Plaignant
Jean-Michel Tanguay
Stéphane Boucher
Julien Colpaert
Mis en cause
Les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec
Agence QMI
Résumé de la plainte
Jean-Michel Tanguay, Stéphane Boucher et Julien Colpaert déposent une plainte le 10 septembre 2020 contre un article de l’Agence QMI intitulé « Interdiction de fusils d’assaut : manifestation proarmes samedi à Ottawa » qui a été publié le même jour par les sites Internet des quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec. Les plaignants reprochent des informations inexactes et un titre sensationnaliste.
CONTEXTE
Dans cet article de l’Agence QMI, on apprend qu’une manifestation d’amateurs d’armes à feu sera organisée à Ottawa le samedi 12 septembre 2020. Ces manifestants proarmes entendent protester contre un nouveau règlement, entré en vigueur le 1er mai 2020, qui interdit 1500 armes à feu de style d’assaut, telles que celles utilisées lors des fusillades à Polytechnique Montréal, à la mosquée de Québec et lors de la tuerie en Nouvelle-Écosse qui avait fait 22 morts en avril 2020. La nouvelle réglementation a été adoptée dans la foulée de cette dernière fusillade.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Armes de chasse visées et puissance des fusils d’assaut
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause rapportent une information inexacte dans le passage suivant : « Rappelons que les fusils en question n’ont d’importance que pour les amateurs de tir et pour les collectionneurs, étant beaucoup trop puissants pour la chasse. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Les plaignants affirment que de nombreuses armes à feu utilisées pour la chasse sont visées par la nouvelle réglementation et qu’il est donc faux d’écrire que « les fusils en question n’ont d’importance que pour les amateurs de tir et pour les collectionneurs. »
Dans la phrase de l’article visée par les plaignants, les termes « les fusils en question » font référence aux « centaines de milliers d’armes d’assaut, pourtant achetées en bonne et due forme, [qui] sont en train d’être confisquées à cause de cette législation » mentionnées dans la phrase précédente. Certes, certaines armes visées par la nouvelle réglementation interdisant les armes d’assaut pourraient, en théorie comme en pratique, être utilisées pour la chasse, mais cette nuance ne signifie pas que l’information rapportée dans la phrase en cause est inexacte. La phrase de l’article illustre la distinction entre les armes conçues pour la chasse et les armes d’assaut en train d’être confisquées. De plus, contrairement à ce qu’avance Jean-Michel Tanguay, il n’est pas écrit dans l’article que « toutes les armes bannies n’étaient pas utilisées pour la chasse ».
L’article concerne une manifestation contre un règlement qui interdit au Canada les armes d’assaut. Dans le langage courant, les armes d’assaut (ou fusils d’assaut) sont connues comme étant des armes à feu de style militaire, conçues pour des soldats. Par exemple, selon l’encyclopédie collective en ligne Wikipédia, un fusil d’assaut est conçu « pour qu’un soldat soit capable de tirer de façon efficace jusqu’à environ 300 mètres en mode semi-automatique (…), et à environ 30 mètres en tir automatique ». Ou encore, selon le dictionnaire français en ligne L’internaute, le fusil d’assaut désigne « une arme destinée aux militaires qui se cale au niveau de l’épaule pour assurer un tir d’une portée de 300 mètres, en rafales ou coup par coup, qui peut être équipé d’une lunette pour plus de précision. » On peut donc présumer que la phrase en cause qui fait référence aux « centaines de milliers d’armes d’assaut (…) en train d’être confisquées à cause de cette législation » concerne ces armes de type militaires qui n’ont pas été conçues spécifiquement pour la chasse. Le média pouvait donc dire, de façon générale, que ces armes d’assaut « n’ont d’importance que pour les amateurs de tir et pour les collectionneurs », même si, dans les faits, certains chasseurs pouvaient en utiliser.
