D2024-01-002
Plaignante
Ève Sasseville
Mis en cause
Florence Lamoureux, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 15 janvier 2024
Date de la décision
Le 25 octobre 2024
Résumé de la plainte
Ève Sasseville dépose une plainte le 15 janvier 2024 au sujet de l’article « Pères violents : des mères se font retirer la garde de leur enfant », de la journaliste Florence Lamoureux, diffusé le même jour sur le site Internet du Journal de Montréal. La plaignante déplore un manque d’équilibre, de l’information inexacte et un manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
Contexte
Dans cet article, la journaliste rapporte les inquiétudes de deux avocates spécialisées en droit de la famille qui constatent que des mères victimes de violence conjugale en processus de divorce se font retirer la garde de leurs enfants parce qu’elles sont considérées « aliénantes » par des intervenants de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Me Valérie Assouline, qui représente certaines de ces mères, affirme que « c’est plutôt la direction de la protection des papas. »
La deuxième partie de l’article décrit trois cas présentés devant les tribunaux où la garde des enfants a été confiée au père même si celui-ci était suspecté ou accusé de violence conjugale, parce que la DPJ estimait qu’il y avait aliénation parentale de la part de la mère.
Dans l’article disponible en ligne, on retrouve, en vidéo intégrée, un épisode de l’émission de QUB Radio animée par Yasmine Abdelfadel durant lequel la journaliste Florence Lamoureux présente les cas mentionnés dans son article. Durant son intervention, la journaliste indique qu’elle a parlé avec plusieurs mères. Mme Abdelfadel réalise par la suite une entrevue avec Me Valérie Assouline, qui est citée dans l’article.
Griefs de la plaignante
Grief 1 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et Le Journal de Montréal ont manqué à leur devoir de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence, dans le passage suivant de l’article :
« Des mères victimes de violence conjugale et en plein divorce sont jugées “aliénantes” par des intervenantes de la DPJ. En raison de cette étiquette, elles se font carrément retirer la garde de leur enfant. Des avocates spécialisées en droit de la famille et de la jeunesse sont inquiètes du nombre de dossiers semblables qui se retrouvent sur leur bureau.
“La direction de la protection de la jeunesse, dit-on? C’est plutôt la direction de la protection des papas”, a lancé Me Valérie Assouline au micro QUB. “Comment des mères peuvent-elles être accusées d’aliénation parentale par des criminologues ou des agents de relations humaines et se faire enlever leurs enfants?” »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief de manque d’équilibre.
Analyse
La plaignante déplore : « La journaliste ne fait mention d’aucune démarche pour discuter avec d’autres experts dans le domaine, par exemple : un professeur, un chercheur, un directeur de la protection de la jeunesse, un commissaire de la Commission Laurent. »
Elle ajoute : « Ce type d’article est très dangereux, notamment sur l’impact que ces articles ont sur la manière dont la DPJ est perçue par le public, particulièrement par les gens vulnérables. »
La plaignante affirme que « la journaliste se base sur les affirmations d’un groupe d’avocates » pour affirmer deux choses : « Des mères victimes de violence conjugale et en plein divorce sont jugées “aliénantes” par des intervenantes de la DPJ » et « En raison de cette étiquette, elles se font carrément retirer la garde de leur enfant. »
Les mis en cause n’ont pas souhaité formuler de commentaire au sujet de la plainte.
Afin de déterminer s’il y a eu manque d’équilibre, il faut d’abord identifier les parties en présence dans le sujet de l’article visé et ensuite évaluer s’il y a une juste pondération de leur point de vue.
Dans le cas présent, la première phrase de l’article résume la situation déplorée par les deux avocates interrogées : « Des mères victimes de violence conjugale et en plein divorce sont jugées “aliénantes” par des intervenantes de la DPJ. »
Les témoignages des avocates Valérie Assouline et Andreea Popescu remettent en cause les décisions prises par la DPJ. C’est notamment le cas dans l’extrait suivant :
« “La direction de la protection de la jeunesse, dit-on? C’est plutôt la direction de la protection des papas”, a lancé Me Valérie Assouline au micro QUB. “Comment des mères peuvent-elles être accusées d’aliénation parentale par des criminologues ou des agents de relations humaines et se faire enlever leurs enfants?”
Une autre avocate, Me Andreea Popescu, dénonce elle aussi la situation.
“Il n’est pas rare que le système de la protection de la jeunesse confie certains enfants aux pères, alors qu’ils font face à des accusations criminelles en lien avec la violence conjugale dénoncée par les mères.” »
Les exemples de cas qui se sont retrouvés devant les tribunaux illustrent les reproches faits aux intervenantes de la DPJ, comme dans le passage suivant :
« La mère du petit Miguel vivait de la violence conjugale et s’est récemment séparée. Le père a un lourd passé criminel et a toujours de mauvaises fréquentations.
La police a trouvé chez lui des quantités impressionnantes de drogue et même des armes.
Lors de sa visite chez le pédiatre, l’enfant a affirmé avoir été frappé dans le ventre par son père. Le médecin a fait deux signalements à la DPJ.
Conclusion : une intervenante de la DPJ estime qu’il y a eu aliénation parentale de la part de la mère et confie l’enfant au père.
Du jour au lendemain, la mère s’est vu offrir une seule rencontre d’une heure trente par semaine avec son enfant.
Cette mère se fait dire par l’intervenante de la DPJ qu’il faut “déprogrammer son enfant” en faisant une “coupure drastique” avec lui.
Ce qui soulève encore plus de questions, c’est qu’en 2022, un juge avait estimé que le père devait être supervisé lors de ses contacts avec Miguel étant donné son manque de capacité parentale. »
Comme on peut le constater, les allégations envers la DPJ sont très graves. Devant les reproches et les exemples concrets rapportés dans l’article visé par la plainte, il ne fait aucun doute que la DPJ est l’une des parties en présence. Elle est au cœur du sujet de l’article et il fallait lui donner la chance de répondre à ces allégations graves. Or, l’article ne présente pas son point de vue, ni celui du ministre délégué aux Services sociaux, Lionel Carmant, qui est responsable de l’organisme. L’article ne fait pas non plus état de démarches pour obtenir les explications de la DPJ ou du ministre Carmant.
Nous ne savons pas si la journaliste du Journal de Montréal a tenté de joindre les responsables de la DPJ pour son reportage. Il est possible que la DPJ et le ministre aient refusé de lui répondre. Mais, lorsque des accusations si graves envers une personne ou une entité sont le sujet d’un reportage, un journaliste se doit de tout faire pour obtenir sa réponse. Et même devant un refus, il existe plusieurs façons d’apporter l’équilibre. Il est possible, par exemple, que la personne ou l’organisme visé ait déjà répondu aux allégations en question ou à des allégations semblables.
Dans le cas présent, quelques mois avant le reportage du Journal de Montréal, la chaîne Noovo Info avait diffusé un reportage sur le même sujet : des mères considérées comme « aliénantes » à qui la DPJ aurait enlevé la garde des enfants pour la donner à des pères jugés violents. Le ministre Carmant avait alors répondu. Dans l’article « Accusation d’aliénation parentale à la DPJ : “Ça va changer”, promet Carmant » publié sur le site de Noovo Info le 14 mars 2023, on pouvait par exemple lire :
« Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, affirme être sensible aux témoignages des mères qui ont perdu la garde de leurs enfants après avoir dénoncé de la violence conjugale, rapportés lundi par Noovo Info. Il affirme que des réformes sont déjà amorcées pour remédier à la situation.
“Je me suis déjà fortement opposé à ça”, a-t-il affirmé mardi avant son entrée au Salon bleu.
Il a rappelé que le gouvernement Legault avait modifié l’an dernier la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) et qu’une formation en ligne destinée aux intervenants en protection de la jeunesse a été lancée mercredi dernier.
“Ça va changer”, a promis le ministre. »
Dans le cas présent, si la journaliste du Journal de Montréal a essuyé un refus de la part de la DPJ ou du ministère responsable, une mention de cette sortie précédente du ministre Carmant sur le même sujet aurait permis d’offrir aux lecteurs un certain équilibre.
