D2024-01-001

Plaignant

Jocelyn Grégoire

Mis en cause

Julien McEvoy, journaliste

Le quotidien Le Journal de Montréal

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 11 janvier 2024

Date de la décision

Le 22 novembre 2024

Résumé de la plainte

Jocelyn Grégoire dépose une plainte le 11 janvier 2024 au sujet de l’article « Ordonnances contre Jocelyn Grégoire : une star de l’immobilier déboutée en cour », du journaliste Julien McEvoy, publié sur le site Internet du Journal de Montréal le 13 décembre 2023. Le plaignant déplore des informations inexactes, des informations incomplètes et du sensationnalisme.

Contexte

Le 13 décembre 2023, le quotidien Le Journal de Montréal publie un article du journaliste économique Julien McEvoy intitulé « Ordonnances contre Jocelyn Grégoire : une star de l’immobilier déboutée en cour ». On rapporte dans ce texte de journalisme factuel que Jocelyn Grégoire – un « influenceur », investisseur immobilier et l’auteur du livre De bum à millionnaire – fait l’objet d’une décision provisoire du Tribunal administratif des marchés financiers (TMF), rendue le 5 décembre 2023. Ce jugement temporaire ordonne notamment à M. Grégoire et à son entreprise Cedma Finance de cesser d’agir à titre de courtiers hypothécaires jusqu’à ce qu’une décision finale sur le fond de l’affaire soit rendue ultérieurement par le TMF.

Griefs du plaignant

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la rélité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

1.1 Danger/Arrêter de prêter de l’argent

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant de l’article.

« Une juge du TMF reconnaît le danger et ordonne à Grégoire d’arrêter immédiatement de prêter de l’argent, et ce, jusqu’à nouvel ordre. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point. 

Analyse

Le plaignant, Jocelyn Grégoire, estime que le passage de l’article retranscrit ci-dessus contient de l’information inexacte. Il soutient : « Nulle part dans la décision du TMF la juge ne “reconnaît le danger” […]. Il s’agit d’une décision provisoire et ces affirmations sont fausses. Le journaliste cite faussement la juge du TMF qui a rendu la décision le 5 décembre [2023], commettant ainsi une inexactitude majeure qui altère la compréhension du sujet et induit le public en erreur. » 

Le plaignant ajoute : « De plus, rien dans la décision du TMF ne fait état que “Grégoire doit immédiatement arrêter de prêter de l’argent”. La décision vise des prêts spécifiques et n’empêche pas la société 9256-7619 Québec inc. de faire des prêts qui respectent la loi en tenant pour acquis que le jugement est bien fondé. Par conséquent, les activités de mon entreprise peuvent donc continuer dans le respect de la décision du TMF. »

Les mis en cause, Julien McEvoy et Le Journal de Montréal, n’ont pas souhaité formuler de commentaire au sujet de la plainte.

Avant de nous pencher sur les termes précis que le plaignant juge inexacts dans le cadre de ce grief, il est important de souligner que dans le passage en cause, le journaliste Julien McEvoy ne « cite » pas la juge du Tribunal des marchés financiers (TMF), ni le jugement du TMF, contrairement à ce qu’allègue le plaignant. La phrase visée par le présent grief n’est pas placée entre guillemets, indiquant qu’il ne s’agit pas d’une citation directe. Le journaliste résume plutôt un jugement complexe et long de 37 pages. Il va à l’essentiel en vulgarisant pour le lecteur moyen le contenu d’un texte de nature juridique qui comporte de nombreuses technicalités afin de le rendre plus intelligible. 

Examinons maintenant la première partie de la phrase que le plaignant considère inexacte, c’est-à-dire : « Une juge du TMF reconnaît le danger […]. » À la lecture du jugement du TMF, on constate en effet que le mot « danger » ne s’y trouve pas. La question de protection du public est toutefois soulevée à deux endroits de la décision, tel qu’on peut le lire ci-dessous (soulignements du Conseil).

