D2024-05-037

Plaignant

André Saint-Amant

Mis en cause

Laurent Lavoie, journaliste

Olivier Faucher, journaliste

Le quotidien Le Journal de Montréal

TVA Nouvelles

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 23 mai 2024

Date de la décision

Le 24 janvier 2025

Résumé de la plainte

André Saint-Amant dépose une plainte le 23 mai 2024 au sujet de l’article et du segment vidéo « Bruit excessif : les plaintes incessantes d’un voisin coûtent 100 000 $ de rénos à un bar du Village », des journalistes Laurent Lavoie et Olivier Faucher, diffusés sur les sites Internet du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles le 3 mai 2024. Le plaignant déplore un manque d’équilibre et de l’information inexacte. 

Contexte

Ce reportage, diffusé le 3 mai 2024 sur les sites Web du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles, porte sur le bar District Vidéo Lounge, situé dans le Village, à Montréal. Cet établissement a reçu des sanctions de la Ville de Montréal et de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), dont des amendes et une suspension temporaire de son permis d’alcool, en raison du bruit excessif qu’il cause. Au moment de la publication de l’article, des travaux sont effectués pour construire un vestibule à l’entrée du bar afin de réduire le bruit, un projet qui coûte 100 000 $ aux propriétaires, selon les informations rapportées par les journalistes.

Danny Jobin, le propriétaire du bar en question, fait part des déboires qu’il vit en lien avec les plaintes de bruit formulées contre son établissement. D’après M. Jobin, les plaintes répétées et incessantes sont dues à « l’entêtement d’un homme habitant en face du bar ». 

L’article est chapeauté d’une vidéo d’une durée de 1 minute 55 secondes dans laquelle le propriétaire est montré à la caméra, devant son bar, pendant que des travaux de réfection sont effectués à l’entrée du bâtiment. M. Jobin déplore la situation difficile qu’il vit, selon lui, en raison d’un voisin « qui fait des plaintes sur tout, tout, tout ». Il dit espérer que la Ville de Montréal donnera plus de latitude à son établissement, considérant que la politique actuelle contre le bruit est d’une « tolérance zéro ».

Le plaignant dans ce dossier, André Saint-Amant, est un citoyen du quartier qui a déposé une série de plaintes pour faire réduire le bruit émanant du bar District Vidéo Lounge. 

Griefs du plaignant

Grief 1 : manque d’équilibre

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les journalistes Laurent Lavoie et Olivier Faucher ainsi que Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles ont manqué à leur devoir de présenter une juste pondération du point de vue des parties en présence dans l’article et la vidéo visés par la plainte.

Décision

Le Conseil de presse du Québec retient le grief de manque d’équilibre.

Arguments des parties

Le plaignant, André Saint-Amant, considère que l’article et la vidéo qui l’accompagne manquent d’équilibre, car son point de vue n’a pas été présenté. Il estime que les mis en cause ne lui ont pas laissé suffisamment de temps pour répondre à leur demande d’entrevue avant de diffuser l’article et la vidéo faisant l’objet de la plainte. Il explique : « Le journaliste [Laurent Lavoie] m’a laissé deux messages à 7 minutes d’intervalle en fin de journée [le 2 mai 2024] et a publié [le soir même] sans rien confirmer. »

Les mis en cause – Laurent Lavoie, Olivier Faucher, Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles – n’ont pas souhaité formuler de commentaire au sujet de la plainte. 

Analyse du comité des plaintes

Lors de l’analyse d’un grief de manque d’équilibre, il faut tenir compte de l’angle de traitement du sujet, puis identifier quelles sont les parties en présence et si une juste pondération de leurs points de vue a été présentée.

Dans le cas présent, le sujet est le bruit excessif à Montréal et l’angle de traitement choisi est d’aller sur le terrain pour présenter la situation d’un tenancier de bar qui trouve injuste de devoir dépenser 100 000 $ pour des rénovations en raison du bruit qui émane de son établissement. Ce propriétaire vit un conflit depuis plusieurs années avec « un voisin ». Seul le point de vue du propriétaire du bar, Danny Jobin, est présenté dans le reportage. 

