D2024-10-071
Plaignant
José Pouliot
Mis en cause
Hugo Duchaine, journaliste
Héloïse Archambault, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 7 octobre 2024
Date de la décision
Le 25 avril 2025
Résumé de la plainte
José Pouliot dépose une plainte le 7 octobre 2024 au sujet de l’article « Les facultés de médecine ne prévoient pas de discrimination pour favoriser les hommes », des journalistes Hugo Duchaine et Héloïse Archambault, publié dans Le Journal de Montréal et mis en ligne sur le site Internet le 14 septembre 2024. Le plaignant déplore de la discrimination.
Contexte
L’article traite de l’augmentation du nombre de femmes en médecine au Québec et de l’absence de mesures pour favoriser un équilibre hommes-femmes dans les admissions aux facultés de médecine. Il aborde aussi les implications de cette féminisation sur l’organisation du travail et le processus de sélection des étudiants en médecine.
La plainte concerne le premier paragraphe de l’article selon lequel cette augmentation du nombre de femmes en médecine est « une bonne nouvelle pour les patients qui bénéficient de leur écoute et de leur empathie ».
L’article mentionne que, selon les facultés de médecine, les femmes performent mieux aux tests d’admission, tels que la cote R, l’examen Casper et les mini-entrevues multiples. La cote R, aussi appelée cote de rendement, est une mesure d’évaluation du rendement des étudiants au collégial en vue de leur admission dans un programme contingenté à l’université. L’examen Casper est un test en ligne de 14 scénarios visant à évaluer les habiletés non cognitives et des caractéristiques interpersonnelles telles que la collaboration, la communication, l’empathie, l’équité, la motivation, la résilience, entre autres. Quant aux mini-entrevues multiples, il s’agit de mises en situation pour déceler les qualités et aptitudes essentielles à la pratique de la médecine, soit l’empathie, la conscience sociale, l’équilibre de vie, l’ouverture d’esprit, le leadership, notamment.
Divers intervenants du milieu, soit le doyen de la Faculté de médecine de l’Université Laval, le président de l’Association des médecins résidents et le président du Collège des médecins, s’expriment sur cet accroissement de la représentation féminine dans les facultés de médecine.
Grief du plaignant
Grief 1 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à :
- entretenir les préjugés et/ou
- susciter ou attiser le mépris ou la haine et/ou
- encourager la violence. » (article 19 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les journalistes ont manqué à leur devoir de s’abstenir d’utiliser des termes susceptibles d’entretenir les préjugés envers les hommes dans le passage souligné suivant :
« De plus en plus de femmes deviennent médecins au Québec: Elles représenteront bientôt 70 % de la main d’œuvre. Une bonne nouvelle pour les patients qui bénéficient de leur écoute et de leur empathie mais qui suscite aussi des changements dans l’organisation du travail, a constaté Le Journal. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de propos discriminatoires entretenant les préjugés.
Arguments des parties
Le plaignant reproche aux journalistes de laisser « sous-entendre que cette empathie est spécifique aux femmes » Il affirme : « En somme, cela dit que les hommes médecins ont moins d’écoute et d’empathie que les femmes médecins. C’est totalement préjudiciable et faux. Pas acceptable. Ça continue de propager des croyances erronées et l’idée que les hommes sont moins humains, plus rustres que les femmes. »
Le plaignant est aussi d’avis que cette discrimination dévalorise « les efforts des hommes qui travaillent à faire entendre qu’ils sont aussi empathiques que les femmes ». Il affirme, en tant qu’homme qui travaille dans la prise en charge des patients en soins palliatifs et douleur chronique : « Nous avons de la difficulté à nous faire admettre en tant qu’êtres sensibles, pleinement empathiques dans un milieu hautement majoritaire féminin : c’est inadmissible ».
Les mis en cause n’ont pas souhaité formuler de commentaire au sujet de la plainte.
Analyse du comité des plaintes
L’article rapporte que, selon les facultés de médecine, « les femmes performent mieux aux tests de médecine », dont l’examen Casper et les mini-entrevues multiples, qui évaluent, entre autres, des habiletés et aptitudes telles que l’empathie. Selon le dictionnaire Larousse, l’empathie est la « faculté intuitive de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent. »
Les compétences empathiques chez les femmes sont reconnues par la science. Plusieurs études confirment que les femmes se montrent en général plus empathiques que les hommes, même si les scientifiques ne savent pas toujours en expliquer la cause.
