D2023-12-087

Plaignant

Nicolas Boutin

Mis en cause

TVA Nouvelles

Le quotidien Le Journal de Montréal

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 22 décembre 2023

Date de la décision

Le 31 mai 2024

Résumé de la plainte

Nicolas Boutin dépose une plainte le 22 décembre 2023 au sujet de l’article « “La FAE : le Titanic des temps modernes!” Des syndiqués en colère s’expriment », publié sur les sites Internet de TVA Nouvelles et du Journal de Montréal le jour même. Le plaignant déplore un manque d’équilibre et du sensationnalisme.

Contexte

À l’automne 2023, les négociations sont en cours entre le gouvernement du Québec et les syndicats du secteur de l’éducation en vue du renouvellement des conventions collectives. Deux syndicats principaux se partagent les responsabilités : la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), qui représente 66 500 enseignants, et la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), qui représente 95 000 enseignants et qui est affiliée au Front commun intersyndical. Les membres de la FAE ont déclenché une grève générale illimitée le 23 novembre 2023, alors que les membres de la FSE-CSQ ont plutôt tenu des séquences de jours de grève, comme les autres syndicats du Front commun.

L’article visé par la plainte a été mis en ligne à 11 h 51 le 22 décembre 2023 sur les sites Internet de TVA Nouvelles et du Journal de Montréal. Il rapporte que « l’annonce d’une proposition de règlement sectorielle entre la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) et le gouvernement Legault [ce] vendredi matin [le 22 décembre 2023] a fait bondir des dizaines d’enseignants du syndicat de la FAE, en grève depuis plus de 4 semaines et toujours sans règlement ». 

L’article présente ensuite sept commentaires « recueillis sur la page de la FAE » entre 6 h 15 et 10 h 47 le 22 décembre. Ces commentaires témoignent de l’exaspération des internautes envers la FAE et sa présidente, Mélanie Hubert, à la suite de l’annonce de la proposition de règlement sectorielle. On y retrouve des remarques telles que : « La FAE est le Titanic des temps modernes […] Le bateau coule en ce moment », « Je vote pour que tous les dirigeants syndicaux de la FAE en commençant par Mélanie Hubert démissionnent incluant les présidents et présidentes des instances locales », « Qu’on fasse cesser cette ridicule grève… », « FAE, allez-vous bouger? ».

L’article donne ensuite la parole à la présidente de la FAE qui présente, dans un enregistrement vidéo diffusé sur la page Facebook de l’organisation syndicale à 11 h 29, la réaction du syndicat à la suite de l’annonce de la proposition de règlement sectorielle.

Griefs du plaignant

Grief 1 : manque d’équilibre

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 d) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence. 

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de manque d’équilibre.

Analyse

Le plaignant déplore que sous l’extrait « Voici quelques commentaires recueillis sur la page de la FAE », le média a sélectionné « [sept] commentaires très peu représentatifs de l’ensemble des commentaires sur la page ». Il considère que « dans les extraits choisis arbitrairement sur la page [Facebook] de la FAE, il n’y a systématiquement que des commentaires négatifs envers les dirigeants syndicaux [alors que si] on fait la liste des commentaires, on se rend compte que les commentaires négatifs sont fortement minoritaires ».

Les mis en cause n’ont pas souhaité répondre à la plainte.

Le principe d’équilibre consiste à présenter une « juste pondération du point de vue des parties en présence ». Dans l’analyse d’un grief de manque d’équilibre, la première étape est d’établir l’angle de traitement du sujet. Par la suite, en se basant sur cet angle de traitement, il faut identifier les parties en présence et déterminer si une juste pondération de leurs points de vue a été présentée. 

L’angle du sujet ici est la réaction de la FAE et de ses membres à la suite de la proposition de règlement entre la FSE-CSQ et le gouvernement du Québec. Or, les membres de la FAE ont vertement critiqué la direction de la FAE, qui n’avait alors pas encore entamé de négociations intensives permettant d’arriver à une entente. 