Les plaignants affirment qu’il est également faux d’écrire que ces fusils d’assaut sont « beaucoup trop puissants pour la chasse », Julien Colpaert expliquant que « le principal calibre visé par l’interdiction est le 5.56 nato qui n’est pas assez puissant pour la chasse », Stéphane Boucher précisant que « ce calibre est interdit pour le gros gibier (…) parce que pas assez puissant (ce qui est l’inverse de l’affirmation dans l’article). » En matière d’armes à feu, la puissance est cependant une notion toute relative, d’autant plus qu’en l’occurrence, la phrase en cause ne fait pas référence à un type de chasse en particulier, mais concerne la chasse en général. Dans cette logique, ce n’est pas parce des armes d’assaut ne sont pas assez puissantes pour certaines chasses au gros gibier, par exemple, qu’elles ne le sont pas « beaucoup trop » pour d’autres chasses, comme celles au petit gibier. Il n’est donc pas inexact d’écrire que les fusils d’assaut nouvellement interdits – c’est-à-dire ces armes à feu conçues pour un usage militaire – sont généralement « beaucoup trop puissants pour la chasse. »
De façon générale, ces plaignants soulèvent des éléments accessoires qui, selon eux, rendent la phrase en question de l’article inexacte. Bien qu’on puisse voir les choses de leur perspective (effectivement, certains chasseurs pouvaient souhaiter utiliser certaines de ces armes d’assaut pour la chasse), dans le contexte de cet article d’intérêt général, cela relève du détail et ne rend pas le passage faux pour autant. Dans un précédent dossier (D2018-10-110), qui visait une image d’arme à feu, le Conseil avait rejeté le grief de photographie inadéquate en constatant que l’arme à feu en question n’était pas formellement identifiable. Il avait par ailleurs souligné que le mis en cause « est un média généraliste et non une revue spécialisée en armes à feu » et « qu’il pouvait alors juger que l’arme à feu figurant sur la photo, ressemblant pour le commun des mortels à un 9 mm, reflétait le contenu général de l’article qu’elle illustre. » Dans le cas présent, les mis en cause sont également des médias généralistes et la phrase en question concerne les armes d’assaut à usage militaire visées par le nouveau règlement, et non pas les quelques fusils pouvant servir à la chasse qui ont pu aussi être interdits et sur lesquels les plaignants auraient souhaité un niveau de détails et de nuances qui n’ont pas lieu d’être dans un article destiné au grand public.
1.2 Des armes d’assaut dans le communiqué du CCFR?
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause rapportent une information inexacte dans le passage suivant : « Selon la CCFR, des centaines de milliers d’armes d’assaut, pourtant achetées en bonne et due forme, sont en train d’être confisquées à cause de cette législation. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Stéphane Boucher affirme que la Coalition canadienne pour les droits des armes à feu (CCFR) « n’a jamais dit que le décret de mai [2020] bannissait les armes “d’assaut” » en précisant que « l’usage du qualificatif “assaut” n’est pas utilisé par [la] CCFR pour référer à des armes de type AR-15. » Cependant, le plaignant n’apporte pas de preuve de ce qu’il avance. Le Conseil se trouve devant des versions contradictoires et manque de preuves pour se prononcer sur l’inexactitude alléguée. En pareilles circonstances, il accorde le bénéfice du doute aux mis en cause, comme il l’a fait dans ses décisions antérieures, par exemple la décision D2016-01-085(2).
Grief 2 : titre sensationnaliste
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause font preuve de sensationnalisme en employant l’expression « armes d’assaut » dans le titre de l’article : « Interdiction de fusils d’assaut : manifestation proarmes samedi à Ottawa ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de titre sensationnaliste, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu aux articles 14.1 et 14.3 du Guide..
Analyse
Jean-Michel Tanguay estime que « l’utilisation du terme “armes d’assaut” [dans le titre de l’article] est du pur sensationnalisme (…) dans le but de faire réagir les lecteurs et influencer la perception qu’ont les citoyens méconnaissant des lois strictes sur les armes à feu au Canada avec des termes qui évoquent la guerre et la peur. »
Comme le souligne le plaignant, il n’existe pas de définition du terme « arme d’assaut » (et de son équivalent « fusil d’assaut ») dans les dispositions législatives canadiennes sur les armes à feu. Cependant, comme évoqué au grief 1.1, dans le langage courant, ce terme réfère à des armes de type militaire conçues pour des soldats. Or les armes à feu interdites par le nouveau règlement, contre lequel les proarmes vont manifester à Ottawa et qui sont désignées dans le titre de l’article en cause par le terme « fusils d’assaut », correspondent aux définitions généralistes de Wikipédia ou de L’internaute mentionnées précédemment. Comme le mentionne la décision D2018-01-004, « le sensationnalisme implique une exagération abusive ou une interprétation qui ne représente pas la réalité ». Or dans le cas présent, l’emploi du terme « fusil d’assaut » n’interprète pas ou n’exagère pas abusivement la réalité, le règlement en question interdisant bien ce type d’armes à feu.
Par ailleurs, ce titre factuel reflète l’information présentée dans le reste de l’article, puisque le sujet traite de l’opposition des proarmes à un règlement qui vise à interdire les fusils d’assaut.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de la chaîne LCN et du Groupe TVA, qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et qui n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Jean-Michel Tanguay, Stéphane Boucher et Julien Colpaert contre l’article de l’Agence QMI intitulé « Interdiction de fusils d’assaut : manifestation proarmes samedi à Ottawa », publié sur les sites Internet des quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, concernant les griefs d’informations inexactes et de titre sensationnaliste.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau