D2023-07-051

Plaignant

François Gosselin Couillard

Mis en cause

Christian Rioux, chroniqueur

Le quotidien Le Devoir

Date de dépôt de la plainte

Le 17 juillet 2023

Date de la décision

Le 22 mars 2024

Résumé de la plainte

François Gosselin Couillard dépose une plainte le 17 juillet 2023 au sujet de la chronique « Solitude française », du chroniqueur Christian Rioux, publiée dans Le Devoir le 14 juillet 2023. Le plaignant déplore de l’information inexacte et de la discrimination. 

Contexte

Dans cette chronique, le correspondant du Devoir à Paris décrit le climat tendu dans lequel se déroule la Fête nationale des Français, alors que la France vient de vivre huit nuits d’émeutes à la suite de la mort de Nahel Merzouk, un Franco-Algérien de 17 ans tiré à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier, le 27 juin 2023. Dans les jours suivant la mort du jeune homme, des bâtiments publics, des voitures de police, des rames de tramway et du mobilier urbain ont notamment été incendiés, des magasins ont été pillés et des tirs de mortier ont visé des édifices municipaux. Ces émeutes ont nécessité une forte mobilisation des forces de l’ordre, à travers tout le pays. Certaines villes ont instauré un couvre-feu pour tenter de contenir les violences. Dans ce contexte, des effectifs supplémentaires ont été déployés pour encadrer les festivités du 14 juillet. 

Dans la chronique visée par la plainte, Christian Rioux réagit aux émeutes en affirmant que « la nation française est aujourd’hui menacée de l’intérieur comme de l’extérieur » . À ce sujet, il déplore le « déni qui caractérise encore les élites françaises » qui ne veulent pas, selon lui, admettre ce qu’il décrit comme un échec de la politique migratoire.

Le chroniqueur constate : « Par la simple et imparable loi du nombre, les Français ont vu s’installer aux portes de leurs villes grandes et moyennes une autre civilisation. Un monde parallèle où les jeunes hommes ont tous les droits et où les plus forts font la loi, alors que la majorité, qui est pourtant la première à souffrir de ces exactions, est réduite au silence par le poids du communautarisme. Un monde où les mères – et les femmes en général – sont reléguées à la marge et n’ont aucune autorité sur leurs fils, qui grandissent le plus souvent sans père et dans l’impunité. »

Il poursuit : « Comme l’expliquait au Figaro l’ancien directeur de la direction générale de la Sécurité extérieure, Pierre Brochand, “cette explosion est le résultat de décennies d’aveuglement et de propagande envers une immigration de peuplement dont on n’a jamais mesuré les conséquences.” Résultat; les flux massifs ont annihilé toute politique d’intégration digne de ce nom, malgré les milliards consacrés dans ces quartiers à la rénovation urbaine, aux exonérations d’impôt des entreprises et à l’école, où les ratios des petites classes ont été réduits de moitié. »

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs du plaignant

Grief 1 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a transmis de l’information inexacte dans le passage souligné de l’extrait suivant : 

« Comme l’expliquait au Figaro l’ancien directeur de la direction générale de la Sécurité extérieure, Pierre Brochand, “cette explosion est le résultat de décennies d’aveuglement et de propagande envers une immigration de peuplement dont on n’a jamais mesuré les conséquences.” Résultat; les flux massifs ont annihilé toute politique d’intégration digne de ce nom, malgré les milliards consacrés dans ces quartiers à la rénovation urbaine, aux exonérations d’impôt des entreprises et à l’école, où les ratios des petites classes ont été réduits de moitié. » 

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte.

Analyse

Le plaignant affirme : « [Christian] Rioux dit que les quartiers populaires ont été inondés de généreux subsides de l’État. Sauf que c’est faux. »

La rédactrice en chef du Devoir, Marie-Andrée Chouinard, indique : « Les milliards investis par le gouvernement français dans les banlieues françaises ont été largement documentés. » Le chroniqueur Christian Rioux précise : « On peut s’interroger sur la façon dont ces milliards ont été utilisés, mais peu de pays ont consacré de telles sommes à la rénovation urbaine, au logement social, à l’aide familiale, aux écoles des milieux défavorisés et même à la création d’entreprises (par la création de zones franches dans les banlieues). La France en est d’ailleurs à son 12e plan banlieue. Citons notamment la création des Zones d’éducation prioritaire (ZEP) en 1981 et le plan Borloo de rénovation urbaine en 2005. Emmanuel Macron a lui-même été élu sur un programme qui promettait de couper de moitié les ratios des classes du primaire dans ces zones situées en banlieue appelées Réseaux d’éducation prioritaires (REP). »