D’entrée de jeu, dans le titre « Bruit excessif : les plaintes incessantes d’un voisin coûtent 100 000 $ de rénos à un bar du Village » qui coiffe le texte, on fait mention du « voisin » en question, en l’occurrence notre plaignant, André Saint-Amant. Ce voisin est l’une des deux parties qui s’opposent depuis des années dans ce conflit de voisinage – le bar étant l’autre partie –, ce qui fait du « voisin », M. Saint-Amant une partie en présence et ce, même s’il n’est pas nommé.

Qui plus est, les allégations formulées à son endroit, soit le fait que les plaintes qu’il a déposées ont coûté 130 000 $ – 100 000 $ en rénovations et 30 000 $ en contraventions – au tenancier du bar District Vidéo Lounge, sont loin d’être banales. Le propriétaire Danny Jobin « se dit victime depuis sept longues années de l’entêtement d’un homme ». Il affirme: « […] ça devient quérulent. Il a commencé à s’acharner sur nous. » Il s’agit d’allégations sérieuses qui touchent directement M. Saint-Amant.

Le fait que le voisin, M. Saint-Amant, ne soit pas nommé dans le récit ne change pas le fait que le reportage manque d’équilibre, car le public n’a pas pu connaître sa version des événements, qui, comme on peut le lire dans la plainte qu’il a formulée au Conseil, diffère considérablement de celle du propriétaire du bar. 

Un cas déontologique comparable concernant une partie en présence qui n’était pas nommée se trouve dans la décision antérieure D2017-06-087 (2), où la commission d’appel a retenu le grief de manque d’équilibre. Cette plainte visait un article intitulé « Coûteuses chicanes de voisins », dans lequel on dressait un portrait des conflits entre voisins au Québec. Le journaliste y citait en exemple le cas de Claude Marois, qui faisait part de son expérience déplaisante avec sa voisine, la plaignante dans le dossier. La commission d’appel a statué que « dans un article portant sur les conflits entre voisins, dans lequel sont rapportées les doléances d’une personne qui est citée nommément, le journaliste ne pouvait pas faire l’économie de recueillir la version de la partie adverse, d’autant plus que les propos de ce protagoniste n’étaient pas tendres envers sa voisine. […] L’article est basé sur des faits avancés par un protagoniste, sans que l’autre partie n’ait pu y répondre. »

Maintenant qu’il a été établi que le « voisin », M. Saint-Amant, était une partie en présence dans cette histoire, il faut évaluer si son point de vue y est présenté. 

Pour tout principe de déontologie, les journalistes ont une obligation de moyens et non de résultat, comme le prévoit le préambule du Guide lorsqu’il explique que « les journalistes et les médias d’information doivent d’abord et avant tout prendre des moyens raisonnables pour respecter les normes énoncées ». On ne saurait reprocher à un journaliste d’avoir omis la perspective de quelqu’un qui aurait refusé de répondre, par exemple.

Il faut donc évaluer les moyens pris par les journalistes pour s’efforcer de présenter un reportage équilibré. Tel qu’observé précédemment, le fait de ne pas nommer une partie en présence ne dédouane pas les journalistes de leur responsabilité de tenter d’obtenir son point de vue. Qui plus est, on constate à la lecture de l’article que l’identité du « voisin », en l’occurrence M. Saint-Amant, était connue des journalistes puisqu’on rapporte à la fin du texte que « le résident de 66 ans au cœur de cette affaire n’a pas répondu à nos appels ».

Le plaignant, André Saint-Amant, a fait parvenir au Conseil une capture d’écran provenant de son téléphone cellulaire et montrant qu’il a reçu deux appels du journaliste Laurent Lavoie le 2 mai 2024, à 16 h 07 et à 16 h 14. L’article a été publié à minuit, le soir même. Ces deux tentatives de joindre M. Saint-Amant à sept minutes d’intervalle étaient nettement insuffisantes, d’autant plus qu’il n’y avait aucune urgence justifiant de publier ce reportage sans inclure son point de vue.

