D2024-04-030

Plaignant

Patrice Tremblay

Mis en cause

Emmy Lapointe, rédactrice en chef

Frédérik Dompierre-Beaulieu, cheffe de

pupitre aux arts et à la culture

Impact Campus

Date de dépôt de la plainte

Le 19 avril 2024

Date de la décision

Le 21 février 2025

Résumé de la plainte

Patrice Tremblay dépose une plainte le 19 avril 2024 au sujet de l’article « Enseignement de la littérature à la Faculté de médecine : de bonnes intentions, un mauvais traitement », de la rédactrice en chef Emmy Lapointe et de la cheffe de pupitre aux arts et à la culture Frédérik Dompierre-Beaulieu, publié dans Impact Campus le 13 avril 2024. Le plaignant déplore un manque d’équité, un manque d’identification des sources, le refus de publier une contribution du public, un manque de courtoisie et de la diffamation. Le grief de diffamation ne sera pas traité (voir « Grief non traité : diffamation » à la fin de cette décision).

Contexte

Le 13 avril 2024, Impact Campus, qui se décrit comme « le magazine de toute la communauté étudiante de l’Université Laval », publie un article cosigné par Emmy Lapointe, rédactrice en chef, et Frédérik Dompierre-Beaulieu, cheffe de pupitre aux arts et à la culture, toutes deux étudiantes aux cycles supérieurs en littérature. Dans ce texte, les journalistes étudiantes dénoncent la façon dont le médecin, auteur et chargé de cours de la Faculté de médecine Jean Désy utilise le récit Putain de Nelly Arcan dans ses cours de littérature dispensés aux étudiantes et aux étudiants en santé de l’Université Laval.

Après avoir rappelé le contexte dans lequel s’inscrit l’enseignement de la littérature aux professionnels de la santé, les journalistes présentent la formule de « cercle de lecture » utilisée par le chargé de cours et mentionnent que le récit Putain de Nelly Arcan fait partie des oeuvres au programme. Mélange de fiction et d’autobiographie, le roman Putain, publié en 2001, raconte le quotidien d’une étudiante universitaire qui est également escorte dans les quartiers anglophones de Montréal. Le récit est structuré comme un long monologue adressé à un psychanalyste. 

Bien que l’article visé par la plainte ne soit pas identifié comme un texte d’opinion, le média étudiant affirme au Conseil qu’« il a un parti pris, celui de la communauté étudiante. L’article, tout comme le journal, ne prétend pas être toujours objectif – c’est un concept qu’en soi, nous remettons en question ». Le reportage commence comme une enquête, avec l’utilisation de sources confidentielles, et se poursuit en critique acerbe contre le chargé de cours Jean Désy. 

Les journalistes étudiantes critiquent vivement l’approche pédagogique de Jean Désy, notamment son recours au DSM-5 (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux […]) pour analyser l’écrivaine sous un angle pathologique. 

Elles condamnent cette réduction de l’œuvre de Nelly Arcan à des troubles mentaux et s’insurgent contre le fait qu’« on se permet de diagnostiquer l’autrice à partir de son écriture et de la forme qu’elle prend ». 

Elles affirment : « La reconduction de ces types de discours malhonnêtes, stigmatisants et empreints d’un sexisme bien intériorisé, même à l’université, n’est pas surprenante, mais elle n’en demeure pas moins dépassée et par-dessus tout enrageante et atrocement décevante. »

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Les journalistes d’opinion sont tenus de respecter les mêmes principes déontologiques du Guide que les journalistes factuels, hormis ceux d’impartialité et d’équilibre.

Griefs du plaignant

Grief 1 : manque d’équité

Principe déontologique applicable

Équité : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » (article 17 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si Frédérik Dompierre-Beaulieu et Emmy Lapointe ont manqué d’équité envers Jean Désy dans les deux passages de l’article retranscrits ci-dessous :

« Et c’est exactement ce qui semble se produire dans le cadre du cours de Jean Désy. Toutes ces suppositions, ces corrélations sorties de nulle part et motivées par un “soi-disant désir de nous aider, d’enseigner l’empathie, pour notre bien”, sont en effet le résultat d’une lecture erronée et négligente d’Arcan, d’une profonde (quoique peut-être naïve?) incompréhension de son œuvre et de son écriture, mais aussi de la littérature, du jeu auquel elle nous force à nous prêter pour éviter ce genre d’analyses bâclées et dangereuses. » 

« La reconduction de ces types de discours malhonnêtes, stigmatisants et empreints d’un sexisme bien intériorisé, même à l’université, n’est pas surprenante, mais elle n’en demeure pas moins dépassée […] ».