Dans sa réponse au Conseil, Le Devoir mentionne plusieurs articles qui décrivent les sommes investies dans les banlieues au fil des années. M. Rioux pointe l’article « À quoi ont servi les milliards d’euros des plans pour les banlieues? », publié le 4 juillet 2023 sur le site de BFMTV, dans lequel on indique : « Depuis 1977, la France a connu douze plans à destination des quartiers populaires et y a investi près de 100 milliards d’euros. »

Le plaignant indique dans ses commentaires à la réponse du Devoir que Christian Rioux « induit son public en erreur. Il lui laisse entendre que les quartiers populaires croulent sous les subsides de l’État et donc que ses habitant-e-s sont les seuls responsables de la dégradation du système public dans leur quartier. » Il ajoute : « Que l’État français ait investi dans les banlieues ne signifie pas que cet argent répondait aux besoins en quantité suffisante. On peut douter que non. Il y a, sans aucun doute, plusieurs autres enjeux à prendre en compte. »

À la lecture de la chronique, on constate qu’il n’y a pas d’information inexacte dans l’extrait visé. Le plaignant et le chroniqueur ont simplement des perspectives différentes.

En effet, alors que le plaignant affirme qu’il est faux de dire « que les quartiers populaires ont été inondés de généreux subsides de l’État », car selon lui, le fait « que l’État français ait investi dans les banlieues ne signifie pas que cet argent répondait aux besoins en quantité suffisante », on constate que le chroniqueur se limite à rapporter un fait concernant les sommes investies dans les banlieues lorsqu’il écrit : « Résultat; les flux massifs [d’immigration] ont annihilé toute politique d’intégration digne de ce nom, malgré les milliards consacrés dans ces quartiers à la rénovation urbaine, aux exonérations d’impôt des entreprises et à l’école, où les ratios des petites classes ont été réduits de moitié. »

Dans ce passage, Christian Rioux ne fait que rappeler que des « milliards » ont été investis dans les banlieues. Il ne juge pas les résultats de cet investissement ou leur bien-fondé. 

Peu importe les sources et les façons de calculer les montants accordés pour les différents plans destinés aux banlieues, il ne fait aucun doute que des milliards d’euros ont été investis. Il n’est donc pas inexact de parler de « milliards consacrés dans ces quartiers à la rénovation urbaine, aux exonérations d’impôt des entreprises et à l’école ».

Afin de déterminer s’il y a eu inexactitude, il faut s’en tenir aux propos du journaliste, « c’est-à-dire aux faits évoqués et non à l’interprétation qu’on peut en faire », rappelle le Conseil dans la décision antérieure D2022-01-034. Dans ce dossier, le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte en faisant valoir que « l’inexactitude alléguée ici relève de l’interprétation que fait le plaignant des propos de la chroniqueuse concernant les causes de la diminution du nombre de lits d’hospitalisation au Québec. Le plaignant n’est pas d’accord avec l’analyse de la chroniqueuse. »

De la même manière, dans le cas présent, l’analyse doit se limiter au contenu de la chronique et non à l’interprétation que le plaignant en fait. Ainsi, bien que le plaignant soit en désaccord avec l’opinion du chroniqueur, le passage visé par la plainte ne comporte pas d’information inexacte.

Grief 2 : discrimination

Principe déontologique applicable

Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)

2.1 « Djihadistes » et « vandales »

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur s’est abstenu d’utiliser, à l’endroit des « jeunes arabo-musulmans des banlieues », des représentations ou des termes qui tendent, sur la base de leur origine ethnique, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés dans le passage suivant :

« En 2015, les djihadistes s’en étaient pris aux symboles mêmes de la civilité française en assassinant de simples Français attablés aux terrasses des cafés. Les dizaines de milliers de vandales qui ont enflammé les banlieues il y a deux semaines à peine ont eux aussi visé la France au cœur en prenant pour cible les symboles mêmes de l’État et de son idéal social : des écoles, des bibliothèques, des garderies… »

Décision

Le Conseil retient le grief de discrimination pour entretien de préjugés sur ce point. 

