D2023-09-069
Plaignant
Gabriel Bourget
Directeur des communications,
Cabinet de la ministre des Pêches et Océans
et de la Garde côtière canadienne
Mis en cause
Cimon Charest, journaliste
TVA Nouvelles
TVA Est-du-Québec (Côte-Nord)
Date de dépôt de la plainte
Le 28 septembre 2023
Date de la décision
Le 26 avril 2024
Résumé de la plainte
Gabriel Bourget dépose une plainte le 28 septembre 2023 au sujet de l’article et du reportage vidéo « Trois décès à Blanc-Sablon : des pêcheurs voudraient se qualifier pour l’assurance-emploi », du journaliste Cimon Charest, publiés sur le site Internet de TVA Nouvelles le 27 septembre 2023. Le plaignant déplore de l’information inexacte et une absence de correctif.
Contexte
Dans la nuit du 25 septembre 2023, trois pêcheurs de Blanc-Sablon perdent la vie dans un naufrage au large de la Basse-Côte-Nord. Les conditions météorologiques étaient particulièrement mauvaises lorsque leur bateau a chaviré.
Deux jours plus tard, soit le 27 septembre 2023, le journaliste Cimon Charest, de TVA Est-du-Québec, qui couvre cette tragédie, publie le texte visé par la plainte, « Trois décès à Blanc-Sablon : des pêcheurs voudraient se qualifier pour l’assurance-emploi », qui est accompagné d’un reportage vidéo. Il y indique que « Certains pêcheurs doivent étirer leur saison jusqu’à l’automne uniquement pour se qualifier à l’assurance-emploi. Un choix qui met leur vie en péril parce que, selon plusieurs, les conditions de navigation se détériorent rapidement, notamment en haute mer à ce temps-ci de l’année. » Le reportage établit un lien entre les critères en vigueur pour déterminer si un pêcheur a droit à l’assurance-emploi une fois la saison terminée et la tragédie du 25 septembre 2023.
Griefs du plaignant
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a transmis une information inexacte dans le passage suivant :
« Depuis 2015, le gouvernement libéral de Justin Trudeau promet une réforme de l’assurance-emploi. Huit ans plus tard, trois mandats et deux ministres du revenu national plus tard, la réforme se fait toujours attendre. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information inexacte.
Analyse
Le plaignant est directeur des communications du cabinet de Mme Lebouthillier, qui est la ministre des Pêches et Océans et de la Garde côtière canadienne depuis le 26 juillet 2023. Il rappelle que l’assurance-emploi tombe sous la responsabilité du ministre de l’Emploi et du Développement social, plus précisément de l’Emploi et du Développement de la main-d’œuvre [qui fait partie d’Emploi et Développement social Canada]. « La ministre du Revenu national [Marie-Claude Bibeau] n’est pas et n’a jamais été responsable du dossier de l’assurance-emploi », écrit-il dans sa plainte.
Selon lui, le passage exact aurait dû se lire: « Depuis 2015, le gouvernement libéral de Justin Trudeau promet une réforme de l’assurance-emploi. Huit ans plus tard, trois mandats et quatre ministres de l’Emploi et du Développement de la main-d’œuvre plus tard, la réforme se fait toujours attendre. »
Le plaignant déplore aussi : « Tout au long du reportage diffusé sur les ondes de TVA Est-du-Québec, le nom de même que des images de Diane Lebouthillier sont utilisés en support visuel pour faire référence à la réforme de l’assurance-emploi. »
Diane Lebouthillier est ministre des Pêches et Océans et de la Garde côtière canadienne depuis le 26 juillet 2023. Auparavant, soit du 4 novembre 2015 au 26 juillet 2023, elle était ministre du Revenu national. Au moment de la publication du reportage, le 27 septembre 2023, l’actuelle ministre du Revenu national, Marie-Claude Bibeau, était déjà en poste.
Le plaignant affirme : « M. Charest a contacté le bureau de la ministre des Pêches le 27 septembre 2023 pour une demande d’entrevue portant sur la tragédie mentionnée et ses liens allégués avec l’assurance-emploi. Le tout fut décliné sur la base que l’assurance-emploi n’a jamais relevé des ministères que la ministre a dirigé, et fut redirigé à Emploi et Développement Social Canada (EDSC) pour des commentaires. Le tout fut quand même publié le lendemain matin sous le prétexte que la ministre Lebouthillier était responsable de l’assurance-emploi. »
Comme l’affirme le plaignant, l’assurance-emploi et les réformes de ce programme relèvent du ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada (EDSC), et non du ministère du Revenu national.
On peut lire sur le site de ce ministère que « EDSC et Service Canada assurent l’administration du régime d’assurance-emploi au nom de la commission de l’assurance-emploi du Canada […] La commission [un des portefeuilles d’EDSC] examine et approuve les politiques concernant l’administration et l’exécution du régime d’assurance-emploi […] » De son côté, Revenu national (aussi appelé l’Agence du revenu du Canada) se décrit comme l’agence qui applique les lois fiscales pour le gouvernement du Canada et la plupart des provinces et territoires.
Il était donc faux de faire le lien, dans la phrase visée par la plainte, entre le programme de l’assurance-emploi et le ministère du Revenu national.
Dans le dossier D2019-08-107, le Conseil a retenu le grief d’information inexacte visant le passage suivant : « Entre 2004 et 2016, le nombre d’accouchements assistés d’une sage-femme est passé de 44 à 511, selon l’Institut de la statistique du Québec ». « Selon des données obtenues auprès de l’Institut de la statistique du Québec, il y a eu 1135 (non pas 44) accouchements assistés par sages-femmes en 2004 au Québec et 2614 (non pas 511) en 2016. […] Il s’agit d’une erreur de faits significative qui affecte la compréhension du sujet, car il existe une marge considérable entre les chiffres rapportés par la journaliste et la réalité », a jugé le Conseil.
Dans le présent dossier, le journaliste a commis une erreur de fait en pointant du doigt le ministère du Revenu national alors que le ministère qui aurait pu avoir une incidence significative sur des changements dans les règlements de l’assurance-emploi était le ministère de l’Emploi et du Développement social. Qui plus est, le plaignant apporte en preuve une copie d’un courriel envoyé au journaliste le 27 septembre 2023, dans lequel l’attaché de presse de la ministre Lebouthillier l’avise de se référer à EDSC pour toute question portant sur l’assurance-emploi. En mentionnant le mauvais ministère, le journaliste a transmis une information inexacte et pour cette raison, le grief est retenu.
Cependant, contrairement à ce qu’avance le plaignant concernant l’utilisation des images de Diane Lebouthillier, le journaliste et le média n’ont pas commis une erreur en utilisant des images de la ministre pour illustrer leur reportage. Mme Lebouthillier étant, au moment de la publication, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, il n’était pas inapproprié d’utiliser des images la représentant en support visuel d’une nouvelle qui porte sur une réforme de l’assurance-emploi, certes, mais en lien avec la mort de trois pêcheurs de Blanc-Sablon deux jours plus tôt.
Grief 2 : absence de correctif
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a corrigé avec diligence l’information inexacte contenue dans le passage suivant :
« Depuis 2015, le gouvernement libéral de Justin Trudeau promet une réforme de l’assurance-emploi. Huit ans plus tard, trois mandats et deux ministres du revenu national plus tard, la réforme se fait toujours attendre. »
Décision
Le Conseil retient le grief d’absence de correctif.
Analyse
Le plaignant affirme qu’à la suite de la publication du reportage, « M. Charest fut contacté à plusieurs reprises le jour même pour tenter de rectifier les faits. Seulement la moitié des références à la ministre du Revenu national furent toutefois retirées. »
L’article visé par la plainte a été mis en ligne à 20h13 le 27 septembre 2023. Une mise à jour a été effectuée à 11h29 le 28 septembre 2023. . Le plaignant mentionne que certaines modifications ont été faites dans le texte, mais la version originale ne pouvant être consultée et le média n’ayant pas indiqué quelles modifications ont été apportées, il n’est pas possible de connaître la nature de ces changements. Le passage visé par la plainte, dans lequel nous avons constaté un information inexacte au grief précédent, est cependant demeuré inchangé.
Le journaliste et le média ont ainsi contrevenu au principe de correction des erreurs du Guide de déontologie journalistique, qui stipule que les médias doivent corriger leurs erreurs avec diligence, pleinement et rapidement. Pour ces raisons, le grief d’absence de correctif est retenu.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Groupe TVA, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Gabriel Bourget visant l’article « Trois décès à Blanc-Sablon : des pêcheurs voudraient se qualifier pour l’assurance-emploi », du journaliste Cimon Charest, publié sur le site Internet de TVA Nouvelles le 27 septembre 2023, concernant les griefs d’information inexacte et d’absence de correctif.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes
Vincent Brousseau-Pouliot
Jessica Nadeau
Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Stéphan Frappier