Décision

Le Conseil de presse du Québec retient le grief de manque d’équité car il juge que les journalistes ont contrevenu à l’article 17 du Guide.

Arguments des parties

Le plaignant, Patrice Tremblay, reproche aux journalistes un manque d’équité envers Jean Désy, estimant qu’elles « accolent le terme sexiste, malhonnête et dépassé au professeur Désy ».

Il déplore qu’« elles auraient supposément communiqué avec l’enseignant, sans jamais mentionner sa version des faits » et qu’elles « dénigrent un enseignant, médecin et humaniste plus âgé (âgisme) sans lui permettre de s’expliquer ou de répliquer ».

Le plaignant ajoute : « M. Désy, adoré de tous, enseigne depuis 20 ans, est l’auteur de 36 ouvrages et plusieurs articles et n’a jamais reçu de plaintes contre son enseignement. Il existe des recours auprès d’instances officielles lorsque des actes répréhensibles sont commis ou lorsqu’un étudiant a une doléance à exprimer. Dans ce cas, il s’agit d’un lynchage par personnes interposées, sans possibilité de réplique. Nous sommes loin du journalisme au sens noble du terme. Ce genre de ragots est généralement admis dans les médias sociaux, mais ne devrait jamais l’être dans un journal. »

Emmy Lapointe, rédactrice en chef, et Frédérik Dompierre-Beaulieu, cheffe de pupitre aux arts et à la culture, ont répondu à la plainte. Elles affirment d’abord « qu’Impact Campus est un média étudiant […] [et] a un parti pris, celui de la communauté étudiante. L’article, tout comme le journal, ne prétend pas être toujours objectif – c’est un concept qu’en soi, nous remettons en question. Toutefois, en toutes occasions, les journalistes d’Impact Campus font preuve de rigueur. »

Elles mentionnent qu’en tant que « spécialistes en littérature québécoise des femmes », elles témoignent « d’une certaine expertise ». 

Elles soutiennent qu’elles ont « bel et bien contacté l’enseignant ». Elles ajoutent : « Il n’a pas cru bon nous mentionner l’utilisation du DSM-5 pour la lecture d’Arcan (alors que l’utilisation a été confirmée par des étudiant.es de cette cohorte, mais également de d’autres cohortes; il ne s’agissait pas d’un cas isolé). À noter qu’à la suite de la publication de l’article, à aucun moment, M. Désy ne nous a contactées pour modifier des propos ou ajouter des informations. » 

Les journalistes étudiantes affirment : « Nous ne voyons pas le lien entre le fait qu’il soit médecin et humaniste et l’impossibilité d’émettre une critique à l’endroit de son enseignement […] Il ne s’agit pas d’âgisme simplement, parce que M. Désy est plus âgé; nous ne considérons pas son enseignement inadéquat, parce qu’il est “vieux”, mais simplement, parce qu’il n’est ni formé dans cette discipline et qu’il réintroduit des mécanismes d’enseignement de la littérature des femmes hautement problématiques. À ce sujet, nous avons d’ailleurs reçu l’appui de plusieurs professeures de littérature. »

Selon les auteures du texte, « le fait que M. Désy ait écrit plus de 36 ouvrages n’a simplement aucun lien avec son enseignement de la littérature des femmes ».

Elles estiment que « les médias étudiants sont une instance […] légitime pour partager leurs malaises face à l’institution universitaire dont les différentes instances de plainte sont parfois lentes et souvent inutiles » et elles soulignent « l’aura qu’a M. Désy et la crainte que peuvent ressentir les étudiant.es d’adresser des malaises quant à son enseignement ».