Par exemple, des chercheurs de l’Université de Cambridge ont réalisé une étude « portant sur plus de 300 000 personnes dans 57 pays ». Les résultats, publiés en 2022 dans la revue évaluée par les pairs « Proceedings of the National Academy of Sciences », révèlent que « les femmes, en moyenne, sont plus aptes que les hommes à se mettre à la place des autres et à imaginer ce qu’ils pensent ou ressentent ».1
De même, les résultats d’une étude menée par le chercheur postdoctoral au Département de psychiatrie de l’University of California (UCLA), Leonardo Christov-Moore, suggèrent que « les femmes sont plus aptes à ressentir la douleur d’autrui, à réellement percevoir l’émotion que ressent une autre personne à un moment donné. Les participantes à l’étude ont montré une activation relativement plus importante dans une zone sensorielle du cerveau associée à la douleur que leurs homologues masculins ».2
Il n’est donc pas discriminatoire de souligner le fait, en parlant des femmes, que les patients pourront bénéficier « de leur écoute et de leur empathie », puisqu’elles performent mieux aux tests de médecine qui évaluent l’empathie et que cette empathie féminine est de surcroît confirmée par les recherches scientifiques. On ne peut donc pas parler ici de « préjugés » puisque cette empathie est un fait confirmé par la science. Cela n’empêche pas, par ailleurs, qu’il peut y avoir des hommes très empathiques.
Un rapprochement peut être fait avec la décision D2020-02-018. Dans ce dossier, le Conseil devait déterminer si un commentateur avait utilisé des termes ou des représentations qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à entretenir des préjugés à l’endroit de personnes ou de groupes dans l’extrait suivant : « Oui, il y a beaucoup de joueurs noirs, mais dans les faits, quand tu vas dans les stades, c’est beaucoup de Blancs parce que ça coûte cher aller dans les stades. » La plaignante considérait que l’intervenant entretenait « le préjugé que les Noirs sont pauvres, au point de ne pas pouvoir aller voir un match du Super Bowl ». Le Conseil avait expliqué : « Stéphane Bédard ne dit pas que les Noirs ne peuvent pas se payer de billets pour le Super Bowl parce qu’ils sont pauvres, comme l’avance la plaignante. Il fait cependant valoir qu’il existe, aux États-Unis, une iniquité économique qui se traduit par une surreprésentation de Blancs dans les tribunes des matchs de la Ligue nationale de football (NFL) à cause du prix très élevé des billets. » Les propos tenus par l’intervenant « s’appuient sur une iniquité socio-économique : aux États-Unis, les Noirs ont, en moyenne, des salaires moins élevés que les Blancs. Le commentateur n’a donc pas entretenu un préjugé puisque son affirmation fait référence à une réalité manifeste. »
De la même façon, dans le cas présent, l’extrait en cause ne propage pas de préjugés envers les hommes. Les journalistes, en écrivant que l’augmentation du nombre de femmes en médecine au Québec est « une bonne nouvelle pour les patients qui bénéficient de leur écoute et de leur empathie » s’appuient sur une réalité manifeste et documentée.
Note
Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de José Pouliot visant l’article « Les facultés de médecine ne prévoient pas de discrimination pour favoriser les hommes » des journalistes Hugo Duchaine et Héloïse Archambault, publié dans Le Journal de Montréal et mis en ligne sur le site Internet le 14 septembre 2024, concernant le grief de discrimination.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Mathieu Montégiani, président du comité des plaintes
Vilashi Patel
Représentantes des journalistes
Sylvie Fournier
Jessica Nadeau
Représentants des entreprises de presse
Marie-Andrée Chouinard
Mick Côté
1 Référence : University of Cambridge. (2022, 26 décembre). Communiqué du 26 décembre « Females on average perform better than males on a ‘theory of mind’ test across 57 countries ». EurekAlert!.
2 Référence : Olmos, D. (2019, 27 février). When watching others in pain, women’s brains show more empathy. UCLA (University of California, Los Angeles.