D2023-09-067

Plaignante

Monique Loubry

Mis en cause

Journal Saint-Lambert

Publications Le Phare

Date de dépôt de la plainte

Le 26 septembre 2023

Date de la décision

Le 31 mai 2024

Résumé de la plainte

Monique Loubry dépose une plainte le 26 septembre 2023 au sujet de l’éditorial « Une justice deux poids, deux mesures » publié dans le Journal Saint-Lambert le 13 septembre 2023. La plaignante déplore des informations inexactes.

Contexte

L’éditorial visé par la plainte a été publié au moment où s’amorçait, à Ottawa, le procès criminel de Tamara Lich et Chris Barber, deux organisateurs du « Convoi de la liberté » qui a rassemblé des centaines de camions et paralysé le centre-ville de la capitale fédérale pendant 25 jours en janvier et février 2022.  

Ce texte d’opinion, dont l’auteur n’est pas identifié, affirme que le Canada a connu « deux grandes vagues de manifestations » : la crise d’Oka et « le Convoi de la liberté à Ottawa ». On y fait un parallèle entre ce que les automobilistes de la Rive-Sud de Montréal ont vécu au cours de l’été 1990, durant la crise d’Oka, alors que le pont Mercier a été bloqué par des Mohawks durant 57 jours, et la situation vécue par les résidents d’Ottawa en 2022, lorsque des camionneurs et des manifestants ont occupé le centre-ville pour protester contre la vaccination obligatoire des camionneurs et les mesures sanitaires mises en place durant la pandémie de COVID-19.  

En ce qui concerne les accusations criminelles portées contre Tamara Lich et Chris Barber, l’éditorial considère que « la Couronne a monté de toutes pièces des accusations à l’encontre des deux porte-parole du mouvement ». Dans sa conclusion, l’auteur demande : « Alors, pourquoi les têtes dirigeantes de la crise d’Oka n’ont-ils jamais été inculpés? [sic] Comment ont-ils pu échapper à la justice? »

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs de la plaignante

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)

1.1 Couronne

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant : 

« […] la Couronne a monté de toutes pièces des accusations à l’encontre des deux porte-parole du mouvement. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’informations inexactes sur ce point.

Analyse

La plaignante affirme que « le procès relatif aux responsables du convoi de 2022 est actuellement en cours, il est donc, selon [elle], prématuré d’affirmer que “la Couronne a monté de toutes pièces des accusations” ».

Les mis en cause n’ont pas répondu à la plainte.

Lorsqu’une allégation d’information inexacte vise un texte d’opinion tel qu’un éditorial, il faut d’abord déterminer si le passage visé par la plainte constitue un fait ou une opinion. 

À la lecture du paragraphe dans son ensemble, on constate que l’extrait visé ne rapporte pas un fait, mais plutôt l’opinion de l’éditorialiste : 

« Cependant, pour donner une leçon à tous les citoyens qui ont une opinion bien arrêtée, la Couronne a monté de toutes pièces des accusations à l’encontre des deux porte-parole du mouvement. Tamara Lich et Chris Barber sont co-accusés de méfait, d’obstruction à la police, d’avoir conseillé à d’autres personnes de commettre méfait et intimidation. »

Dans cet extrait, l’éditorialiste considère que les accusations déposées par les procureurs de la Couronne sont exagérées parce que la Couronne souhaite que Tamara Lich et Chris Barber servent d’exemples. Comme il s’agit de son opinion, on ne peut donc pas en évaluer l’exactitude. Le fait que la plaignante soit en désaccord avec cette vision des choses ne correspond pas à une erreur de fait. 

Bien que les journalistes d’opinion (chroniqueurs, éditorialistes, commentateurs, etc.) doivent présenter une information basée sur des faits, il ne faut pas confondre l’expression de leur point de vue avec des faits. C’est ce que rappelle la décision D2019-01-005, dans laquelle le grief d’information inexacte a été rejeté. Dans ce dossier, le Conseil devait déterminer si une chroniqueuse avait commis une inexactitude en écrivant que « le Canada est devenu un paradis pour les communautés ethnoculturelles et racisées ». Même si le plaignant était d’avis que le Canada est loin du « paradis », en raison « d’énormes défis entre autres sur le plan de l’emploi », le Conseil a constaté que « la chroniqueuse présentait un avis différent » et n’y a pas vu d’erreur de fait. Le Conseil a estimé qu’il s’agissait « du point de vue de l’auteure du texte qui, en tant que chroniqueuse, jouit de la liberté d’opinion et dispose d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’elle adopte ».

De la même manière, dans le cas présent, bien que la plaignante considère qu’il était prématuré de conclure que les accusations ont été montées de toutes pièces étant donné que le procès de Tamara Lich et Chris Barber n’était pas terminé au moment de la publication de l’éditorial, il n’y a pas d’information inexacte puisqu’il s’agissait du point de vue de l’éditorialiste. En tant que journaliste d’opinion, cette personne bénéficie de la liberté d’exprimer son point de vue.

1.2 Crise d’Oka

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant :

« Alors, pourquoi les têtes dirigeantes de la crise d’Oka n’ont-ils jamais été inculpés? [sic] »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’informations inexactes sur ce point.  