Elles concluent : « Notre article condamne avec vigueur et force l’enseignement de M. Désy de la littérature de Nelly Arcan et [nous] questionnons sa capacité à enseigner un cours de littérature, mais nous ne le lynchons pas. »

Analyse du comité des plaintes

En déontologie journalistique, le manque d’équité concerne la façon dont les journalistes et les médias d’information traitent ou interagissent avec ceux qui font l’objet de leurs reportages. Il s’agit ici d’évaluer si la rédactrice en chef Emmy Lapointe et la cheffe de pupitre aux arts et à la culture Frédérik Dompierre-Beaulieu ont été justes et équitables envers le médecin et chargé de cours de la Faculté de médecine Jean Désy, qui faisait l’objet de leur article.

Précisons d’abord que même si le texte n’est pas clairement identifié comme un texte d’opinion par Impact Campus, il a été considéré comme tel par le Conseil. L’article a donc été analysé par le comité des plaintes comme étant un texte d’opinion. 

La rédactrice en chef et la chef de pupitre aux arts et à la culture ont droit à leur opinion et peuvent critiquer, même sévèrement, la personne qui fait l’objet de leur texte. Il n’en demeure pas moins qu’elles doivent traiter cette personne avec équité. 

Il est important de noter que l’article en cause concerne un sujet qui n’a pas été abordé publiquement jusqu’ici, dont le cœur est la méthode d’enseignement du chargé de cours Jean Désy. Il ne s’agit pas d’une chronique réagissant à un sujet déjà traité auparavant, dont on connaîtrait déjà les tenants et aboutissants. Il n’est donc pas question ici simplement d’une réaction à un sujet, la méthode d’enseignement de ce cours. M. Désy ne s’est pas déjà exprimé publiquement à ce sujet. Ce sont les journalistes étudiantes qui mettent cette histoire au grand jour en s’appuyant sur les « témoignages » de sources confidentielles, en menant une sorte d’enquête qui révèle des faits pour la première fois. Dans ce contexte, elles se devaient de donner la chance à M. Désy de présenter son point de vue sur les allégations graves dont il est le sujet.

Ce qui pose problème ici, et qui constitue une part du manque d’équité, c’est que la perspective de Jean Désy, qui n’a jamais été exposée, est absente du texte. La seule mention de la tentative de contacter M. Désy apparaît dans une note de la rédaction (NDLR), présentée en début de texte, dans laquelle il est indiqué : « Aux fins de cet article, plusieurs étudiant.es de plusieurs cohortes ont été contacté.es, le professeur et une intervenante de terrain également. » 

Dans leur réplique à la plainte, les journalistes étudiantes affirment qu’elles ont « bel et bien contacté l’enseignant ». Elles ajoutent : « Il n’a pas cru bon nous mentionner l’utilisation du DSM-5 pour la lecture d’Arcan (alors que l’utilisation a été confirmée par des étudiant.es de cette cohorte, mais également de d’autres cohortes; il ne s’agissait pas d’un cas isolé) […] à la suite de la publication de l’article, à aucun moment, M. Désy ne nous a contacté pour modifier des propos ou ajouter des informations. » 

On sait donc que les journalistes ont contacté M. Désy, mais on ne connaît pas la nature des échanges qu’elles ont eu avec ce dernier. Il n’y a aucune indication dans l’article selon laquelle il aurait refusé de répondre aux graves prétentions des journalistes, notamment aux discours « malhonnêtes, stigmatisants et empreints d’un sexisme bien intériorisé » dont il est accusé. 

Un parallèle peut être fait avec le dossier D2017-09-114, qui concerne également une chronique d’opinion, où il est question de rumeurs, de suppositions et de sous-entendus. Le grief de manque d’équité a été retenu contre un animateur radio qui avait parlé de façon très vague de rumeurs potentiellement graves et nuisibles à l’endroit du plaignant, l’ex-maire de Roberval, semant ainsi le doute sur l’intégrité de l’élu municipal. Le Conseil a constaté que l’animateur en cause s’appuyait sur des suppositions et des sous-entendus pour commenter la gestion de l’ex-maire de Roberval, sans préciser de quoi il s’agissait et sans que ce dernier ne puisse y répondre. Bien que le Conseil reconnaisse une grande latitude au genre du journalisme d’opinion, il a considéré que, dans le présent cas, l’animateur avait « outrepassé la limite permise par la déontologie journalistique en matière d’équité ». 

