le préjugé que la communauté trans et non binaire voudrait « effacer les sexes », comme l’allègue la plaignante, dans le passage suivant :

« D’ailleurs, ne cherche-t-on pas à nous faire croire que chacun, aujourd’hui, peut choisir son genre, comme si la nature n’avait rien à voir avec cela? »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de discrimination.

Analyse

La plaignante affirme que l’extrait est discriminatoire « envers la communauté trans, s’attaquant directement au genre qui peut être déconstruit puisqu’il est une construction sociale et non un fait biologique ». Selon elle, le passage est également discriminatoire parce qu’il associe « les termes sexe et genre dans un même lot ».

Elle soutient que « les propos tenus entretiennent les préjugés [envers] la communauté trans et non binaire, comme quoi ceux-ci voudraient effacer les sexes, ce qui viendrait, par exemple, à effacer les expériences des gens cis, ce qui n’est pas du tout vrai ».

Le chroniqueur et le média n’ont pas répondu à la plainte.

Bien que la plaignante estime que les propos du chroniqueur sont discriminatoires envers la communauté trans et non binaire, ce dernier ne mentionne nulle part dans sa chronique les personnes trans ou non binaires. La plaignante affirme également que le chroniqueur associe «les termes sexe et genre dans un même lot ». Or, le terme « sexe » ne se retrouve pas dans le passage visé par la plainte.

La plaignante interprète ici à sa façon les propos du chroniqueur, qui bénéficie d’une grande latitude dans la présentation de son point de vue. Même si ce qu’elle a ressenti peut être bien réel, ce qu’elle allègue en matière de discrimination ne se retrouve ni dans le passage visé par la plainte, ni ailleurs dans la chronique.

Dans le dossier D2019-05-078, le plaignant affirmait que les propos du chroniqueur étaient discriminatoires et qu’ils suscitaient la haine ainsi que le mépris, et entretenaient les préjugés envers les musulmans. Le passage visé était le suivant : « Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité. C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives. On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité. » Comme dans le cas présent, le Conseil avait rejeté le grief de discrimination en soulignant que le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur. Il avait déterminé que « la chronique ne comporte ni termes ni représentations discriminatoires qui tendent à susciter la haine ou le mépris ou à entretenir les préjugés envers les musulmans. Le chroniqueur y étaye son opinion au sujet de l’évolution des religions, sans dépasser les limites déontologiques permises au journaliste d’opinion. »

Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’un sujet est sensible et qu’il peut heurter des personnes que les médias d’information doivent s’empêcher de présenter des points de vue divergents. Dans la décision D2020-07-098 (2), maintenue en appel, le plaignant estimait que le texte entretenait des préjugés et de la haine contre les personnes trans. Le texte mis en cause était une contribution du public qui revenait sur la controverse impliquant l’autrice J.K. Rowling et ses sorties dites « transphobes » sur les médias sociaux. Le plaignant affirmait que le texte était transphobe en raison de l’utilisation d’un « vocabulaire désuet », visant entre autres les expressions « vraies femmes », « hommes transformés en femmes » et « biologie des femmes ». Le Conseil avait rejeté le grief de discrimination tout en rappelant que « la déontologie journalistique n’interdit pas la publication de propos controversés, car la diversité d’opinions est essentielle pour enrichir les débats et servir l’intérêt public ».

Ce rappel est valable aussi dans le cas présent, où la plaignante est en désaccord avec un passage de la chronique. Puisque ce qu’elle reproche au chroniqueur en matière de discrimination, soit le préjugé qu’elle avance selon lequel la communauté trans et non binaire voudrait « effacer les sexes » ne se retrouve pas dans le texte, mais tient plutôt de son interprétation, le Conseil rejette le grief de discrimination.

1.2 Les sexes existent

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a tenu des propos discriminatoires qui tendent à susciter le mépris envers les personnes trans et non binaires, comme l’allègue la plaignante, dans le passage suivant :

« Et pourtant, les sexes existent […] Si l’homme et la femme ne s’habillent pas de la même manière, c’est que les corps féminins et masculins ne sont pas interchangeables. »

Décision

Le Conseil rejette le grief de discrimination.

Analyse 

La plaignante affirme que « ce passage laisse entrevoir de manière claire une discrimination envers la communauté [trans] et non binaire, en somme de la transphobie et de la discrimination envers les gens non binaires. L’argument que les sexes existent est un faux argument en soi, il n’a jamais été question pour les trans de sexe, un facteur biologique, mais de genre, une construction sociale. Cet argument est malheureusement [surutilisé] dans les discours transphobes qui tentent de se cacher de leur discrimination. »

La plaignante soutient que les propos « erronés » du chroniqueur selon lesquels les corps ne seraient pas interchangeables « viennent ensuite peindre une version distordue et fausse des droits que réclame le groupe marginalisé qui incite à leur mépris ».

Le chroniqueur ne mentionne nulle part dans son texte les personnes trans ou non binaires. Le texte porte sur les nouvelles tendances en mode. Le chroniqueur soutient que la mode devient de plus en plus androgyne et non genrée. Il estime que les créateurs, en suivant cette tendance, font fausse route. Aucun terme précis ne suscite la haine ou le mépris envers les personnes trans ou non binaires, qui ne font pas l’objet de cette chronique.

Encore une fois, la plaignante interprète les propos du chroniqueur. Ce qu’elle allègue ne se retrouve ni dans le passage visé par la plainte, ni dans la chronique intégrale. On peut être en désaccord avec les propos du chroniqueur, mais rien dans le texte ne peut être assimilé à du mépris ou de la haine envers les personnes trans et non binaires.

Comme expliqué au grief précédent, les décisions du Conseil dans les dossiers D2019-05-078 et D2020-07-098 (2) mettent en lumière des principes qui s’appliquent aussi dans le cas présent. Dans le premier, le Conseil avait rejeté le grief de discrimination parce le plaignant avait interprété les propos du chroniqueur et que « la chronique ne comporte ni termes ni représentations discriminatoires qui tendent à susciter la haine ou le mépris ». Dans le second, le Conseil avait rejeté le grief en rappelant que « la déontologie journalistique n’interdit pas la publication de propos controversés, car la diversité d’opinions est essentielle pour enrichir les débats et servir l’intérêt public ».

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Noémie Beaudoin visant la chronique « Je suis pour une mode genrée » de Mathieu Bock-Côté, publiée le 6 mars 2023 sur les sites Web du Journal de Montréal et du Journal de Québec, concernant les griefs de discrimination.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes

Charles-Éric Lavery

Représentantes des journalistes

Sylvie Fournier

Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse

Stéphan Frappier

Jean-Philippe Pineault