Analyse 

Le plaignant considère que le passage ci-dessus de la chronique est discriminatoire envers « les jeunes des banlieues parce qu’issus de l’immigration arabo-musulmane ». Il estime que le terme « vandale » « est le nom d’un peuple de barbares du Moyen Âge, c’est fortement péjoratif ».

Le plaignant considère que le chroniqueur entretient des préjugés parce qu’il « fait un amalgame absurde entre des attentats terroristes islamistes et des émeutes. On dirait que pour l’aider à délégitimer des émeutiers, il leur accole gratuitement, sans justifier pourquoi, l’étiquette infamante de terroriste. Pour arriver là, [Christian] Rioux fait tout simplement l’amalgame look étranger = terrorisme islamiste. »

Il estime également que le chroniqueur « encourage les gens à avoir peur des personnes arabes en soulevant des craintes irrationnelles et largement fantasmées (jeunes des banlieues = terroristes islamistes) ». Il ajoute : « La haine et le mépris sont des sentiments fortement associés aux terroristes islamistes et [Christian] Rioux fait justement un amalgame entre l’image du jeune de banlieue et les terroristes islamistes. »

La rédactrice en chef du Devoir fait valoir « que la discrimination alléguée relève de l’interprétation que fait le plaignant du choix du mot du chroniqueur et non de ce que le chroniqueur a écrit, le tout dans les limites permises par le journalisme d’opinion ».

Elle cite deux définitions du mot « vandale » : « Le Larousse définit vandale de la manière suivante : “Se dit de quelqu’un qui détruit, endommage gravement des édifices publics, des œuvres d’art.” Le Robert définit vandale de la manière suivante : “Destructeur brutal, ignorant.” »

Elle ajoute : « Dans l’usage courant, le terme vandale désigne quelqu’un qui pratique une forme de vandalisme, un mot qui est souvent associé à des manifestations ou émeutes lorsqu’elles prennent un tournant destructeur. »

Le chroniqueur précise : « Le mot “vandale” ne me semble nullement exagéré pour qualifier ces individus qui ont causé des dégâts évalués à un milliard d’euros par le MEDEF (Mouvement des entreprises de France) et à 730 millions d’euros selon l’association France Assureurs. »

En réponse à la réplique du média, le plaignant affirme que « le problème de la chronique de [Christian] Rioux est qu’il amalgame plusieurs préjugés à sa soupe et que c’est l’ensemble qui en résulte, l’addition des sous-entendus et du sens des mots employés, qui donne une odeur infecte. “Djihadiste”, “immigration”, “Alger”, “une autre civilisation”, “vandales”. Une lectrice ou un lecteur moyen pourrait très facilement arriver à la conclusion, au terme de sa lecture, que les jeunes des banlieues sont tous des terroristes en puissance. Même si ce n’est pas inscrit littéralement ainsi parce que [Christian] Rioux prend soin de prendre des détours pour leurrer les naïfs. Mais les mots ont un sens et peuvent être interprétés de toutes sortes de façon. […] Le portrait que dessine [Christian] Rioux de la France est celui d’un pays menacé d’un ennemi intérieur. C’est considérer que ces jeunes “vandales” ne sont pas français et ne peuvent pas l’être parce qu’ils se retrouvent dans des événements menaçant le patrimoine français ou encore que les boucheries halals ne peuvent pas faire partie du patrimoine français. [Christian] Rioux exclut systématiquement un groupe. »

Un plaignant qui avance qu’un texte journalistique comporte des propos discriminatoires doit préciser le groupe visé, le motif discriminatoire reconnu par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Ici, le plaignant considère que d’associer les termes « djihadistes » avec les « vandales qui ont enflammé les banlieues » est discriminatoire envers les jeunes arabes des banlieues sur la base de leur origine ethnique.

Lorsque le chroniqueur affirme « En 2015, les djihadistes s’en étaient pris aux symboles mêmes de la civilité française en assassinant de simples Français attablés aux terrasses des cafés », il fait référence aux attentats du 13 novembre 2015 de Paris, revendiqués par l’organisation terroriste État islamique. Cette série d’attaques, dont les explosions au stade de France, l’attaque de la salle de concert du Bataclan et les fusillades de terrasses de cafés et de restaurants, a fait 130 morts et plus de 400 blessés. Il s’agit des attentats terroristes les plus meurtriers perpétrés en France.

