Plaignant
Stéphane Boucher
Mis en cause
Roxane Trudel, journaliste
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Stéphane Boucher dépose une plainte le 15 juin 2020 contre un article intitulé « Un adolescent de 13 ans tué accidentellement à Val-d’Or », signé par la journaliste Roxane Trudel, qui a été publié la veille sur le site Internet du quotidien Le Journal de Montréal. Le plaignant reproche une information inexacte, un manque de rigueur de raisonnement ainsi qu’un manque de fiabilité des informations transmises par une source.
CONTEXTE
L’article en cause relate un fait divers survenu à Val-d’Or, en Abitibi-Témiscamingue. La journaliste Roxane Trudel rapporte qu’un adolescent de 13 ans a perdu la vie après qu’un autre jeune lui a tiré dessus accidentellement. Il est précisé que l’entreposage négligent d’une arme à feu pourrait être à l’origine de ce drame.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si Roxane Trudel rapporte une information inexacte dans le passage suivant : « En théorie, les armes doivent être entreposées – déchargées et verrouillées – dans un contenant fermé ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Le passage en cause est une citation du spécialiste des armes à feu, Francis Langlois, que le plaignant estime « factuellement erronée ».
Voici le passage dans son contexte :
Un spécialiste des armes à feu ne serait pas surpris de voir les parents être accusés de négligence criminelle, puisque l’arme pourrait ne pas avoir été entreposée de façon sécuritaire, explique-t-il, en ajoutant que cette tragédie lui rappelle le triple meurtre qui a eu lieu en 2014 à Trois-Rivières.
« Avec les armes de son père qui étaient mal rangées, un jeune homme et son complice s’étaient rendus chez une ex-copine », rappelle Francis Langlois, professeur d’histoire au cégep de Trois-Rivières.
« Le père a été accusé de négligence criminelle parce que les adolescents n’auraient pas dû pouvoir mettre la main sur ces armes-là », poursuit le spécialiste de la question des armes à feu au Canada et aux États-Unis.
En théorie, les armes doivent être entreposées – déchargées et verrouillées – dans un contenant fermé, souligne-t-il, en ajoutant qu’un tel accident ne devrait pas arriver.
Le plaignant juge inexact les propos de M. Langlois comme quoi « en théorie, les armes doivent être entreposées – déchargées et verrouillées – dans un contenant fermé », car « les armes non restreintes n’ont pas à être dans un contenant fermé. » Cependant, il n’est pas précisé dans l’article en question le type d’arme à feu (non restreinte, à autorisation restreinte ou prohibée) impliquée dans le fait divers relaté par la journaliste. Le commentaire de Francis Langlois a un caractère général : il ne vise pas les armes non restreintes en particulier, comme le prétend le plaignant, mais toutes les armes à feu, peu importe leur classification et les règles afférentes à leur entreposage. De plus, le spécialiste ne se prononce pas au regard de la réglementation sur l’entreposage des armes à feu, mais s’exprime « en théorie ».
Dans le dossier D2019-04-060, le Conseil s’est penché sur un grief d’inexactitude, qui, similairement, relevait d’une interprétation d’un fait. Il devait en effet déterminer si la journaliste avait rapporté une information inexacte en laissant entendre que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence d’une avocate. Le Conseil a rejeté le grief en constatant « que les plaignants interprètent le texte et reprochent à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouve pas. Nulle part il n’est en effet écrit que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de [l’avocate]. »
Pareillement dans le cas présent, le plaignant interprète la phrase en cause puisque celle-ci concerne toutes les armes à feu, et non pas seulement les armes à feu non restreintes. Par ailleurs, il est vrai que les armes à feu non restreintes peuvent être entreposées de deux façons : en fixant un dispositif de verrouillage sécuritaire qui rend l’arme inopérante ou en l’enfermant « dans une armoire, un contenant ou une pièce qui ne peuvent être forcés facilement », précise le site Internet de la Gendarmerie royale du Canada. Toutefois, ce niveau de détail n’était pas nécessaire à la compréhension du sujet, qui plus est dans un article destiné au grand public publié par un média généraliste.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué de rigueur de raisonnement dans le passage suivant : « L’entreposage négligent d’une arme à feu pourrait être à l’origine d’un drame tragique en Abitibi-Témiscamingue où un adolescent de 13 ans a perdu la vie après qu’un membre de sa famille d’un an son aîné lui aurait accidentellement tiré dessus dimanche matin. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement, car il juge que le média n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa b du Guide.