Le Conseil a maintes fois souligné que l’équilibre peut se faire sans parler directement aux parties, comme dans la décision D2022-06-189. Dans ce dossier visant un article qui rapportait l’issue du procès opposant l’acteur Johnny Depp à son ex-épouse, l’actrice Amber Heard, le Conseil a retenu le grief de manque d’équilibre. En plus d’informer sur le dénouement de ce procès médiatisé, l’article présentait les critiques d’une essayiste et d’une sociologue ainsi qu’un extrait de la déclaration publiée par Amber Heard à la suite du jugement. Les points de vue des commentatrices allaient « dans le sens de la déclaration d’Amber Heard ». Le Conseil a constaté que le journaliste a rapporté la réaction d’Amber Heard au verdict, mais pas celle de Johnny Depp, qui a pourtant réagi presque en même temps, soit quelques minutes après la lecture du verdict. La décision fait valoir que « le journaliste ne présente pas d’opinion divergente ». Le Conseil a déterminé que « le journaliste aurait pu rapporter un extrait de la déclaration de Johnny Depp faite à l’issue du verdict, soit la veille de la publication de l’article du Devoir ». Dans sa conclusion, le Conseil a souligné que Johnny Depp était « l’une des parties centrales dans ce litige ultra médiatisé. […] Le fait que ce reportage soit le seul article factuel du Devoir à propos du verdict et le choix du média de ne publier que la réaction de l’une des parties impliquées dans le procès, en plus de celle de deux commentatrices qui soutiennent le même point de vue, rend la couverture du verdict déséquilibré. Une perspective faisant contrepoids au point de vue d’Amber Heard et des deux commentatrices aurait permis un reportage équilibré. »
De la même façon, dans le cas présent, la DPJ est l’une des parties en présence puisqu’elle fait face à des allégations graves qui sont au cœur du sujet du reportage. La journaliste devait donc présenter la version des faits des responsables de l’organisme. Si, après avoir raisonnablement tenté d’obtenir une réponse et avoir octroyé un temps raisonnable pour répondre, elle était incapable d’un obtenir une, elle pouvait à tout le moins présenter une réponse publique déjà donnée sur le même sujet. Elle pouvait aussi, en dernier recours, expliquer ses démarches au public pour tenter de présenter la réponse des responsables de la DPJ.
Lorsqu’un organisme est visé par des allégations graves, il faut lui donner la chance de répondre. L’empressement de publier la nouvelle ne suffit pas pour lui enlever cette possibilité. Dans le dossier D2017-12-150, le Conseil a retenu le grief de manque d’équilibre qui visait un reportage affirmant que les dirigeants de deux mosquées de Montréal avaient exercé des pressions sur un entrepreneur pour qu’il n’y ait pas de travailleuses sur le chantier de construction à proximité de ces lieux de culte le vendredi, « pour ne pas nuire à la prière des fidèles ». Les plaignants déploraient que la réaction des responsables des mosquées n’ait pas été présentée dans l’intervention en direct de la journaliste. À la fin du reportage, la journaliste concluait son intervention de la manière suivante : « On va tenter d’aller aux réactions, de s’entretenir avec les propriétaires [des deux mosquées], mais je peux vous dire c’est une nouvelle qui fait vraiment vivement réagir dans le secteur. » En raison de la sensibilité du sujet et de la gravité des accusations visant les dirigeants des mosquées, le Conseil a estimé que la journaliste devait leur permettre de réagir avant d’aller en ondes et que rien ne justifiait de présenter cette nouvelle sans avoir obtenu l’autre version des faits.
De la même manière, dans le cas présent, les reproches formulés à l’endroit de la DPJ nécessitaient de présenter la version des faits des responsables de l’organisme. L’empressement de publier ne justifiait pas de présenter un article sans sa version et sans explication au sujet de l’absence de sa version des faits.
Bien que l’équilibre puisse parfois se faire dans le temps, dans le cas présent, un article de suivi contenant le point de vue du ministre Lionel Carmant a été publié sept jours après la publication de l’article initial. Ce n’était pas suffisant. L’article initial du Journal de Montréal aurait pu contenir la défense du ministre Carmant faite sur le même sujet auparavant, ou, à tout le moins, des explications sur les efforts de la journaliste pour tenter d’obtenir la version de la DPJ ou au sujet d’un refus de cette dernière, le cas échéant. Les lecteurs de l’article du Journal de Montréal du 15 janvier 2024 n’ont reçu aucune de ces informations. Considérant la gravité des allégations qui visaient la DPJ, la journaliste et le média ont manqué à leur devoir de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence.
Grief 2 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a transmis de l’information inexacte dans le passage suivant de l’article :
« Un élément consternant : la DPJ a cru bon d’accorder la garde de Léa et Rosalie au père, qui est en attente de son procès pour violence conjugale. »
Décision
Le Conseil rejette le grief de l’information inexacte.
Analyse
La plaignante considère que l’extrait ci-dessus présente de l’information inexacte. Elle affirme que « ce n’est pas la DPJ qui accorde la garde d’un enfant, mais bien le tribunal qui est amené à se pencher sur la situation d’un enfant ».
La plaignante indique avec raison que c’est un tribunal qui accorde la garde d’un enfant. Cependant, à la lecture du passage visé dans son contexte, on constate qu’il fait partie d’un extrait plus long dans lequel la journaliste décrit des événements qui se sont déroulés au tribunal. On y lit :
« Léa et Rosalie
Leur mère, récemment séparée, s’est vu retirer la garde de ses enfants par la DPJ pour cause d’aliénation parentale et conflit de séparation. Pourtant, elle s’occupait presque seule des enfants avant qu’ils ne soient placés.
Un élément consternant : la DPJ a cru bon d’accorder la garde de Léa et Rosalie au père, qui est en attente de son procès pour violence conjugale.
Lors d’une comparution de la mère au tribunal, Léa s’est effondrée en larmes quand elle a compris qu’elle allait maintenant résider chez son père. Elle a hurlé à pleins poumons devant le juge pendant près d’une heure.
Cette démonstration claire de peur et de détresse chez la petite Léa n’a pas fait broncher le juge ni les intervenantes de la DPJ. Au contraire, la mère s’est même fait reprocher de ne pas en avoir fait assez pour calmer la détresse chez son enfant.
Léa et Rosalie vivent actuellement avec leur père violent. »
Bien que la DPJ puisse mettre en place des mesures de protection immédiate, notamment en confiant « l’enfant à un membre de sa famille, à une famille d’accueil ou à un centre de réadaptation », comme l’indique la section « Intervention du DPJ à la suite d’un signalement » du site Internet du Gouvernement du Québec, ce n’est en effet pas l’organisme qui accorde la garde d’un enfant.
Par ailleurs, les dossiers judiciaires impliquant des mineurs étant confidentiels, il est impossible de déterminer s’il y a une inexactitude dans l’extrait visé par la plainte.
À la lecture du passage complet de l’extrait visé par la plainte, on comprend que la phrase pointée par la plaignante résume les représentations faites au juge par la DPJ. Il aurait certes été plus précis d’écrire que la DPJ a fait un plaidoyer pour que le juge accorde la garde des enfants à leur père, mais le fait d’affirmer que « la DPJ a cru bon d’accorder la garde de Léa et Rosalie au père » ne constitue pas une inexactitude.
Dans plusieurs de ses décisions antérieures, notamment celle rendue dans le dossier D2017-10-125, le Conseil a rejeté le grief d’information inexacte en faisant valoir qu’une imprécision n’est pas une inexactitude. Dans ce dossier, le plaignant considérait que la journaliste avait rapporté une information inexacte en écrivant que « l’enquête policière a démontré que Bissonnette […] possédait trois armes ». Il estimait que ce n’étaient pas les policiers qui avaient prouvé qu’Alexandre Bissonnette possédait trois armes, mais que cette information provenait plutôt du témoignage du père de l’auteur de la tuerie de la mosquée de Québec. Le Conseil a constaté que « l’information selon laquelle Alexandre Bissonnette possédait trois armes a été rendue publique dans le cadre de l’enquête policière et que le témoignage du père du suspect a été rapporté dans le cadre de cette même enquête. La journaliste pouvait donc légitimement présenter l’information comme provenant de l’enquête policière. Même si la formulation est imprécise (il aurait été plus précis de dire que l’information sur les trois armes provenait du témoignage du père dans le cadre de l’enquête policière), le Conseil juge qu’elle n’est pas inexacte et qu’elle n’interfère pas dans la compréhension du sujet. »
De la même manière, dans le cas présent, le fait que la formulation de la phrase visée par la plaignante soit imprécise ne signifie pas qu’il y ait une inexactitude dans l’article.