Dans ce contexte, les parties en présence dans ce sujet étaient les membres syndiqués de la FAE et la direction de la FAE. 

Dans l’article visé par la plainte, le média a choisi de présenter les réactions des membres de la FAE et de la direction du syndicat. Au moment de la publication de l’article, à 11 h 51, la plupart des commentaires publiés sur la page Facebook de la FAE démontraient de l’insatisfaction. Le Conseil a pu vérifier les commentaires publiés à cette heure précise. Le média a décidé d’en présenter quelques-uns, qui étaient représentatifs de l’ensemble à ce moment-là. 

Si, au moment de la publication de l’article, les avis avaient été majoritairement positifs concernant la direction de la FAE, il aurait fallu en sélectionner quelques-uns pour représenter cette tendance, mais ce n’était pas le cas. Si, par ailleurs, des réactions de soutien envers la direction de la FAE sont arrivées plus tard dans la journée, il n’en reste pas moins que les commentaires publiés à 11 h 51 représentaient la réaction de plusieurs membres dans les heures qui précédaient. 

La position de la direction de la FAE, l’autre partie en présence, est ensuite présentée par le biais de la diffusion de la vidéo de sa présidente, Mélanie Hubert. Dans cette vidéo, Mme Hubert explique que les conditions imposées par la partie patronale n’ont pas permis, jusqu’à maintenant, l’accélération des discussions. « On a fait 22 jours de GGI [grève générale illimitée], mentionne-t-elle, et ce n’est certainement pas pour nous laisser dicter notre conduite. » Concernant l’entente de principe conclue par la FSE, elle mentionne que chaque fédération « a ses propres objectifs en fonction de ses propres réalités » et que la FAE « est déterminé[e] à conclure une entente, mais […] pas à n’importe quel prix ».

Il n’y a donc pas ici de manque d’équilibre. Les positions des parties en présence, soit, d’une part, celle des membres de la FAE, et, d’autre part, celle de la direction du syndicat, sont toutes deux présentées.

Dans le dossier D2022-01-037 (2), le Conseil a rappelé que « [l]’équilibre consiste à présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence [et que] cela peut se faire, dans certaines circonstances, même si on n’a pas pu les interroger. Un journaliste peut rapporter la position de l’une des parties en se basant sur une déclaration qu’elle a émise ou en rappelant l’opinion qu’elle défend. » Dans ce dossier, qui concernait un reporter de TVA Nouvelles étant entré dans une école de la communauté juive hassidique de Montréal pour faire état de la présence d’élèves en classe, en contravention des mesures sanitaires imposées par le gouvernement du Québec en raison de la pandémie de COVID-19, le Conseil a rejeté le grief de manque d’équilibre. « Devant l’absence de réponse des responsables, le journaliste rappelle la position de la communauté en indiquant, un peu plus loin dans le reportage : “L’argument de la communauté juive hassidique est le suivant : on se fie à un décret qui dit que les élèves qui n’ont pas d’équipement technologique pour suivre à distance leurs cours peuvent venir siéger en classe.” »

Dans le cas présent, l’article indique que « l’annonce d’une proposition de règlement sectorielle entre la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) et le gouvernement Legault […] a fait bondir des dizaines d’enseignants du syndicat de la FAE, en grève depuis plus de 4 semaines et toujours sans règlement ». L’équilibre est atteint par la présentation du point de vue de la direction du syndicat à la suite de commentaires représentatifs du sentiment de mécontentement exprimé par plusieurs membres au moment de la publication de l’article en cause. 

Grief 2 : sensationnalisme

Principe déontologique applicable

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause déforment la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements dans le passage suivant :

« D’autres demandent la tête des dirigeants syndicaux.

“Je vote pour que tous les dirigeants syndicaux de la FAE en commençant par Mélanie Hubert démissionnent, incluant les présidents et présidentes des instances locales. On a été floués. Le vote de grève le 15 mai dernier n’a jamais fait mention de la grève générale illimitée”, lance une enseignante ».

Décision

Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme.

