D2023-03-016

Plaignant

Jean Hudon

Mis en cause

Patrick Masbourian, animateur

Émission « Tout un matin » 

ICI Première (95,1 FM)

Radio-Canada

Date de dépôt de la plainte

Le 13 mars 2023

Date de la décision

Le 23 février 2024

Résumé de la plainte

Jean Hudon dépose une plainte le 13 mars 2023 contre l’émission radiophonique « Tout un matin » et l’animateur Patrick Masbourian au sujet des entrevues avec les candidats à l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne Guillaume Cliche-Rivard (Québec solidaire) et Christopher Baenninger (Parti libéral du Québec), diffusées sur les ondes d’ICI Première les 7 et 10 mars 2023. Le plaignant déplore un manque d’équilibre. 

Contexte

Au moment de la diffusion des deux entrevues visées par cette plainte, nous sommes à moins d’une semaine d’une élection partielle dans la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne, déclenchée à la suite de la démission de Dominique Anglade à titre de députée et cheffe du Parti libéral du Québec, en décembre 2022.

Cette circonscription du Sud-Ouest de Montréal est considérée historiquement comme un bastion libéral. Un total de 11 candidats figurent sur le bulletin de vote pour cette élection partielle, soit Guillaume Cliche-Rivard, de Québec solidaire (QS); Christopher Baenninger, du Parti libéral du Québec (PLQ); Victor Pelletier, de la Coalition avenir Québec (CAQ); Andréanne Fiola, du Parti québécois (PQ); Lucien Koty, du Parti conservateur du Québec (PCQ); Jean-Pierre Dubord, du Parti vert du Québec (PVQ); Ian Denman, du Parti canadien du Québec; Jean-François Racine, de Climat Québec; Jean-Charles Cléroux, de Démocratie directe; Shawn Lalande McLean, du Parti accès propriété et équité; ainsi que Beverly Bernardo, candidate indépendante.

Dans les jours précédant le scrutin, prévu le 13 mars 2023, Patrick Masbourian, animateur de l’émission d’information matinale « Tout un matin » diffusée à la radio de Radio-Canada, interviewe les candidats des deux partis qui ont récolté le plus de votes dans cette circonscription aux élections générales de 2022, le PLQ et QS. Le candidat de QS, Guillaume Cliche-Rivard, est interviewé le 7 mars et le candidat du PLQ, Christopher Baenninger, le 10 mars. Les autres candidats ne sont pas interviewés au micro de « Tout un matin ».

Grief du plaignant

Grief 1 : manque d’équilibre

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence dans leur couverture de l’élection partielle du 13 mars 2023 dans la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne en n’interviewant que les candidats de Québec solidaire et du Parti libéral du Québec.

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de manque d’équilibre.

Analyse

Le plaignant déplore : « Seuls deux candidats (QS et PLQ) ont eu droit à 10 minutes d’entrevue. Sous prétexte d’une “lutte à deux”, rien pour le PQ ou la CAQ. »

La représentante de Radio-Canada, Maxime Bertrand, rétorque : « D’entrée de jeu, permettez-nous de préciser que le contexte d’une élection partielle est différent de celui d’une élection générale. Comme les auditeurs qui vont exercer leur droit de vote ne représentent qu’une très petite partie de notre auditoire, le temps que nous pouvons consacrer à sa couverture est limité et force nos équipes à faire des choix. »

Mme Bertrand poursuit en expliquant les paramètres éditoriaux qui ont guidé les décisions du média. « Dans le cas de “Tout un matin”, la décision a été prise de cibler les deux seuls partis qui, selon les résultats des dernières élections générales, les projections de la plateforme Qc 125 et les analyses des observateurs de la scène politique, avaient des chances de l’emporter. Voilà pourquoi l’équipe a choisi de recevoir le représentant de Québec solidaire, Guillaume Cliche-Rivard, et le candidat du Parti libéral du Québec, Christopher Baenninger. »

Elle précise que « cette lecture de la situation n’était pas unique à “Tout un matin”, ni à Radio-Canada, la lutte à deux était documentée dans différents médias ». Mme Bertrand appuie cette affirmation sur plusieurs articles et analyses publiés dans La Presse et Le Devoir qui faisaient la même lecture de la situation dans cette circonscription du Sud-Ouest de Montréal.