Analyse 

La plaignante considère que le passage ci-dessus comprend de l’information inexacte. Elle affirme que « les dirigeants de la crise d’Oka ont été inculpés : Gordon Noriega [Lazore] a écopé de 23 mois de prison, et Ronald Cross de 52 mois. Ils n’ont donc pas échappé à la justice comme le prétend le texte de l’éditorial. »

Contrairement au passage visé au point précédent, l’extrait de l’éditorial dans lequel l’éditorialiste demande « Alors, pourquoi les têtes dirigeantes de la crise d’Oka n’ont-ils jamais été inculpés? [sic] » présente une information dont les faits pourraient être vérifiés. Il faudrait alors déterminer qui étaient les « têtes dirigeantes » de la crise d’Oka auquel l’éditorial fait référence et si elles n’ont effectivement jamais été inculpées.  Cependant, ce passage étant très vague, l’analyse ne permet pas de déterminer si l’information est inexacte. 

Rappelons qu’à l’été 1990, des Mohawks de la communauté de Kahnawake, sur la Rive-Sud de Montréal, ont bloqué pendant 57 jours l’accès au pont Honoré-Mercier, en soutien à Kanesatake, près de la ville d’Oka. Ils protestaient ainsi contre des projets de développement immobilier envisagés par la Ville d’Oka sur des terres contestées. Les principaux acteurs mohawks de ce qui est désormais connu comme la crise d’Oka faisaient partie de la Mohawk Warrior Society, une organisation défendant les intérêts mohawks, et étaient communément appelés les « Warriors ».

Dans cette période marquante de l’histoire récente du Québec, tout le monde ne s’accorde pas sur qui étaient les dirigeants de la crise d’Oka. Certains, comme Ellen Gabriel, porte-parole des traditionnalistes du Longhouse durant la crise d’Oka, avancent quant à eux qu’il n’y avait pas de leaders spécifiques dans la communauté. Dans le reportage de Radio-Canada « Oka : des deux côtés de la barricade », réalisé pour les 30 ans de la crise d’Oka, Mme Gabriel affirme : « The leader is the people. » (« Le leader, c’est le peuple. »)

La plaignante apporte bien des éléments permettant de confirmer que des Mohawks ont été inculpés à la suite de la crise d’Oka: il s’agit de Ronald Cross, dit « Lasagne », et de Gordon « Noriega » Lazore. 

En ce qui concerne Ronald Cross, le jugement de la Cour ne nous permet pas de conclure qu’il était une « tête dirigeante ». Le procès visant Ronald Cross et Gordon Lazore a eu lieu en 1991 et 1992 devant le juge de la Cour supérieure Benjamin J. Greenberg. Dans la sentence qui a été rendue le 19 février 1992, le juge Greenberg affirme que Ronald Cross ne peut être considéré comme l’un des leaders de la crise d’Oka. Il écrit : « Also, if the media featured him prominently – as « Lasagna » – during the Oka Crisis, his public image as such is purely a creation of the media. Although he was prominent, was agressive and, yes, was often violent, there was absolutely no evidence adduced before me to suggest that he was the leader or even a leader of the militant Warrior Society at Kanehsatake during the crisis. » (« Aussi, si les médias l’ont mis en évidence – sous le nom de “Lasagne” – pendant la crise d’Oka, son image publique en tant que telle est purement une création médiatique. Même s’il était éminent, agressif et, oui, souvent violent, absolument aucune preuve n’a été présentée devant moi suggérant qu’il était le chef ou même l’un des dirigeants de la militante Warrior Society à Kanehsatake pendant la crise. ») (Traduction du Conseil)

Dans le cas présent, les faits mis en preuve par la plaignante ne permettent pas de démontrer que Gordon Lazore et Ronald Cross sont les « têtes dirigeantes » auxquelles fait référence l’éditorialiste. Dans ce contexte, il est donc impossible de conclure que l’information présentée était inexacte.

Lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne peut retenir le grief que s’il a la preuve qu’une information inexacte a été véhiculée. Il revient au plaignant de faire la démonstration des accusations qu’il formule. Dans le dossier D2018-04-037, par exemple, la plaignante affirmait que contrairement à ce qu’indiquait le reportage, il n’y avait eu qu’un seul suicide parmi les employés de Rouyn-Noranda. Or, le Conseil n’était pas en mesure de juger de l’exactitude des propos de l’employée qui témoignait sous le couvert de l’anonymat. L’information rapportée par les mis en cause étant imprécise et ne comportant aucune référence dans le temps, il était donc impossible de savoir à quels suicides on faisait référence et de déterminer l’exactitude de l’information. 

De la même façon, dans le cas présent, l’imprécision de la formulation du texte ne permet pas de valider l’information mise en cause par la plaignante. Bien que l’éditorial aurait certes bénéficié de plus de précisions, le Conseil ne peut conclure à une faute d’inexactitude. En l’absence de preuve démontrant que le média a transmis de l’information inexacte, le grief est rejeté.

Note

Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Saint-Lambert, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Monique Loubry visant l’éditorial « Une justice deux poids, deux mesures », publié dans le Journal Saint-Lambert le 13 septembre 2023, concernant les griefs d’informations inexactes.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes

Charles-Éric Lavery

Représentants des journalistes

Stéphane Baillargeon

Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse

Stéphan Frappier

Sylvain Poisson