Grief 3 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste et le média ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources dans la seconde portion de l’article « Pères violents : des mères se font retirer la garde de leur enfant », qui rapporte des cas qui se sont retrouvés devant les tribunaux.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
Analyse
La plaignante déplore qu’il n’y ait eu « aucune vérification des informations transmises par les sources. Notamment, aucune mention à l’effet que les jugements ont été lus par la journaliste. »
Selon elle, il est « impossible de savoir où elle [la journaliste] a pris l’information : est-ce qu’elle a lu les jugements? Je ne le crois pas. Il est apparent qu’elle rapporte simplement le déroulement de l’audition basé sur les informations transmises par les avocates. »
La plaignante vise la seconde partie de l’article, soit celle surmontée du sous-titre « Des exemples de cas devant les tribunaux ». Dans cette section, la journaliste décrit trois cas devant les tribunaux où la garde des enfants a été confiée au père même si celui-ci était suspecté ou accusé de violence conjugale, parce que la DPJ estime qu’il y a eu aliénation parentale de la part de la mère. Dans le cas de Marianne et Félix, dont les noms ont été changés, la journaliste écrit : « “Il faut briser la dynamique, on pense qu’il y a une forme d’aliénation ”. Ces mots ont été prononcés par une intervenante de la DPJ à une mère. » La journaliste présente ensuite l’histoire de Miguel, dont la mère « vivait de la violence conjugale et s’est récemment séparée. Le père a un lourd passé criminel et a toujours de mauvaises fréquentations ». L’enfant a affirmé à un pédiatre avoir été frappé par son père. L’article indique : « Conclusion : une intervenante de la DPJ estime qu’il y a eu aliénation parentale de la part de la mère et confie l’enfant au père. » Enfin, la journaliste décrit la façon dont Léa a accueilli le fait d’aller vivre avec sa sœur Rosalie chez leur « père violent » : « Lors d’une comparution de la mère au tribunal, Léa s’est effondrée en larmes quand elle a compris qu’elle allait maintenant résider chez son père. Elle a hurlé à pleins poumons devant le juge pendant près d’une heure. Cette démonstration claire de peur et de détresse chez la petite Léa n’a pas fait broncher le juge ni les intervenantes de la DPJ. Au contraire, la mère s’est même fait reprocher de ne pas en avoir fait assez pour calmer la détresse chez son enfant. »
Pour établir si la journaliste a commis un manquement, il faut déterminer si elle a fait le nécessaire pour évaluer la fiabilité des informations transmises par ses sources. Autrement dit, pouvait-elle se fier aux informations que ses sources lui ont transmises?
La plaignante n’apporte pas la preuve que la journaliste n’a pas pris les moyens raisonnables pour vérifier la fiabilité des informations transmises par ses sources. Le seul fait que la journaliste ne fasse pas mention de ses démarches dans son article ne signifie pas qu’elle n’a pas vérifié les informations obtenues ni qu’elle n’ait pas lu les jugements.
Les mis en cause ayant refusé de répondre à la plainte, les détails des démarches effectuées par la journaliste ne sont pas connus. Cependant, à l’écoute de l’émission de QUB radio incrustée dans l’article, on constate que la journaliste Florence Lamoureux indique à l’animatrice Yasmine Abdelfadel s’être entretenue avec plusieurs mères et avoir obtenu des enregistrements d’intervenants de la DPJ allant dans le même sens que les témoignages des mères : « J’ai plusieurs mamans qui m’ont parlé, vraiment en pleine détresse, comprenant pas comment un intervenant de la DPJ, Yasmine, qui n’est pas un docteur, qui n’est pas une psychologue, lui enlève son enfant pour cause d’aliénation. » Au cours de cet entretien avec Mme Abdelfadel, la journaliste indique également : « QUB radio a mis la main sur des enregistrements, Yasmine, sur lesquels on entend des intervenants de la DPJ poser des sortes de diagnostics aux mères pour justifier la perte de la garde de leurs enfants. »
Or la fiabilité des informations transmises par des sources peut s’évaluer par une journaliste selon si une personne a été témoin ou impliqué directement dans un événement.
Dans la décision antérieure D2017-05-067, le Conseil a rejeté le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources. Le Conseil a affirmé : « La plaignante n’ayant pas fait la démonstration du manque de fiabilité de la source, la victime d’agression sexuelle, le Conseil considère qu’il n’y avait aucune raison pour la journaliste de croire que les informations transmises par sa source n’étaient pas fiables. »
De la même façon, dans le cas présent, en l’absence de preuve démontrant que la journaliste n’a pas pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par ses sources, le grief est rejeté.
Note
Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’Ève Sasseville visant l’article « Pères violents : des mères se font retirer la garde de leur enfant » paru le 15 janvier 2024, et blâme la journaliste Florence Lamoureux et le site Internet du Journal de Montréal concernant le grief de manque d’équilibre. Cependant, le Conseil rejette les griefs d’information inexacte et de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes
Stéphane Baillargeon
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Stéphan Frappier