« [23] Le Tribunal considère que l’exercice illégal d’activités réservées à des personnes inscrites auprès de l’Autorité constitue un manquement fondamental à la Loi sur la distribution de produits et services financiers et à la Loi sur les valeurs mobilières qui nécessite des ordonnances d’interdiction de ces activités dans le but de protéger le public. »

« [160] Selon le Tribunal, la protection du public risque d’être compromise si les intimés continuent d’exercer leurs activités commerciales dans leur forme actuelle. La preuve présentée par l’Autorité démontre prima facie que les intimés exerceraient des activités et poseraient des actes prévus à la Loi sur la distribution de produits et services financiers et à la Loi sur les valeurs mobilières sans être inscrits auprès d’elle. »

Or, si le TMF a estimé qu’il était nécessaire d’émettre des ordonnances provisoires contre M. Grégoire et son entreprise afin de protéger le public, il n’était pas inexact de résumer la situation en affirmant qu’« une juge du TMF reconnaît le danger ». Lorsqu’on protège le public, c’est pour le prémunir d’un danger. Ainsi, on ne constate aucune inexactitude dans l’utilisation du mot « danger » pour paraphraser ces extraits du jugement. 

Un cas comparable portant sur l’utilisation d’un terme spécifique a été observé dans la décision D2017-03-051. Dans ce dossier, la plaignante contestait l’utilisation du terme « limoger », affirmant qu’il était inexact d’employer ce verbe pour qualifier le congédiement d’une employée municipale. Le Conseil, en se basant sur la définition que le dictionnaire Larousse donne de ce verbe (« Priver quelqu’un de son poste, de ses fonctions, en le déplaçant ou en le destituant »), a jugé qu’il reflétait bien la réalité de la situation et a rappelé « qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. »

De la même façon, dans le cas présent, bien que le plaignant interprète le mot « danger » à sa façon, il n’était pas inexact pour le journaliste d’utiliser ce terme pour résumer la décision. Lorsque la juge annonce que « la protection du public risque d’être compromise », cela peut comprendre la notion de « reconnaître un danger ».

En second lieu, le plaignant est d’avis qu’il était inexact d’écrire que la juge du TMF « ordonne à Grégoire d’arrêter immédiatement de prêter de l’argent ». À nouveau, référons-nous au jugement du TMF, et plus particulièrement aux paragraphes 200 et 203, qui sont reproduits ci-dessous (soulignements du Conseil).

« [200] Le Tribunal accepte de rendre les ordonnances recherchées par l’Autorité en ordonnant, dans l’intérêt public, aux intimés de cesser d’agir à titre de courtier hypothécaire et à titre de cabinet qui offre des produits et services dans la discipline du courtage hypothécaire sans être inscrits auprès de l’Autorité et en leur interdisant d’exercer l’activité de courtier et de conseiller au sens de la Loi sur les valeurs mobilières incluant en leur interdisant toute promotion ou tout démarchage par Internet, les médias sociaux ou autrement. »

« [203] Tel que demandé par l’Autorité, le Tribunal permet aux intimés de poursuivre et de finaliser l’exécution de la gestion des prêts en cours, et ce, jusqu’à ce que le Tribunal rende une décision finale à la suite de l’instruction sur le fond du dossier. Le Tribunal croit opportun que les intimés fournissent à l’Autorité une liste des prêts en cours en date de la présente décision pour lesquels un acte de prêt hypothécaire a été conclu. »

À la lecture de ces deux paragraphes, il est clairement indiqué que M. Grégoire et son entreprise doivent cesser leurs activités de courtage hypothécaire, autrement dit de prêteurs dans le domaine de l’immobilier, à l’exception des prêts qui sont déjà en cours, et pour lesquels on peut vraisemblablement considérer que l’argent a déjà été prêté. Ainsi, le journaliste Julien McEvoy n’a pas rapporté d’information inexacte en écrivant que le Tribunal « ordonne à Grégoire d’arrêter immédiatement de prêter de l’argent ». Il aurait certes été plus précis d’ajouter à cette phrase qu’on interdit à M. Grégoire de prêter de l’argent « dans le cadre de ses activités de courtier hypothécaire », mais on ne peut conclure pour autant que le passage contient une inexactitude.