Analyse 

Selon le plaignant, dans le passage visé, « l’auteur(e) semble vouloir donner l’impression qu’une grande quantité d’enseignant(e)s se retournent contre la FAE ». Il allègue que « bien qu’il soit normal que des chefs syndicaux soient critiqués et même que certains souhaitent leur départ, le manque de rigueur dans la présentation de l’information, le manque de contexte laisse croire au lecteur qu’il y a une mutinerie ».

Le média avance, en début d’article, que « l’annonce d’une proposition de règlement sectorielle entre la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ) et le gouvernement Legault vendredi matin [le 22 décembre] a fait bondir des dizaines d’enseignants du syndicat de la FAE, en grève depuis plus de 4 semaines et toujours sans règlement. » Il présente ensuite sept commentaires d’internautes en exemple, dont celui faisant l’objet du présent grief.

Les recherches du Conseil ont permis de constater que ce commentaire est une réponse à un autre commentaire, dans lequel est aussi exprimé le souhait qu’on puisse « virer un syndicat » si la FSE règle avant la FAE : « La FSE est en blitz de négociations et les résultats seront connus demain. S’ils règlent avant la FAE, vous allez vraiment avoir des comptes à rendre à vos membres! J’espère vraiment qu’on peut virer un syndicat ». Au moment de la publication de l’article, les commentaires présentant un point de vue négatif à l’égard de la FAE étaient majoritaires sur la page Facebook de l’organisation syndicale. On y retrouve également un autre appel à la démission : « Sérieusement Mélanie Hubert doit donner sa démission ce matin même ».

Pour qu’un grief de sensationnalisme soit retenu, l’information rapportée doit déformer la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits, ce qui n’est pas le cas ici. Le média ne déforme pas la réalité en choisissant de publier le commentaire en cause. Il rend compte de témoignages recueillis lors de l’annonce de la proposition de règlement sectorielle. De plus, en annonçant que « d’autres demandent la tête des dirigeants syndicaux », le média ne donne pas d’indication sur le nombre de commentaires similaires. Les recherches du Conseil ayant permis d’en repérer au moins deux autres qui vont dans le même sens, d’affirmer que « d’autres demandent la tête des dirigeants syndicaux » ne déformait donc pas la réalité.

Un grief de sensationnalisme a aussi été rejeté dans le dossier D2020-04-064, dans lequel un journaliste avait rapporté le mécontentement de citoyens de Deschambault-Grondines, une municipalité de la région de la Capitale-Nationale, concernant la vente d’un immeuble et d’un terrain appartenant à Hydro-Québec. Le reportage visé par cette plainte rapportait « le malaise de citoyens face à la vente d’un bâtiment appartenant à Hydro-Québec au fils d’un conseiller municipal ». Selon la plaignante, « “le reportage démontr[ait] une intention évidente de susciter une impression de scandale plutôt que de rapporter l’information factuelle” ». Le Conseil a déterminé que la plaignante interprétait le contenu du reportage qui rapportait « sans exagération le mécontentement de citoyens concernant ce qu’ils perçoivent comme un manque de transparence dans la gestion de la transaction du Centre Hydro-Québec, dont certains auraient souhaité se porter acquéreurs ».

De la même manière, dans le cas présent, l’article rapporte sans exagération des commentaires qui expriment le mécontentement d’internautes, qui peuvent être des enseignants, à l’égard de leurs chefs syndicaux à la suite de l’annonce de la proposition de règlement sectorielle entre la FSE et le gouvernement. Le média n’a pas fait preuve de sensationnalisme en rapportant ce commentaire. 

Note

Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Nicolas Boutin visant l’article « “La FAE : le Titanic des temps modernes!” Des syndiqués en colère s’expriment », publié sur les sites Internet de TVA Nouvelles et du Journal de Montréal, concernant les griefs de manque d’équilibre et de sensationnalisme.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

Susanne Legault, présidente du comité des plaintes

Charles-Éric Lavery

Représentants des journalistes

Stéphane Baillargeon

Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse

Stéphan Frappier

Sylvain Poisson