Similairement, dans le cas présent, les journalistes étudiantes ont manqué d’ouverture à la perspective de Jean Désy – perspective qui ne se retrouve pas dans le texte – alors que les allégations présentées à son sujet sont graves.

Par ailleurs, le manque d’équité est manifeste lorsque les journalistes affirment que M. Désy a une profonde « incompréhension » de la littérature. Les journalistes avancent en effet, dans un des passages soulevés par le plaignant, « une lecture erronée et négligente d’Arcan, […] une profonde (quoique peut-être naïve?) incompréhension de son œuvre et de son écriture, mais aussi de la littérature, du jeu auquel elle nous force à nous prêter pour éviter ce genre d’analyses bâclées et dangereuses. » Ce faisant, les journalistes occultent le fait que M. Désy possède un doctorat en littérature de l’Université Laval, obtenu en 1990 et qu’il est lui-même l’auteur de plusieurs ouvrages de littérature. 

Dans ce contexte, affirmer que Jean Désy a une « profonde incompréhension » de la littérature en général est injuste et inéquitable. Les journalistes peuvent être en désaccord avec sa conception d’œuvres littéraires, mais elles ne peuvent pas prétendre qu’il ne connaît rien à la littérature en omettant de révéler au public le fait qu’il possède un doctorat en littérature. Cela n’est pas équitable envers la personne qui fait l’objet de leur texte.

Dans la décision D2020-09-120, qui concerne également une chronique d’opinion, le grief de manque d’équité a été retenu. Le Conseil a jugé que le chroniqueur n’avait pas fait preuve de la même considération pour le plaignant, qui ne partageait pas son point de vue, que pour les lecteurs qui partageaient son opinion. Le plaignant considérait « le traitement du journaliste […] particulièrement inéquitable puisqu’il passe une bonne partie de sa chronique à tenter de me dénigrer, sans jamais me donner la parole ». 

Lors de son analyse de ce dossier antérieur, le Conseil a constaté « une différence dans le traitement accordé par le chroniqueur aux lecteurs qui partagent son opinion » et qu’il n’a pas « fait preuve de la même considération pour le plaignant, qui ne partage pas son point de vue sur la définition de ce qu’est un cours “asynchrone” ». Il a publié le nom complet du plaignant (une personne issue du public) [et non pas celui des lecteurs qui partagent son point de vue] dans un journal avec un large lectorat et traité le plaignant de « tripeux de jargon », affirmé qu’il écrit « comme un pied » et qu’il « se trouvait bien drôle » en ne fournissant « aucun passage du courriel qui aurait pu appuyer son affirmation ». Le Conseil a considéré que bien que le chroniqueur puisse « critiquer l’opinion et la correspondance que lui avait transmise le plaignant […], il ne l’a pas fait de façon équitable envers la personne concernée ».

De la même façon, dans le cas présent, les journalistes étudiantes étaient tout à fait en droit de critiquer la façon dont le chargé de cours Jean Désy enseigne l’œuvre de Nelly Arcan, mais, puisqu’elles basaient leur texte sur des « témoignages » de sources confidentielles pour mettre au grand jour une histoire dont M. Désy était le sujet principal, elles auraient dû, dans un souci d’équité, également présenter celui du chargé de cours visé par ces allégations, qui, lui, est nommé sans que son point de vue ne soit présenté.

Pour toutes ces raisons, le grief de manque d’équité est retenu.

Grief 2 : manque d’identification des sources

Principes déontologiques applicables

Identification des sources : « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 [sur les sources confidentielles] du présent Guide. » (article 12 du Guide)

Utilisation de sources confidentielles : « (1) Les journalistes ont recours à des sources confidentielles lorsque ces trois conditions sont réunies : a) l’information sert l’intérêt public; b) l’information ne peut raisonnablement être obtenue autrement; c) la source peut subir un préjudice si son identité est dévoilée. (2) Lorsqu’ils garantissent la confidentialité à une source d’information, les journalistes décrivent suffisamment la source dans leur reportage afin que le public puisse apprécier la valeur et la crédibilité de cette source, sans cependant divulguer des éléments pouvant permettre son identification. » (article 12.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les journalistes ont omis d’identifier leurs sources d’information dans l’article en cause. 

Décision

Le Conseil retient le grief de manque d’identification des sources car il juge que les journalistes ont contrevenu à l’article 12 du Guide.

Arguments des parties

Le plaignant reproche aux journalistes que « rien [ne soit] mentionné au sujet des sources et de la manière dont l’information a été obtenue ». Il considère que « cela signifie qu’elles ont pu inventer complètement tous les faits relat[és] dans l’article ».

Dans leur réplique, les journalistes étudiantes indiquent qu’elles ont parlé à « plusieurs étudiant.es sur plus d’une cohorte d’ailleurs ».

Elles indiquent aussi qu’elles ont contacté une personne qui a préféré garder l’anonymat. Cette personne est décrite comme une « intervenante de terrain » dans le texte.

Elles ajoutent : « Il nous paraît évident également que nous n’allions pas nommer le nom des étudiant.es qui ont témoigné. D’abord, nos sources principales (c’est-à-dire celles qui nous ont rapporté l’événement de cette année) étaient évaluées par M. Désy, la situation les mettait alors dans une situation délicate. Nos autres sources étudiantes ont toujours leur statut d’étudiant.es et M. Désy est une source d’autorité considérable. »

Analyse du comité des plaintes

Emmy Lapointe et Frédérik Dompierre-Beaulieu présentent leur article comme ayant été rédigé « à la suite de témoignages ». Elles indiquent, en début de texte, que « c’est à la suite de témoignages concernant l’enseignement discutable de cette […] œuvre [Putain de Nelly Arcan] qu’Impact Campus a décidé de s’en mêler ».

Elles ajoutent ensuite, dans une note de la rédaction (NDLR) : « Aux fins de cet article, plusieurs étudiant.es de plusieurs cohortes ont été contacté.es, le professeur et une intervenante de terrain également. »

L’article ne comporte aucune autre information au sujet de leurs sources d’information. On ne sait pas combien de personnes ont témoigné, ni quelle proportion des étudiants est en désaccord avec la méthode d’enseignement de Jean Désy. On ne connaît pas non plus le contenu des témoignages. L’article ne comporte aucune citation, directe ou paraphrasée, des sources étudiantes qui ont été contactées par les journalistes. 

L’article 12 du Guide précise que « les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 » qui concerne l’utilisation des sources confidentielles. 

Or les journalistes ne font pas la démonstration que les trois conditions d’utilisation de sources confidentielles étaient réunies : « a) l’information sert l’intérêt public; b) l’information ne peut raisonnablement être obtenue autrement; c) la source peut subir un préjudice si son identité est dévoilée ».

Les journalistes étudiantes mentionnent que leur « sources principales (c’est-à-dire celles qui […] ont rapporté l’événement de cette année) étaient évaluées par M. Désy, la situation les mettait alors dans une situation délicate ». Cependant, on explique dans l’article qu’il s’agit d’« un cours bonbon » dans lequel « les étudiant.es doivent remettre trois textes de création inspirés des œuvres étudiées […] Aucun site de cours, aucun examen, aucun texte critique ». Il aurait fallu préciser quels étaient alors les risques de représailles pour les étudiants consultés.

Par ailleurs, les rédactrices affirment que leurs sources confidentielles proviennent « de plusieurs cohortes » d’étudiants. Pourtant elles n’expliquent pas en quoi des étudiants qui proviendraient de cohortes passées – qui ne seraient donc plus évaluées par Jean Désy – pourraient subir des représailles. 

Lorsque des sources confidentielles sont utilisées à bon escient, l’article 12.1 (2) du Guide stipule également que « […] les journalistes décrivent suffisamment la source dans leur reportage afin que le public puisse apprécier la valeur et la crédibilité de cette source, sans cependant divulguer des éléments pouvant permettre son identification ». 

Dans le cas présent, les sources confidentielles utilisées ne sont pas suffisamment décrites pour que le lecteur puisse en évaluer la valeur – l’article ne compte aucune citation attribuée à ces sources. On parle de « témoignages », mais l’article n’en présente aucun. La lecture du texte ne permet pas de départager ce qui provient des témoignages de ce qui est l’opinion des journalistes. Une meilleure identification des sources, tout en conservant la confidentialité dans les cas où celle-ci était justifiée, aurait permis au public d’évaluer la valeur de ces témoignages concernant l’enseignement de Jean Désy. 