En somme, l’essentiel de cette affaire est que le Tribunal des marchés financiers a ordonné à M. Grégoire et à son entreprise de cesser temporairement leurs activités de courtage hypothécaire afin de protéger le public, et ce, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur le fond de l’affaire. Il n’était donc pas inexact d’écrire dans l’article en cause : « Une juge du TMF reconnaît le danger et ordonne à Grégoire d’arrêter immédiatement de prêter de l’argent, et ce, jusqu’à nouvel ordre. » C’est pourquoi le grief d’information inexacte est rejeté. 

1.2 Contrevenir à la loi

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant de l’article.

« C’est pourquoi, indique la juge, ils contreviennent à la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’à la Loi sur les valeurs mobilières. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point. 

Analyse

Le plaignant considère que le passage de l’article retranscrit ci-dessus contient de l’information inexacte. Il explique : « Nulle part dans la décision du TMF la juge […] n’indique que “[moi ou mes entreprises] contreviennent à la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’à la Loi sur les valeurs mobilières”. Il s’agit d’une décision provisoire et ces affirmations sont fausses. Le journaliste cite faussement la juge du TMF qui a rendu la décision le 5 décembre dernier, commettant ainsi une inexactitude majeure qui altère la compréhension du sujet et induit le public en erreur. »

À l’instar du grief précédent, il importe d’abord de spécifier que le passage en cause ici n’est pas une citation, comme le soutient le plaignant, mais plutôt une paraphrase qui résume de manière succincte le contenu d’un jugement de 37 pages.

Pour mieux analyser le passage, prenons la phrase visée par le présent grief dans le contexte de l’ensemble de l’article. Au troisième paragraphe du texte de Julien McEvoy, on peut lire cette phrase : « L’investisseur doit immédiatement arrêter de prêter de l’argent, comme le demandait l’AMF [Autorité des marchés financiers]. Le fond de l’affaire sera tranché plus tard. Grégoire et son entreprise, Cedma Finance, commettraient sinon “des manquements graves et sérieux” à deux lois, écrit la juge Antonietta Malchiorre. » Puis, un peu plus bas, se trouve le passage visé par le présent grief : « Ni Grégoire ni Cedma ne détiennent toutefois les licences requises pour agir en tant que courtiers hypothécaires. C’est pourquoi, indique la juge, ils contreviennent à la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’à la Loi sur les valeurs mobilières. »

À titre comparatif, référons-nous à nouveau au contenu du jugement provisoire rendu par le TMF, et plus particulièrement aux paragraphes 20, 22 et 23, que nous reproduisons ci-dessous (soulignements du Conseil).

« [20] Selon le Tribunal, l’Autorité a présenté une preuve prima facie qui lui permet de conclure que les intimés commettraient des manquements graves et sérieux tant à la Loi sur la distribution de produits et services financiers qu’à la Loi sur les valeurs mobilières, des lois d’ordre public, exigeant une intervention immédiate du Tribunal. »

« [22] De plus, l’Autorité a présenté une preuve prima facie que Jocelyn Grégoire et Cedma Finance auraient notamment exercé l’activité de courtier et de conseiller en valeurs en effectuant du démarchage visant le placement de créances hypothécaires syndiquées auprès de prêteurs investisseurs, et ce, sans être inscrits à ce titre auprès de l’Autorité en contravention avec la Loi sur les valeurs mobilières. »

« [23] Le Tribunal considère que l’exercice illégal d’activités réservées à des personnes inscrites auprès de l’Autorité constitue un manquement fondamental à la Loi sur la distribution de produits et services financiers et à la Loi sur les valeurs mobilières qui nécessite des ordonnances d’interdiction de ces activités dans le but de protéger le public. »

Afin de rendre compte plus précisément du fait qu’il s’agit d’un jugement provisoire basé sur une preuve prima facie (à première vue), le journaliste aurait pu employer le verbe « contrevenir » au conditionnel dans la phrase « C’est pourquoi, indique la juge, ils contreviennent [contreviendraient] à la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’à la Loi sur les valeurs mobilières ». Cependant, on ne saurait y voir une inexactitude, car le journaliste annonce d’entrée de jeu que « le fond de l’affaire sera tranché plus tard », en plus d’utiliser le conditionnel à plusieurs autres occasions au long de l’article, ce qui permet au lecteur de faire la part des choses. Qui plus est, selon le Tribunal, la preuve prima facie ayant été présentée était suffisamment probante et les infractions alléguées suffisamment graves pour nécessiter des ordonnances d’interdiction provisoire afin de stopper les activités de courtage hypothécaire de M. Grégoire et de son entreprise. 