De plus, malgré que le plaignant ait retourné les appels du journaliste Laurent Lavoie le lendemain de la publication du reportage en cause, ni Le Journal de Montréal ni TVA Nouvelles n’ont publié sa version des faits. 

Ainsi, les journalistes n’ayant pas pris les moyens raisonnables pour obtenir le point de vue d’André Saint-Amant, le grief de manque d’équilibre est retenu.

Enfin, les journalistes se permettent même d’ajouter en fin d’article : « Selon nos recherches, il [le voisin] a lui-même, ironiquement, eu un constat d’infraction pour du bruit en 2016. » Cette mention, qui n’a aucun lien avec le sujet du reportage, le bar District Vidéo Lounge, et qui expose au public une information peu reluisante au sujet du « voisin », ne fait qu’exacerber le manque d’équilibre. 

Grief 2 : information inexacte

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les journalistes Laurent Lavoie et Olivier Faucher ainsi que Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles ont rapporté une information inexacte dans les deux passages suivants de l’article.

Titre : « Bruit excessif : les plaintes incessantes d’un voisin coûtent 100 000 $ de rénos à un bar du Village »

« Le copropriétaire d’un bar de Montréal déplore le fait d’avoir dû débourser plus de 100 000 $ en rénovations et près de 30 000 $ en contraventions, vraisemblablement en raison des plaintes incessantes d’un seul voisin pour du bruit. »

(Soulignements du Conseil)

Décision

Le Conseil retient le grief d’information inexacte.  

Arguments des parties 

Le plaignant affirme qu’il est inexact de rapporter que « c’est à cause d’un seul voisin que ça lui a coûté 100 000 $ [au propriétaire du bar, Danny Jobin] en contraventions et frais juridiques ». Il ajoute : « Je représente un groupe [de voisins] qui ne souhaite pas subir tout l’abus que je reçois de ce bar et de ses employés et clients. Je peux vous prouver qu’il y a au moins une autre personne qui s’est plainte à l’Ombudsman de Montréal. »

Analyse du comité des plaintes

À titre de preuve qu’il n’est pas le seul plaignant dans l’affaire du bruit causé par le bar District Vidéo Lounge, André Saint-Amant a fait parvenir au Conseil une lettre de l’Ombudsman de Montréal datée du 7 novembre 2023. Cette lettre, qui donne suite à ses démarches auprès de l’Ombudsman pour faire réduire le bruit émanant du bar, lui est adressée personnellement et n’est pas du domaine public. On peut y lire ceci (soulignement du Conseil) :

« La présente confirme la fermeture de ce dossier qui a été traité par Mme Anouk Violette, conseillère à l’ombudsman. Il a été regroupé à cette fin avec le dossier similaire d’un autre plaignant résidant dans le même immeuble que vous. Mme Violette vous a informé verbalement de nos conclusions le 1er novembre 2023. »

La décision1 du Tribunal de la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ), qui a été rendue le 8 janvier 2024 dans l’affaire du District Vidéo Lounge, constitue une autre preuve de ce qu’allègue le plaignant. Cette décision d’ordre public est disponible sur le site Web de la SOQUIJ. Au paragraphe 13, la décision de la RACJ mentionne « des plaintes de citoyens », au pluriel (soulignements du Conseil). 

« [11] Dans la présente affaire, plusieurs atteintes à la tranquillité publique sont observées par les policiers dans l’établissement de la titulaire pendant plus de trois ans, soit de février 2019 à mai 2022. Ces atteintes se manifestent sous la forme de bruit excessif émanant de l’établissement.