En associant les « djihadistes » des attentats terroristes de 2015 aux « vandales qui ont enflammé les banlieues » en 2023 dans deux phrases adjacentes qui évoquent la même idée de s’en prendre à des symboles français, le chroniqueur fait un amalgame entre les djihadistes et les jeunes arabes des banlieues qui peut entretenir des préjugés que ces jeunes arabes sont aussi dangereux que des terroristes. Le préjugé s’observe lorsque le chroniqueur affirme que les « vandales » proviennent des banlieues et qu’ils sont issus de l’immigration arabo-musulmane et qu’il les compare implicitement à des terroristes qui pratiquaient la même religion.

En juxtaposant le passage visé par la plainte à la phrase rappelant les djihadistes et leurs attentats terroristes de novembre 2015, le chroniqueur met sur un pied d’égalité des terroristes qui ont tué 130 personnes et des jeunes des banlieues qui ont causé des dommages matériels qui n’ont aucune commune mesure avec le terrorisme islamiste. Le chroniqueur aurait dû s’abstenir d’utiliser des termes qui peuvent entretenir les préjugés en associant les Arabes et les musulmans à des terroristes.

Bien que le chroniqueur ne se soit pas abstenu d’utiliser des termes susceptibles d’entretenir les préjugés, il ne va pas jusqu’à utiliser des termes qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris ou à encourager la violence envers ces jeunes Arabes des banlieues, comme l’avance le plaignant.

2.2 « De visu »

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur s’est abstenu d’utiliser, à l’endroit des « jeunes des banlieues », des représentations ou des termes qui tendent, sur la base de leur origine ethnique, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés en utilisant l’expression « de visu » dans le passage suivant :

« Comme si tous les Français n’avaient pas constaté de visu que ces émeutes étaient, pour l’essentiel, le fait de populations issues de l’immigration, peu importe qu’elles soient de la première, de la deuxième ou de la troisième génération. »

Décision

Le Conseil retient à la majorité (5/6) le grief de discrimination pour entretien de préjugés sur ce point.

Analyse

Selon le plaignant, cet extrait témoigne du fait que Christian « Rioux exclut arbitrairement les émeutiers qui n’ont pas le bon teint de la nationalité française ».

Le plaignant considère que le passage ci-dessus est discriminatoire envers « les jeunes des banlieues, parce qu’issus de l’immigration arabo-musulmane ».

Le plaignant demande : « Comment un bon Français de souche peut-il constater “de visu” l’origine des émeutiers si ce n’est en se basant sur leur couleur de peau? Et, puisque [Christian] Rioux va de l’avant avec cette explication, ça signifie donc que tous ceux et celles dont la peau n’est pas assez blanche sont des émeutiers illégitimes? »

Il ajoute : « Si on se base sur la couleur de la peau des gens pour pouvoir évaluer leur légitimité ou leur illégitimité, il y a bien là quelque chose de raciste. »

Le plaignant estime que le chroniqueur « encourage les gens à avoir peur des personnes arabes en soulevant des craintes irrationnelles et largement fantasmées (jeunes des banlieues = terroristes islamistes) ».

Il ajoute : « La haine et le mépris sont des sentiments fortement associés aux terroristes islamistes et [Christian] Rioux fait justement un amalgame entre l’image du jeune de banlieue et les terroristes islamistes. »

Selon le plaignant, le chroniqueur « encourage le lectorat à adopter une attitude intolérante avec les personnes arabes. Une attitude de rejet, de mépris et de méfiance pouvant avoir de bien néfastes effets. Le racisme est violent. »

La rédactrice en chef du Devoir indique qu’« à aucun moment, le chroniqueur ne fait référence à la couleur de la peau des individus. Nous estimons que nous faisons face ici encore à l’interprétation que tire le plaignant de la lecture des propos de Christian Rioux. »

Le chroniqueur fait valoir : « Le plaignant se demande […] comment il est possible de constater “de visu” l’origine des émeutiers sinon en “se basant sur leur couleur de peau”. Ce raisonnement nie le fait qu’à l’exception des populations antillaises ou issues de l’Afrique noire, les populations d’origine arabo-musulmanes ne se distinguent pas vraiment par la couleur de leur peau. Le plaignant ignore probablement qu’un journaliste habitué à faire des reportages dans ces milieux populaires les distinguera facilement par toute une série de traits culturels et linguistiques. C’est particulièrement mon cas comme correspondant en France depuis 30 ans. D’autant plus que j’habite moi-même depuis deux décennies dans un quartier populaire et multiethnique situé à proximité des banlieues est de la capitale. Il n’est donc pas question ici de “race”, mais bien de traits culturels caractéristiques non pas des populations arabo-musulmanes en général, mais des jeunes qui vivent dans ces banlieues. On comprend mal d’ailleurs pourquoi le plaignant parle de “look étranger” puisque le “look” (s’il faut s’exprimer ainsi) de cette jeunesse est on ne peut plus caractéristique des banlieues françaises. »

La rédactrice en chef du Devoir indique : « Si pour le plaignant la chronique tisse un fil conducteur raciste et discriminatoire, ce n’est pas notre lecture des choses. Le chroniqueur ne fait qu’affirmer que les émeutes qui se sont déroulées en France ont d’abord été “le fait des jeunes des populations issues de l’immigration qui vivent dans les banlieues françaises, qu’elles soient de première, seconde ou troisième génération”. »

Selon elle, « un passage de la chronique contredit d’ailleurs les allégations du plaignant. M. Rioux y défend le fait que la France n’est pas “raciste”. “Contrairement à ce que raconte la presse étrangère, la France n’est pas un pays raciste. Qu’il suffise de citer la grande enquête de la Commission nationale consultative des droits de l’homme faite en 2022, qui montre une lente et constante progression de la tolérance. Alors même que l’immigration s’intensifiait comme jamais, son indice a progressé de 13 points depuis 1990.” »

Elle conclut : « Les griefs de discrimination sont rejetés par Le Devoir. Ils reposent sur l’interprétation que fait le plaignant des passages de la chronique plutôt que d’être rattachés à des propos qui réellement suscitent et attisent la haine, le mépris et la violence. »

Le plaignant considère que l’expression « de visu » est discriminatoire envers « les jeunes des banlieues » sur la base de leur race. Il affirme : « Si on se base sur la couleur de la peau des gens pour pouvoir évaluer leur légitimité ou leur illégitimité, il y a bien là quelque chose de raciste. » 

L’analyse du passage visé par la plainte doit se faire en prenant en considération les phrases qui le précèdent : « Auditionné par le Sénat la semaine dernière, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a tenté de relativiser la gravité de la situation. Selon lui, il n’y avait que 10 % d’étrangers parmi les émeutiers interpellés. La belle affaire! Comme si tous les Français n’avaient pas constaté de visu que ces émeutes étaient, pour l’essentiel, le fait de populations issues de l’immigration, peu importe qu’elles soient de la première, de la deuxième ou de la troisième génération. » 

En utilisant l’expression « de visu », le chroniqueur attribue l’origine des émeutes à un groupe défini d’habitants des banlieues : ceux de minorités visibles issus de l’immigration. 

De plus, il sépare dans cette phrase les « Français » des « populations issues de l’immigration peu importe qu’elles soient de la première, de la deuxième ou de la troisième génération », comme si les personnes issues de l’immigration, même de troisième génération, n’étaient pas de vrais Français.

Le principe déontologique rappelle que « les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à (…) à entretenir les préjugés. » Dans le cas présent, le chroniqueur ne s’est pas abstenu d’utiliser des termes qui entretiennent le préjugé que les immigrants ne sont pas français, que cela se voit en un simple coup d’œil, et qu’ils sont potentiellement violents.

Les membres estiment à la majorité que le chroniqueur a manqué à son devoir de prudence en n’évitant pas les préjugés envers les jeunes des banlieues issus de l’immigration sur la base de leur origine ethnique.

Un membre exprime sa dissidence, n’ayant pas vu de propos discriminatoires dans le passage visé par la plainte.

Comme pour le grief précédent, bien que le chroniqueur ne se soit pas abstenu d’utiliser des termes susceptibles d’entretenir les préjugés, il n’a pas utilisé de termes qui tendent à susciter ou attiser la haine et le mépris ou à encourager la violence envers les arabo-musulmans, comme l’avance le plaignant.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de François Gosselin Couillard visant la chronique « Solitude française », publiée le 14 juillet 2023, et blâme le chroniqueur Christian Rioux et Le Devoir concernant les deux griefs de discrimination entretenant les préjugés. Il rejette cependant le grief d’information inexacte.

Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement 2, article 31.02)

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Renée Lamontagne, président(e) du comité des plaintes

Olivier Girardeau

Représentants des journalistes

Rémi Authier

Sylvie Fournier

Représentants des entreprises de presse

Maxime Bertrand

Éric Grenier