Pour ces raisons, le grief d’information inexacte est rejeté.

1.3 Protection du public compromise

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont transmis de l’information inexacte dans le passage suivant de l’article.

« “La protection du public est compromise”, déclare le Tribunal administratif des marchés financiers (TMF) dans sa décision du 5 décembre. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information inexacte sur ce point. 

Analyse

Le plaignant juge que le passage de l’article retranscrit ci-dessus contient de l’information inexacte. Il affirme : « Nulle part dans la décision du TMF la juge ne déclare que “la protection du public est compromise”. Cette affirmation est inexacte. Elle est basée sur une interprétation erronée de la décision du TMF. Dans ce passage, le journaliste McEvoy fait dire à la juge du TMF ce qu’elle n’a pas écrit, en déformant ses propos, ce qui relève à mon avis d’une inexactitude majeure. »

Contrairement aux deux griefs d’information inexacte étudiés précédemment, nous avons affaire ici à une citation directe placée entre guillemets. Le journaliste Julien McEvoy attribue clairement la phrase « La protection du public est compromise » au TMF, alors qu’à aucun endroit dans la décision le Tribunal n’émet cet avis, ce qui constitue un manquement au principe déontologique d’exactitude de l’information.

À la lecture du jugement du TMF, on constate que la phrase « La protection du public est compromise » se trouve textuellement au paragraphe 12, mais qu’il s’agit des propos de la partie demanderesse, en l’occurrence l’AMF, et non de l’avis du Tribunal, ce qui constitue une nuance importante.

Compte tenu qu’il s’agit d’un jugement provisoire basé sur une preuve prima facie (à première vue) et que le fond de l’affaire doit être tranché ultérieurement, le Tribunal stipule plutôt de manière spéculative, au paragraphe 160 :

[160] Selon le Tribunal, la protection du public risque d’être compromise si les intimés continuent d’exercer leurs activités commerciales dans leur forme actuelle. La preuve présentée par l’Autorité démontre prima facie que les intimés exerceraient des activités et poseraient des actes prévus à la Loi sur la distribution de produits et services financiers et à la Loi sur les valeurs mobilières sans être inscrits auprès d’elle.

Ainsi, il était inexact de rapporter dans l’article que « “La protection du public est compromise”, déclare le Tribunal administratif des marchés financiers » puisque le Tribunal mentionne plutôt que « la protection du public risque d’être compromise », faisant référence à un danger éventuel ou potentiel qui n’a pas été pleinement établi. 

Une grande prudence est de mise lorsqu’on rapporte des propos sous forme de citation directe placée entre guillemets. Un manquement commis dans un contexte similaire a été constaté dans le dossier D2016-04-129, où un grief d’information inexacte a été retenu contre le chroniqueur Richard Martineau. Celui-ci avait rapporté entre guillemets une citation qui ne se trouvait à aucun endroit dans un jugement des tribunaux. Le Conseil a fait valoir : « Aux yeux des membres du comité des plaintes, la gravité [des] deux fautes d’inexactitude [précédentes] est amplifiée du fait qu’elle découle, en partie du moins, d’une citation que le chroniqueur a inventée de toutes pièces et qu’il attribue dans son texte à la juge Verreault, lorsqu’il lui fait dire, guillemets à l’appui : “ ‘Dans leur culture, la virginité est très importante, et en ne la pénétrant pas dans le vagin, l’homme a préservé la virginité de sa fille’, a-t-elle dit.” Nulle part dans la transcription sténographique de la décision de cette dernière ne retrouve-t-on ce passage. Il semble […] que cette citation inventée soit une paraphrase très approximative de ce passage de la transcription : “Les facteurs atténuants sont l’absence… pardon, le fait que l’accusé n’ait pas eu de relations sexuelles normales et complètes avec la victime, c’est-à-dire des relations sexuelles vaginales, pour être plus précis, de sorte que celle-ci puisse préserver sa virginité, ce qui semble être une valeur très importante dans leurs religions respectives. On peut donc dire, d’une certaine façon et à cet égard, que l’accusé a ménagé la victime.” »

Le cas qui nous concerne ici ne comprend pas une citation inventée de toutes pièces par le journaliste, mais il n’en demeure pas moins que M. McEvoy a confondu les propos de la partie demanderesse avec ceux du Tribunal, commettant ainsi un manquement au principe d’exactitude de l’information. C’est pourquoi le grief est retenu. 