Le Conseil a déjà statué qu’on ne peut juger de la valeur d’une information lorsque la source de cette information est inconnue. Dans la décision D2022-01-016, qui concernait une chronique d’opinion qui s’appuyait sur une donnée qui ne pouvait être vérifiée, le Conseil a retenu le grief de manque d’identification des sources. Il est mentionné dans la décision qu’ « à la lecture de la chronique, on constate que M. Martineau n’indique pas la source du chiffre (70 %) sur lequel il fonde son opinion. De plus, les recherches du Conseil n’ont pas permis de trouver l’origine de cette donnée (qu’une vaccination complète de la population réduirait de 70 % les hospitalisations). […] En n’identifiant pas la source du chiffre 70 %, Richard Martineau ne permet pas aux lecteurs de juger de la valeur de cette information. Dans un contexte où la question de la vaccination contre la COVID-19 était très sensible, il était d’autant plus important que le chroniqueur appuie son argumentaire sur des données dont le public pouvait vérifier la qualité. » 

De la même façon, dans le cas présent, il est impossible pour le public d’évaluer la valeur des « témoignages » des sources confidentielles, qu’il s’agisse des étudiantes et étudiants ou de l’intervenante de terrain. Une description de ces sources et de leur témoignage aurait permis de connaître leur position sur l’enseignement de Jean Désy. Le public devait comprendre ce qu’elles avaient dit et leur rapport avec le cours pour pouvoir évaluer la valeur et la crédibilité de leurs témoignages. 

Grief 3 : refus de publier une contribution du public

Principes déontologiques applicables

Contributions du public : « (1) Les médias d’information qui choisissent d’accepter les contributions du public doivent tenter de refléter une diversité de points de vue. 2) Les médias d’information peuvent apporter des modifications aux contributions du public, mais veillent, ce faisant, à ne pas en changer le sens ou à trahir la pensée des auteurs. » (article 16 du Guide)

Refus de publication : « Les médias d’information peuvent refuser de publier ou de diffuser une contribution reçue du public, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris ou le désir de taire une information d’intérêt public. » (article 16.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir de tenter de refléter une diversité de points de vue en ne publiant pas le commentaire suivant du plaignant.

« Cet article [est] tout à fait inapproprié. Un véritable calvaire à lire. Truffé de références ronflantes et creuses pour faire le procès public d’un enseignant et auteur humaniste et dévoué depuis toujour[s] à la cause des femmes et des communautés autochtones.

Pourquoi ne pas aller voir M. Désy en personne pour lui cracher votre fiel au visage, en personne? Pourquoi ne pas faire un travail de journaliste et vérifier sa version des faits?

Il y a tellement d’autres causes à dénoncer. Cible facile??

Vous êtes des gens avec peu d’honneur et de professionnalisme. J’espère que vous gagnerez en maturité et que vous réfléchissez aux conséquences de cet article méprisant et méprisable. »

Décision

Le Conseil retient le grief de refus de publier une contribution du public car il juge que le média a manqué à son devoir de tenter de refléter une diversité de points de vue. 

Arguments des parties

Le plaignant reproche au média que malgré le fait qu’« il y a un espace pour formuler des commentaires […], Impact Campus n’en publie aucun ». Le plaignant indique, dans sa correspondance avec le directeur général d’Impact Campus, avoir envoyé un commentaire en réaction à l’article visé par la plainte, commentaire qui n’a pas été publié.

Le plaignant estime que le média n’a pas tenté de refléter une diversité de points de vue. Il affirme : « Je me questionne sur la vision de la liberté d’expression prônée par Impact Campus. »

Il estime également que le média a refusé son commentaire en raison d’un parti pris. Il mentionne : « L’opinion des lecteurs est certainement aussi importante que celle biaisée des rédactrices. »

Les journalistes répliquent qu’elles n’ont pas publié le message du plaignant « pour des raisons évidentes. Il était irrespectueux et condescendant ».

Analyse du comité des plaintes

Le principe du Guide sur les contributions du public établit que « les médias d’information qui choisissent d’accepter les contributions du public doivent tenter de refléter une diversité de points de vue ». Il faut donc d’abord se demander si ce média accepte les contributions du public.