Analyse
Le passage en cause constitue l’introduction de l’article, qui relève de la responsabilité du média et non de la journaliste. Le plaignant y voit un manque de rigueur de raisonnement, car il affirme que « si le jeune avait été tué avec un couteau de cuisine, la journaliste n’aurait assurément pas écrit : « L’entreposage négligent d’un couteau de cuisine pourrait être à l’origine d’un drame ». Certes, un entreposage à double tour aurait peut-être évité le drame. Mais l’origine n’a rien à voir avec l’entreposage, et tout à voir soit à un manque d’éducation, soit à un problème de santé mentale, ou les deux. » Il s’agit là de l’interprétation du plaignant. Cependant, l’analyse de la phrase en question ne révèle aucun amalgame ni conclusion fallacieuse qui serait constitutif d’un manque de rigueur de raisonnement.
En effet, dans cette phrase, le conditionnel est employé pour indiquer que « l’entreposage négligent d’une arme à feu pourrait être à l’origine d’un drame tragique en Abitibi-Témiscamingue » (soulignement du Conseil). L’emploi le plus courant du conditionnel « est sans doute dans les phrases hypothétiques », selon la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française. Ainsi, dans le passage en cause, l’emploi du conditionnel sert à introduire une hypothèse évoquée par le spécialiste des armes à feu Francis Langlois relativement au fait divers relaté. Celui-ci explique ensuite que cette situation (un « entreposage négligent ») s’est déjà présentée dans un précédent fait divers. Le média ne tire donc aucune conclusion, de quelque nature que ce soit, concernant le fait divers en question, mais propose plutôt l’avis d’un expert qui fait un lien justifié avec un autre fait divers d’apparence similaire.
Grief 3 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Roxane Trudel a pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par sa source, Francis Langlois.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 11 du Guide.
Analyse
Stéphane Boucher remet en question le statut de Francis Langlois qui, selon lui, « est autant spécialiste en armes à feu que le plongeur du restaurant du coin est un spécialiste en art culinaire », mais il ne démontre pas pourquoi la fiabilité des informations transmises par M. Langlois aurait dû être remise en question. Comme l’a maintes fois souligné le Conseil, notamment dans la décision D2018-04-037, « il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule ». Le Conseil ne disposant pas de preuves de manque de fiabilité des informations transmises par M. Langlois, il rejette le grief.
Dans un dossier similaire (D2020-02-023), le Conseil a rejeté le grief en rappelant que « le choix d’une source reste la prérogative du journaliste qui doit cependant vérifier la fiabilité des informations transmises par sa source. » Il a précisé que « dans le cas présent, la journaliste rapporte l’opinion de sa source plutôt que des faits. Au regard de l’article 11 du Guide invoqué par la plaignante, Sébastien Lapierre ne délivre pas une information dont la journaliste aurait dû évaluer la fiabilité. Celle-ci rapporte en effet l’opinion de M. Lapierre sur le moratoire décrété par Parcs Canada et non un fait. ». Pareillement dans l’article en cause, la journaliste rapporte l’opinion de M. Langlois. Elle n’avait donc pas à évaluer la fiabilité de l’hypothèse émise par celui-ci sur les causes possibles du fait divers relaté.
Au-delà du manquement déontologique allégué par le plaignant, celui-ci conteste avant tout la qualité de « spécialiste des armes à feu » attribuée à Francis Langlois. Un reproche qu’il a déjà adressé au Conseil dans une précédente plainte (D2020-05-078) qui a été rejeté au motif que le statut de M. Langlois fait consensus et qu’il est « connu et reconnu au Québec comme l’un des spécialistes, si ce n’est le spécialiste de la question des armes au feu au Canada et aux États-Unis; une expertise qu’il exerce, entre autres, au sein de l’Observatoire sur les États-Unis (OSEU) de la Chaire Raoul-Dandurand, rattachée à l’Université du Québec à Montréal, dont il est membre associé depuis 2014. »
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du quotidien Le Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Stéphane Boucher contre l’article intitulé « Un adolescent de 13 ans tué accidentellement à Val-d’Or », signé par la journaliste Roxane Trudel et qui a été publié sur le site Internet du quotidien Le Journal de Montréal, concernant les griefs d’information inexacte, de manque de rigueur de raisonnement et de manque de fiabilité des informations transmises par une source.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau