D2023-08-056

Plaignant

André Roy

Mis en cause

Le Journal de Montréal

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 2 août 2023

Date de la décision

Le 22 mars 2024

Résumé de la plainte

André Roy dépose une plainte le 2 août 2023 au sujet des commentaires publiés au bas de l’article « Le nombre de HLM en très mauvais état a augmenté de 27 % en 14 mois », diffusé sur le site Internet du Journal de Montréal le 2 août 2023. Le plaignant déplore l’absence de modération des contributions du public.

Contexte

La plainte vise des commentaires qui se trouvent au bas de l’article « Le nombre de HLM en très mauvais état a augmenté de 27 % en 14 mois ».

Cet article rapporte que le nombre d’habitations à loyer modique (HLM) « cotés E – la pire note – est passé de 10 582 en mai 2022 à 13 400 en juillet dernier, sur un total d’environ 71 500 ». Le porte-parole de la Fédération des locataires d’habitations à loyer modique du Québec attribue cette situation à un « “recul dans la rénovation du parc de HLM” ». L’article fait état d’une baisse des investissements du gouvernement actuel dans la rénovation de ces logements : « Au cours de son mandat, de 2015 à 2018, le gouvernement libéral de Philippe Couillard prévoyait chaque année un budget de 343,4 M$ pour la rénovation des HLM. En 2020, cependant, le gouvernement Legault a réduit ce montant à 300 M$, un rythme qu’il a conservé pour les années 2021 et 2022, confirment les chiffres de la SHQ [Société d’habitation du Québec]. » On indique que « 4000 logements sont en si mauvais état qu’ils ne peuvent être habités ». Présence de moisissures, dégâts causés par des infiltrations d’eau, mur qui « renfonce vers l’extérieur à la moindre pression », mauvaise isolation, fenêtres délabrées sont quelques exemples de problèmes présentés dans l’article.

Le site Internet de la Société d’habitation du Québec indique que le programme de HLM s’adresse à des ménages à faible revenu et leur permet de payer un loyer correspondant à 25 % de leur revenu. Les personnes admissibles doivent être autonomes.

Grief du plaignant

Grief 1 : absence de modération des contributions du public

Principe déontologique applicable

Contributions du public : « (1) Les médias d’information qui choisissent d’accepter les contributions du public doivent tenter de refléter une diversité de points de vue. […] (3) Les médias d’information prennent les moyens raisonnables pour s’assurer que les contributions du public respectent la dignité et la vie privée des personnes et ne soient pas discriminatoires. » (article 16 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour s’assurer que les contributions du public suivantes respectent la dignité et/ou qu’elles ne sont pas discriminatoires envers les personnes vivant en HLM. Les commentaires suivants provenant de lecteurs sont pointés par le plaignant :

  • « Lorsque quelques locataires vivent comme des porcs, le bâtiment complet devient inévitablement une porcherie. »
  • « Manque de main-d’œuvre, va travailler tu vas payer plus cher et peut-être un appartement plus propre. »
  • « S’ils veulent vivre dans des logements plus luxueux, ils ont juste à aller travailler et à se payer quelque chose de mieux!! »
  • « À chaque fois qu’on parle de ce sujet, les locataires ne soulignent jamais qu’ils paient seulement 200 $ ou 300 $ par mois pour leur loyer. À ce prix, ils s’attendent à quoi? Et je n’entends jamais ces locataires dire qu’ils souhaitent participer à l’entretien de leur logement et édifice. En résumé, ils veulent un logement à 200 $ par mois, qui est en super état, n’être responsable de rien et que les contribuables payent tout pour eux. »
  • « Beaucoup de paresseux ici qui veulent vivre sur le dos des autres. C’est désolant. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’absence de modération des contributions du public. 

Analyse

Le plaignant considère que les commentaires ci-dessus « ne sont pas supposés être dans les pages de ce journal ». Il déplore que « depuis plusieurs années, Le Journal de Montréal laisse passer des commentaires qui s’attaquent à la dignité des locataires. Vous aurez donc des commentaires sans que le journal intervienne pour stopper des commentaires humiliants alors que leur nétiquette empêche cette discrimination. »

Le plaignant ajoute : « J’ai soigné plusieurs personnes en HLM. On parle de dystrophie musculaire, de paralysie cérébrale, d’accidentés de la route. Il n’est pas permis au Québec d’avoir de tels propos, encore moins qu’un journal laisse passer autant de haine. »

Le Journal de Montréal n’a pas répondu à la plainte.

En se rendant sur le site Internet du Journal de Montréal, on constate qu’il y a eu, au total, 23 commentaires au bas de l’article « Le nombre de HLM en très mauvais état a augmenté de 27 % en 14 mois ». Au moment de l’analyse de cette plainte, les commentaires visés par le plaignant étaient toujours visibles.