Les vérifications du Conseil permettent de constater qu’il y a bel et bien, comme le plaignant l’affirme, un espace pour formuler des commentaires à la suite de cet article, tout comme à la suite de tous les articles mis en ligne sur le site Internet d’Impact Campus

Il est donc possible pour les lecteurs de laisser un commentaire à la suite des articles, ce que le plaignant a décidé de faire. Cependant, son point de vue, qui est en désaccord avec le texte d’opinion publié, n’apparaît pas à la suite de l’article visé par la plainte.

En ne publiant pas le point de vue d’un lecteur qui divergeait de celui du texte, le média n’a pas présenté une diversité de points de vue, tel que le stipule l’article 16 (1) du Guide

S’il jugeait qu’une partie du commentaire était irrespectueuse, le média pouvait en modifier certaines parties sans pour autant changer le sens de la pensée de l’auteur, tel qu’énoncé dans l’article 16 (2) du Guide : « Les médias d’information peuvent apporter des modifications aux contributions du public, mais veillent, ce faisant, à ne pas en changer le sens ou à trahir la pensée des auteurs. » Le média n’était pas obligé de publier le commentaire tel quel. Il pouvait en extraire l’essentiel, en publiant seulement le premier paragraphe, par exemple.

Grief 4 : manque de courtoisie

Principe déontologique applicable

Interactions avec le public : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de courtoisie dans leurs rapports avec le public. » (article 27 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si l’extrait suivant, qui se retrouve dans la réponse que le directeur général de la Corporation des médias étudiants de l’Université Laval (CoMÉUL) Stéphane Paradis adresse au plaignant le 18 avril 2024 à la suite de la plainte de ce dernier, témoigne d’un manque de courtoisie du directeur général envers le plaignant :

« Sachez cependant qu’il vous est toujours loisible de ne pas consulter nos publications si elles heurtent votre épiderme délicat. »

Décision

Le Conseil rejette le grief de manque de courtoisie à la majorité (4 membres sur 6). 

Arguments des parties

Le plaignant déplore un manque de courtoisie de la part du directeur général de la CoMÉUL Stéphane Paradis, à qui il a écrit afin de porter plainte contre les deux rédactrices de l’article en cause.

Il mentionne : « Je croyais écrire à une personne en autorité qui pourrait faire le pont avec les autrices, et sa réponse est de me dire de ne pas lire les articles (en sous-entendant que j’ai l’épiderme sensible). »

Les journalistes étudiantes soulignent que « la plainte formulée ici ne [les] concerne pas. Il s’agit de l’échange courriel entre M. Tremblay et notre ancien directeur général. »

Elles mentionnent cependant : « Néanmoins, nous tenons à souligner la contradiction des propos de M. Tremblay. Rapidement, il nous accuse d’âgisme alors que son premier réflexe est de souhaiter parler à un homme en situation d’autorité qui viendrait recadrer [les] jeunes têtes brûlées que nous sommes. Son commentaire mentionne également notre manque de maturité. Nous sommes convaincues que si nous n’avions pas assumé notre posture de jeunes femmes, un tel commentaire ne nous aurait pas été formulé. »

Le directeur général, Stéphane Paradis, n’a pas offert de réplique à la plainte.

Analyse du comité des plaintes

Le 16 avril 2024 (trois jours avant le dépôt de la plainte au Conseil), le plaignant écrit au média afin de « porter plainte contre les deux rédactrices de l’article sur M. Jean Désy paru le 13 avril dernier ». Le plaignant se plaint également du fait que son commentaire n’a pas été publié. Il mentionne entre autres : « Si mon commentaire n’est pas publié aujourd’hui, je devrai m’adresser à des instances supérieures et porter plainte formellement, non seulement contre vos rédactrices, mais contre la direction générale. »

Le directeur général de la CoMÉUL répond au plaignant deux jours plus tard, soit le 18 avril 2024. Son courriel comprend le passage suivant, que lui reproche le plaignant : « Sachez cependant qu’il vous est toujours loisible de ne pas consulter nos publications si elles heurtent votre épiderme délicat. »

Le Grand dictionnaire terminologique définit ainsi la courtoisie : « Dans l’administration publique, la courtoisie peut se manifester en traitant autrui (les citoyens, les collègues de travail) avec respect, gentillesse et diligence. » 1 L’échange entre le plaignant et le directeur général témoigne d’une certaine escalade. Quoique le directeur général aurait pu faire preuve de plus de délicatesse, ses propos étaient proportionnels aux attaques du lecteur, c’est-à-dire qu’il a ramené le ton de son discours au même niveau que celui du plaignant. La majorité des membres (4 sur 6) n’y voit pas de manquement déontologique.