La représentante de Radio-Canada ajoute : « Nous tenons à ajouter que ce choix éditorial a été fait en toute transparence et que l’animateur, Patrick Masbourian, l’a expliqué aux auditeurs le 10 mars. Ainsi, les auditeurs disposaient de toute l’information et comprenaient que d’autres candidats, qu’il a nommés, se présentaient à cette élection partielle. En ondes, le 10 mars 2023, Patrick Masbourian affirme ceci : 

“On a reçu M. Cliche-Rivard plus tôt cette semaine, on reçoit M. Baenninger d’ici la fin de l’émission, il sera avec nous après le radiojournal de 8 h. Les deux principaux candidats, je dirais, dans cette circonscription qui s’affrontent, voilà pourquoi ce sont les deux qu’on reçoit cette semaine.” »

Mme Bertrand mentionne également que « […] lors de ce même épisode, la chronique politique du chef de bureau de Radio-Canada à l’Assemblée nationale, Sébastien Bovet, présentait une analyse en mentionnant les quatre partis représentés à l’Assemblée nationale ».

« De manière générale, la recherche de l’équilibre est d’une grande importance et cela doit s’apprécier dans la durée, sur l’ensemble de la couverture, non seulement sur un seul reportage ou une seule émission », souligne Mme Bertrand.

Elle affirme de plus : « Puisque la plainte vise “Tout un matin”, intéressons-nous à quelques exemples tirés de cette émission. Le matin du 13 mars, Sébastien Bovet a consacré les neuf minutes de sa chronique à l’analyse du congrès du Parti québécois tenu la fin de semaine précédente. Toujours le lundi 13 mars, le congrès du PQ était le sujet de discussion du duo de collaborateurs formé par l’ancien chef de ce même parti, Jean-François Lisée, et l’ancien chef des communications de Stephen Harper, Dimitri Soudas. D’ailleurs, nous tenons à souligner que M. Lisée fait partie des collaborateurs réguliers de l’émission, il est présent tous les lundis. »

Enfin, Mme Bertrand mentionne l’analyse politique de l’élection partielle dans la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne présentée par le chef de bureau de Radio-Canada à l’Assemblée nationale, Sébastien Bovet, plus tard dans l’émission « Tout un matin » du 10 mars 2023, de même que d’autres émissions d’ICI Première dans lesquelles ont été présentées des entrevues et des analyses politiques en lien avec cette élection partielle.

Selon le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, le principe d’équilibre consiste à présenter, dans le traitement d’un sujet, une juste pondération du point de vue des parties en présence. Lors de l’analyse d’un grief de manque d’équilibre, la première étape consiste à établir l’angle de traitement du sujet. En se basant sur cet angle de traitement, il faut ensuite déterminer quelles sont les parties en présence et si une juste pondération de leurs points de vue a été présentée.

En ce qui a trait au principe d’équilibre dans un contexte électoral, la décision antérieure D2016-02-090, dans laquelle un grief de manque d’équilibre a été rejeté, a établi qu’« en vertu de la liberté éditoriale dont ils disposent, les mis en cause pouvaient choisir de présenter uniquement les programmes des partis aspirant à prendre le pouvoir » dans la mesure où « cet angle de traitement était […] clairement exposé ».

De la même manière, dans le cas qui nous occupe, l’angle de traitement du sujet a été exposé clairement par l’animateur Patrick Masbourian à divers moments. Cet angle était qu’il s’agissait d’une « lutte à deux » entre les deux seuls partis qui pouvaient réellement aspirer au pouvoir dans la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne, soit Québec solidaire et le Parti libéral du Québec. Les propos de Patrick Masbourian cités plus haut par la représentante de Radio-Canada, de même que les trois extraits de l’émission « Tout un matin » retranscrits ci-dessous, démontrent que cet angle de traitement a été expliqué aux auditeurs de façon non équivoque.

Introduction à l’entrevue du 7 mars 2023 avec Guillaume Cliche-Rivard :

Patrick Masbourian : « C’est la circonscription laissée vacante par le départ de l’ancienne députée, qui était par le fait même l’ancienne cheffe du Parti libéral du Québec, Mme Dominique Anglade. Elle a quitté son poste quelques semaines après l’élection générale du 3 octobre dernier. Et celui qui espère ravir cette circonscription aux libéraux, c’est le candidat de Québec solidaire, Guillaume Cliche-Rivard. Il était d’ailleurs candidat le 3 octobre dernier. Il est avec nous en studio, puisqu’on voulait parler aux candidats… à quelques-uns des candidats, dans ce sprint électoral qui commence aujourd’hui. »

Introduction à l’entrevue du 10 mars 2023 avec Christopher Baenninger :

Patrick Masbourian : « Je vous le disais, on a mis la table un peu plus tôt ce matin concernant l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne. Le jour du vote, c’est lundi prochain, lundi le 13 mars, et la course, ben, elle est clairement entre le candidat libéral et le candidat solidaire. Ce sont les deux à qui on a décidé de parler lors du sprint final de cette semaine. »