Pour déterminer s’il y a eu un manquement déontologique de la part du média, il faut d’abord déterminer si les commentaires pointés par le plaignant atteignent à la dignité des locataires de HLM et/ou si les propos sont discriminatoires envers ces personnes.

Sur les cinq commentaires identifiés par le plaignant, un commentaire ne respecte pas la dignité des locataires de HLM alors que trois autres sont discriminatoires. 

Pour la majorité des membres du comité des plaintes (5/6),  la dignité n’a pas été respectée dans le commentaire suivant : « Lorsque quelques locataires vivent comme des porcs, le bâtiment complet devient inévitablement une porcherie. » En comparant les locataires de HLM à des porcs, l’auteur de ce commentaire manque de respect à la dignité de ces locataires à faible revenu. On atteint à la dignité d’une personne lorsqu’on le déshumanise ou qu’on rabaisse quelqu’un au rang d’animal ou de chose. Dans le cas présent, les membres majoritaires estiment qu’en assimilant les locataires de HLM à des porcs, ce commentaire les déshumanise de façon à manquer de respect à leur dignité comme être humain. 

Dans une décision antérieure (D2016-04-139), le Conseil a retenu la plainte qui visait des commentaires publiés à la suite d’articles portant sur l’arrestation de Dany Villanueva, survenue en 2016 à Montréal-Nord dans le cadre du démantèlement d’un réseau de trafic de drogue lié aux gangs de rues. Quelques années plus tôt, son frère Fredy avait été tué lors d’une intervention policière dans un parc. Le travail des policiers avait alors suscité de vives critiques. Le plaignant pointait une quarantaine de commentaires qu’il estimait offensants, irrespectueux et attentatoires au droit à la dignité. Parmi les commentaires qui auraient dû être modérés, le Conseil a pointé les suivants : « déchet », « vidange », ainsi que l’expression « bande de tarés » et la phrase « Ils auraient dû le descendre ». La décision indique : « Après analyse des commentaires pointés par le plaignant, le Conseil constate que certains propos sont manifestement offensants, irrespectueux, de sorte qu’ils portent atteinte à la dignité de M. Villanueva ».  

De la même façon, dans le cas présent, au vu de commentaires ne respectant pas la dignité des locataires de HLM, le média aurait dû prendre les moyens raisonnables pour respecter la dignité des personnes en modérant ces commentaires.

Un membre estime que « vivre comme des porcs » est une expression commune qui vise l’insalubrité. Il est d’avis qu’il n’y a pas d’atteinte à la dignité dans ce commentaire et exprime ainsi sa dissidence.

Les membres majoritaires considèrent plutôt qu’en affirmant que les locataires de HLM vivent comme des porcs, on atteint à leur dignité en les rabaissant au rang d’animal et en les déshumanisant.

En ce qui concerne la discrimination, les trois commentaires suivants pointés par le plaignant sont unanimement jugés discriminatoires à l’endroit des locataires de HLM sur la base de leur condition sociale : 

  1. « Manque de main-d’œuvre, va travailler tu vas payer plus cher et peut-être un appartement plus propre. »
  2. « S’ils veulent vivre dans des logements plus luxueux, ils ont juste à aller travailler et à se payer quelque chose de mieux!! »
  3. « Beaucoup de paresseux ici qui veulent vivre sur le dos des autres. C’est désolant. »

Ces commentaires entretiennent le préjugé que les locataires de HLM sont paresseux et ne veulent pas travailler. Ils généralisent à tous les résidents de HLM le fait d’être paresseux. Ils laissent également entendre que ces personnes pourraient travailler, mais qu’elles n’en ont pas le désir. L’attribution de ces logements à loyer modique se fait sur la base du revenu. Les locataires de HLM ne sont pas nécessairement sans emploi et diverses raisons peuvent expliquer que certains n’aient pas d’emploi. Le plaignant invoque par exemple des contraintes liées à la maladie ou des problèmes de santé. 

Tout comme dans le cas du commentaire atteignant à la dignité, le média a enfreint l’article 16.3 du Guide puisqu’en ne modérant pas ces commentaires, il n’a pas pris les moyens raisonnables pour s’assurer que sa zone de commentaires n’affiche pas de contributions du public contenant des propos discriminatoires.  

Note

Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’André Roy concernant quatre commentaires publiés au bas de l’article « Le nombre de HLM en très mauvais état a augmenté de 27 % en 14 mois », diffusé sur le site Internet du Journal de Montréal le 2 août 2023 concernant le grief d’absence de modération des contributions du public.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes

Olivier Girardeau

Représentants des journalistes

Rémi Authier

Sylvie Fournier

Représentants des entreprises de presse

Maxime Bertrand

Éric Grenier