Le grief de manque de courtoisie a été rejeté dans le dossier D2016-10-042. La plaignante estimait que « le rédacteur en chef a utilisé dans leurs échanges de courriels des mots intimidants, méprisants et chargés de préjugés ainsi qu’un ton condescendant ». À la lecture des échanges entre la plaignante et le rédacteur en chef, le Conseil n’avait cependant observé aucune entorse à la déontologie. « Même si le mis en cause manifeste de l’impatience et utilise un langage coloré, le Conseil juge qu’il ne franchit pas la limite de la courtoisie. Le grief de manque de courtoisie dans les interactions avec le public est rejeté. »

De la même façon, dans le cas présent, malgré un échange de propos désobligeants et une escalade certaine, le média n’a pas outrepassé les limites de la courtoisie au point de conclure à une faute professionnelle. La réponse est comparable en style et en ton au commentaire envoyé par le plaignant. 

Deux membres expriment leur dissidence sur ce point, jugeant que l’extrait visé par le plaignant témoigne d’un manque de courtoisie du directeur général du média, Stéphane Paradis. Ils considèrent que le directeur général du média, qui est en situation d’autorité, se devait de demeurer plus courtois dans sa réponse, particulièrement dans le contexte où on vient de refuser de publier le commentaire du plaignant. Ces membres dissidents considèrent que le passage pointé par le plaignant fait preuve de condescendance, une forme de manque de courtoisie de la part d’une personne en situation d’autorité dans un média.

Pour les membres majoritaires, bien que les propos que le directeur général adresse au plaignant dans sa réponse puissent heurter ce dernier, ils ne considèrent pas qu’ils outrepassent les limites de la courtoisie. Le grief de manque de courtoisie dans les interactions avec le public est donc rejeté.

Grief non traité : diffamation 

« La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. » (Règlement sur l’étude des plaintes du public, article 13.04)

Le plaignant déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas, car la diffamation n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.

Commentaire éthique

Le Conseil de presse rappelle aux médias l’importance d’identifier clairement la nature des textes qu’ils publient en indiquant au public s’il s’agit de journalisme factuel ou de journalisme d’opinion, comme le stipule l’article 10 (2) du Guide :

« Le genre journalistique pratiqué doit être facilement identifiable afin que le public ne soit pas induit en erreur. »

Dans le cas du journalisme d’opinion, cela peut se faire, par exemple, en coiffant le texte d’un surtitre comme « Opinion », « Chronique » ou « Éditorial ». 

Par ailleurs, il est important de rappeler qu’afin d’assurer au public le droit légitime d’être informé, les journalistes qui pratiquent le journalisme d’opinion sont tenus aux mêmes normes déontologiques du Guide que les journalistes factuels, excepté en matière d’impartialité et d’équilibre.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Patrice Tremblay visant l’article « Enseignement de la littérature à la Faculté de médecine : de bonnes intentions, un mauvais traitement », mis en ligne le 13 avril 2024, concernant les griefs de manque d’équité, de manque d’identification des sources et de refus de publier une contribution du public, et blâme la rédactrice en chef Emmy Lapointe, la cheffe de pupitre aux arts et à la culture Frédérik Dompierre-Beaulieu et Impact Campus. Le grief de manque de courtoisie est quant à lui rejeté à la majorité (4 membres sur 6). 

Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement 2, article 31.02) 

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Renée Madore

Représentants des journalistes
Sylvie Fournier
Paul Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse
Stéphan Frappier
Sylvain Poisson

1Référence : Office québécois de la langue française (2002). Courtoisie. Dans Grand dictionnaire terminologique. Consulté en février 2025.