Conclusion à l’entrevue du 10 mars 2023 avec Christopher Baenninger :

Patrick Masbourian : « Christopher Baenninger est le candidat libéral dans Saint-Henri–Sainte-Anne. L’élection a lieu lundi. Je vous le disais, ça se joue entre lui et Guillaume Cliche-Rivard de Québec solidaire, c’est assez clair, n’en déplaise aux autres candidats. Mais quand même, ils sont dans la course, et je vous informe que… ou rappelle que c’est Victor Pelletier qui représente la Coalition avenir Québec; Andréanne Fiola, le Parti québécois; et Lucien Koty, le Parti conservateur du Québec. Voilà pour cette partielle, élection lundi, et si vous nous écoutez de là, ben s’il vous plaît, allez voter. Merci et bonne chance. »

Considérant que l’angle de traitement adopté à l’émission « Tout un matin » dans la couverture de l’élection partielle dans Saint-Henri–Sainte-Anne était cette « lutte à deux » entre QS et le PLQ, les parties en présence étaient donc les candidats de ces deux partis, Guillaume Cliche-Rivard et Christopher Baenninger. Par conséquent, le PQ et la CAQ ne constituaient pas des parties en présence dans le cadre de cet angle de la lutte à deux et leur point de vue n’avait pas à être présenté, contrairement à ce qu’allègue le plaignant. Radio-Canada n’a donc pas manqué à son devoir déontologique de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence.

On ne pourrait pas s’attendre, dans une émission de radio généraliste où le temps est limité et les sujets sont nombreux, à ce qu’on donne la parole à tous les partis politiques qui se présentent à une élection partielle. Avec 11 partis dans la course, une telle chose serait impensable. Mais alors, où tracer la ligne de ceux à qui on donne la parole? Faut-il au moins la moitié des partis? Doit-on interviewer tous les partis représentés à l’Assemblée nationale (ce qu’avance le plaignant)? Faut-il, par exemple, absolument inclure le parti au pouvoir (la CAQ dans ce cas-ci)? Les deux ou trois partis qui ont fini en tête lors des dernières élections? La déontologie n’impose pas de telles règles quantitatives et laisse aux médias la liberté éditoriale de faire des choix selon l’angle de traitement du sujet. 

Cela dit, bien que la couverture d’une élection nécessite de faire certains choix – en particulier dans le cadre d’une émission d’information généraliste comme « Tout un matin » –, il est important que ceux-ci ne soient pas arbitraires, tel que le rappelle la décision antérieure D2012-08-012, dans laquelle le Conseil a rejeté un grief de manque d’équilibre visant l’exclusion des chefs de tiers partis (Option nationale et Québec solidaire) représentés à l’Assemblée nationale lors des débats électoraux. À cette occasion, le Conseil avait fait valoir : « S’il est toujours délicat d’exclure des chefs de partis politiques d’un exercice aussi important, pour les électeurs, que le débat des chefs, il n’en demeure pas moins qu’une sélection est inévitable, étant donné le nombre de partis officiellement enregistrés. Dans les circonstances, il importe donc que les critères retenus pour établir cette sélection ne soient pas arbitraires. En recherchant une couverture équilibrée lors d’une campagne électorale, les médias ne sont pas tenus d’accorder un traitement égal à tous les acteurs politiques, mais peuvent plutôt appliquer un critère de proportionnalité, basé sur l’importance relative des différents acteurs politiques, qui respecte ainsi l’intégrité du processus démocratique. Ainsi, le Conseil juge que le fait d’avoir invité les quatre (ou les trois, dans le cas des débats présentés à TVA, ce qui s’explique par le choix d’une formule différente – celle des face-à-face) principaux partis au débat des chefs respectait les principes d’équité et de justice. »

En somme, puisque l’angle de traitement du sujet – qui relève de la liberté éditoriale du média – a été clairement exposé à plusieurs reprises par l’animateur Patrick Masbourian et que seuls les candidats de QS et du PLQ constituaient des parties en présence dans le cadre de cet angle, le média n’a pas manqué au respect du principe d’équilibre tel que décrit dans le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse. Le grief de manque d’équilibre est donc rejeté.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Jean Hudon visant les entrevues de l’animateur Patrick Masbourian à l’émission « Tout un matin » avec les candidats Guillaume Cliche-Rivard (QS) et Christopher Baenninger (PLQ), diffusées respectivement les 7 et 10 mars 2023 sur les ondes d’ICI Première, concernant le grief de manque d’équilibre.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes

Charles-Éric Lavery

Représentants des journalistes

Stéphane Baillargeon

Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse

Stéphan Frappier

Jean-Philippe Pineault