[12] Pendant cette période, le Service de police de la Ville de Montréal reçoit des plaintes pour bruit excessif lors de 25 évènements. À plusieurs occasions, les policiers constatent que le bruit est audible de l’extérieur lorsque la porte avant de l’établissement est ouverte.

[13] Les 8 et 11 mai 2022, des plaintes de citoyens sont transmises à la Régie en raison du bruit provenant de l’établissement. »1

Ces deux éléments de preuves (lettre de l’Ombudsman de Montréal et décision de la RACJ) démontrent sans contredit l’existence d’au moins un autre plaignant dans l’affaire du bar District Vidéo Lounge, comme l’affirme M. Saint-Amant. Il était donc inexact de rapporter dans l’article du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles que « les plaintes incessantes d’un voisin coûtent 100 000 $ de rénos à un bar du Village » et que « Le copropriétaire d’un bar de Montréal déplore le fait d’avoir dû débourser plus de 100 000 $ en rénovations et près de 30 000 $ en contraventions, vraisemblablement en raison des plaintes incessantes d’un seul voisin pour du bruit ». 

Qui plus est, les journalistes Laurent Lavoie et Olivier Faucher citent directement dans l’article en cause un passage de la décision de la RACJ, ce qui indique qu’ils avaient ce document en main au moment de la rédaction du texte. L’information sur l’existence de plus d’un plaignant à l’origine de la situation problématique vécue par le bar était donc facilement accessible et vérifiable, mais elle ne se retrouve pas dans le reportage.

À titre comparatif, le Conseil a retenu un grief d’inexactitude comparable dans lequel l’information était facilement vérifiable dans la décision D2020-07-093. La faute alléguée dans ce dossier portait sur le nombre de personnes hébergées dans une résidence pour aînés. Alors que l’article faisait état de 55 résidents, le plaignant, propriétaire de la résidence, soulignait que l’établissement ne comptait que 50 chambres. L’information transmise dans l’article provenait d’une unique source que le journaliste avait consultée. Le Conseil a jugé que « l’information communiquée par cette personne au sujet du nombre de résidents est erronée et il était facile de la vérifier, comme le reconnaît d’ailleurs le journaliste dans le texte rectificatif publié le lendemain, en écrivant : “Une vérification faite sur le site Résidence-Québec.ca permet en effet de confirmer que la résidence de la rue Académie dispose de 50 unités.” Le nombre 55 était donc clairement erroné.” » Le Conseil a souligné que « le journaliste avait le devoir de vérifier l’information factuelle concernant le nombre de résidents hébergés à la Résidence Académie ».

De la même manière, dans le cas présent, les journalistes avaient le devoir de vérifier l’information à propos de l’existence d’au moins un autre plaignant dans l’affaire du bar District Vidéo Lounge, plutôt que de rapporter comme un fait avéré l’information inexacte fournie par le propriétaire Danny Jobin. 

Ainsi, puisqu’il y avait plus d’un voisin à l’origine des plaintes contre le bar et que le voisin dont il est question dans l’article n’est pas directement responsable des montants qu’a dû débourser le tenancier pour se conformer à la réglementation municipale, le grief d’information inexacte est retenu. 

Note

Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles, qui ne sont pas membres du Conseil et n’ont pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’André Saint-Amant visant l’article et le segment vidéo « Bruit excessif : les plaintes incessantes d’un voisin coûtent 100 000 $ de rénos à un bar du Village », diffusés le 3 mai 2024, et blâme les journalistes Laurent Lavoie et Olivier Faucher, ainsi que Le Journal de Montréal et TVA Nouvelles concernant les griefs de manque d’équilibre et d’information inexacte.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public
Mathieu Montégiani, président du comité des plaintes
Simon Denault

Représentants des journalistes
Daniel Leduc
Jessica Nadeau

Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Éric Grenier

1Référence : SOQUIJ, Tribunal de la Régie des alcools, des courses et des jeux « Décision nº 40-0009556 visant 9352-6093 Québec inc. (District Vidéo Lounge) », 8 janvier 2024. Consulté en janvier 2025.