Grief 2 : informations incomplètes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 d) du Guide)

2.1 Décision du TMF

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dans les passages suivants de l’article.

« Une juge du TMF reconnaît le danger et ordonne à Grégoire d’arrêter immédiatement de prêter de l’argent, et ce, jusqu’à nouvel ordre. »

« C’est pourquoi, indique la juge, ils contreviennent à la Loi sur la distribution de produits et services financiers ainsi qu’à la Loi sur les valeurs mobilières. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.  

Analyse 

Le plaignant soutient que les deux passages retranscrits ci-dessus contiennent de l’information incomplète. Il considère  que « l’article ne fait pas état de toutes les nuances de la décision du TMF, lesquelles sont essentielles à sa bonne compréhension et très complexes. Ce passage contrevient donc […] au principe de complétude […]. » 

Dans le cadre de ce grief, le plaignant ne précise pas quels sont les éléments d’information contenus dans la décision du TMF qui auraient été essentiels à la bonne compréhension du sujet abordé et qui auraient dû obligatoirement se retrouver dans l’article. Il n’explique pas non plus de quelle manière l’absence de telles informations altère la compréhension du sujet traité. 

Un manque de précisions semblable a été observé dans le dossier D2021-05-100, où le Conseil a rejeté un grief d’incomplétude portant sur des explications fournies par un expert en cybersécurité à propos d’une fuite de données de la plateforme en ligne Place 0-5. On peut lire dans cette décision : « Le plaignant n’explique pas quels éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet ont été omis dans le cas présent. Il ne précise pas non plus quel contexte il aurait souhaité voir pour accompagner sa [propre] citation. […] le grief d’information incomplète est rejeté, faute de preuves pour appuyer les allégations du plaignant. »

De même manière, on ne peut que rejeter le grief d’incomplétude à l’étude ici puisque le plaignant n’indique pas quelles sont les informations manquantes dont l’absence aurait pu affecter la compréhension du sujet. D’autre part, on ne peut s’attendre à ce qu’un article journalistique présente toutes les nuances et subtilités contenues dans un jugement des tribunaux. Le rôle du journaliste est d’en résumer les grandes lignes sans omettre d’éléments essentiels qui pourraient altérer le propos de façon significative. 

2.2 Règlements hors cour

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dans les passages suivants de l’article.

« Juillet 2020 – Poursuite de 1,3 M$ de la Banque Royale contre Grégoire et d’autres. Crackboom – un franchiseur d’écrans publicitaires installés dans des commerces qui lui appartient en partie – n’a pas payé sa dette pendant la pandémie, accuse la banque. »

« Novembre 2020 – Saisies de deux maisons qui appartiennent à Grégoire. Le litige l’oppose à un copropriétaire de Crackboom, Daniel Jutras – un homme au passé criminel notamment arrêté dans l’opération SharQc, qui visait le démantèlement des Hells Angels. »

« Mars 2021 – Une ordonnance de type Mareva est émise contre Grégoire. La Cour supérieure lui interdit de se départir d’au moins 30 immeubles, car il est soupçonné de camoufler des biens ou d’en réduire la valeur. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.  

Analyse 

Le plaignant estime que les trois passages retranscrits ci-dessus contiennent de l’information incomplète à propos de règlements hors cour. Il avance : « Une simple recherche au plumitif des différents dossiers de cour cités […] aurait permis de constater que la poursuite de la Banque Royale de juillet 2020 […], celle de M. Jutras de novembre 2020 […], ainsi [que] l’ordonnance de type Mareva de mars 2021 […] ont été réglées hors cour […]. »

Il ajoute : « Le journaliste Julien McEvoy n’a fait que reprendre les faits non véridiques qui se retrouvaient dans des articles précédents parus par ses collègues du même média sans revérifier l’état du dénouement des affaires judiciaires, laissant ainsi croire ou présager au public en général que j’ai de nombreux litiges en cours devant les tribunaux, ce qui est complètement faux. »

Notons que les trois paragraphes de l’article visés par ce grief se trouvent à la toute fin du texte et qu’ils sont coiffés du surtitre « Jocelyn Grégoire et la justice ». Cette section du texte est une brève chronologie faisant état des démêlés de M. Grégoire avec la justice entre juillet 2020 et décembre 2023. Dans un contexte où les trois passages mis en cause ici sont de courts résumés qui viennent bonifier l’article mais qui n’en constituent pas le thème principal, les éléments manquants souhaités par le plaignant dans cette brève chronologie n’étaient pas essentiels à la compréhension du sujet, ledit sujet étant la décision provisoire du Tribunal des marchés financiers du 5 décembre 2023 visant Jocelyn Grégoire et son entreprise. 

À cet effet, la décision antérieure ​D2022-09-203 rappelle qu’« en déontologie journalistique, le principe de complétude […] n’implique pas que tous les éléments intéressants ou éclairants d’un sujet doivent nécessairement se retrouver dans un texte ou un reportage. Bien que des précisions et des explications puissent toujours ajouter à la compréhension d’un sujet, lorsqu’on évalue s’il y a eu faute d’information incomplète, le Guide nous rappelle que la complétude, dans le traitement d’un sujet, signifie que les éléments “essentiels à sa bonne compréhension” y sont présentés. Cela signifie que seuls les éléments indispensables à la compréhension du sujet traité doivent se retrouver dans le texte ou le reportage afin de respecter le principe de complétude, les autres éléments relevant de la liberté éditoriale du média. »

De la même façon, dans le cas présent, les éléments apportés par le plaignant, bien qu’intéressants, n’étaient pas essentiels à la compréhension du sujet.

Par ailleurs, en consultant le plumitif des trois dossiers dont il est question dans ce grief, on constate que le premier dossier impliquant la Banque Royale (juillet 2020) a fait l’objet d’un règlement hors cour qui est daté du 11 janvier 2024, soit près d’un mois après la publication de l’article de Julien McEvoy. Cette information n’était donc pas disponible au moment où Le Journal de Montréal a publié le texte faisant l’objet de la plainte. 

De plus, le plumitif du deuxième dossier impliquant Daniel Jutras (novembre 2020) et du troisième dossier relatif à une ordonnance de type Mareva (mars 2021) ne contiennent ni l’un ni l’autre la mention « règlement hors cour ». On n’y retrouve que les termes « désistement partiel » et « règlement partiel » dans le cas du dossier Jutras, et la mention « inscription sur confession » dans le dossier d’ordonnance de type Mareva. Le plaignant n’a pas fourni au Conseil de preuves suffisantes pour soutenir ses allégations.

Pour l’ensemble de ces motifs, le grief d’information incomplète est rejeté.

2.3 Dossier d’octobre 2020

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont omis de présenter des éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dans le passage suivant de l’article.

« Octobre 2020 – Poursuite de 8 M$ de 15 petits investisseurs contre Grégoire et d’autres. On leur a demandé d’investir entre 45 000$ et 65 000$ dans Crackboom en leur promettant des profits annuels de 190 000$ et 430 000$, ce qui ne se serait jamais produit. Le litige s’est réglé hors cour. »

Décision

Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.  

Analyse 

Le plaignant considère que le passage retranscrit ci-dessus contient de l’information incomplète concernant « le retrait des allégations contenues dans les procédures ». Il explique : « Bien que le journaliste Julien McEvoy ait pris la peine d’indiquer que le dossier d’octobre 2020 s’est réglé hors cour, ce dernier a volontairement omis de mentionner que les allégations contenues dans les procédures avaient été retirées, et ce, comme si elles n’avaient jamais eu lieu, tel qu’il appert du communiqué conjoint de règlement hors cour. »

Comme c’était le cas au grief précédent, le passage de l’article en cause ici se trouve à la toute fin du texte, dans une section qui résume brièvement les démêlés de M. Grégoire avec la justice. Cette partie du texte est un complément à l’article et n’en constitue pas le sujet principal.

À nouveau, dans le cas présent, l’élément d’information additionnel qu’apporte le plaignant n’était pas essentiel à la compréhension du sujet. M. Grégoire ne démontre pas en quoi le fait que le journaliste n’ait pas mentionné « que les allégations contenues dans les procédures avaient été retirées » aurait pu altérer de manière significative la compréhension du sujet pour le lecteur. C’est pourquoi le grief d’information incomplète est rejeté.

Grief 3 : Sensationnalisme

Principe déontologique applicable

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal ont déformé la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements, dans le passage suivant de l’article.

« L’auteur du livre De bum à millionnaire pourrait redevenir un bum. Jocelyn Grégoire vient de subir un revers en cour contre l’Autorité des marchés financiers (AMF) : ses activités de courtier hypothécaire, jugées a priori illégales, sont interdites jusqu’à nouvel ordre. »

Décision

Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme.

Analyse

Le plaignant estime que le passage retranscrit ci-dessus est sensationnaliste. Il affirme : « Le passage visé est sensationnaliste. Il comporte une information non véridique et le journaliste Julien McEvoy déforme la réalité et interprète abusivement la portée réelle des faits en exagérant l’impact de la décision provisoire du TMF. »

Bien que le plaignant considère sensationnaliste le passage visé par ce grief, il ne précise pas quels sont les termes qui auraient pour effet de déformer la réalité ou d’interpréter abusivement la portée réelle des faits. Il avance que le journaliste exagère « l’impact de la décision provisoire du TMF », sans fournir davantage d’explications. Par ailleurs, le plaignant mentionne que le passage en question comporte « une information non véridique », mais n’explique pas quelle serait ladite information inexacte. À défaut d’explications claires, il est impossible de voir dans l’extrait du texte mis en cause ici un quelconque manquement au principe déontologique portant sur le sensationnalisme. 

Une situation quelque peu similaire a été constatée dans le dossier D2020-04-064. La plainte visait un reportage dans lequel on rapportait « le malaise de citoyens face à la vente d’un bâtiment appartenant à Hydro-Québec au fils d’un conseiller municipal ». Selon la plaignante, « “le reportage démontr[ait] une intention évidente de susciter une impression de scandale plutôt que de rapporter l’information factuelle”. Elle ne vis[ait] cependant aucun […] terme en particulier qui témoigner[ait] de sensationnalisme ». Le Conseil a déterminé que la plaignante interprétait le contenu du reportage qui rapportait « sans exagération le mécontentement de citoyens concernant ce qu’ils perçoivent comme un manque de transparence dans la gestion de la transaction du Centre Hydro-Québec, dont certains auraient souhaité se porter acquéreurs ». Le grief a été rejeté puisque la plaignante n’a pas été en mesure de démontrer d’exagération ou d’interprétation abusive des faits.

Le même constat s’impose dans le cas présent. Le plaignant s’est contenté de pointer un passage de l’article sans expliquer en quoi la réalité y serait déformée ou les faits y seraient interprétés de façon abusive. À la lecture du passage, on ne constate aucun terme qui n’est pas conforme à la réalité.

Par ailleurs, l’utilisation du mot « bum » dans l’extrait visé ne constitue aucunement une entorse à la réalité, comme il s’agit d’une étiquette que M. Grégoire s’était lui-même accolée dans le titre de son livre De bum à millionnaire. L’emploi de ce terme n’excède donc pas les limites de la liberté éditoriale dont disposent les médias. Pour toutes ces raisons, le grief de sensationnalisme est rejeté.

Note

Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Jocelyn Grégoire concernant un grief de citation inexacte dans l’article « Ordonnances contre Jocelyn Grégoire : une star de l’immobilier déboutée en cour », du journaliste Julien McEvoy, publié sur le site Web du Journal de Montréal le 13 décembre 2023. Les deux autres griefs d’informations inexactes, les trois griefs d’informations incomplètes et le grief de sensationnalisme sont rejetés. Considérant qu’un des griefs d’inexactitude a été retenu, le journaliste Julien McEvoy et Le Journal de Montréal reçoivent un blâme. 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes
Vincent Brousseau-Pouliot
Sylvie Fournier

Représentants des entreprises de presse
Sophie Bélanger
Éric Grenier