Plaignant
Danielle Joubarne
Mis en cause
Mario Dumont, chroniqueur
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Danielle Joubarne dépose une plainte le 14 octobre 2020 au sujet de la chronique « Si vous étiez sur la chaise… » du chroniqueur Mario Dumont publiée dans Le Journal de Montréal le même jour. La plaignante déplore de l’information incomplète.
CONTEXTE
Au moment de la publication de cette chronique, le Québec vit un second confinement lié à la COVID-19. Dans sa chronique, Mario Dumont parle de l’impact du confinement sur les entreprises et les citoyens. Il observe que, dans ce contexte, certains ont proposé d’autres solutions. Il donne l’exemple de la Déclaration de Great Barrington rédigée par trois professeurs des universités Harvard, Oxford et Stanford qui proposent que les restrictions ne soient imposées qu’aux gens les plus vulnérables face au virus, alors que les autres pourraient mener une vie plus normale. Il évalue à la fois ce genre de proposition et le poids des responsabilités qui pèse sur les épaules du premier ministre du Québec, François Legault, au moment d’imposer des mesures restrictives.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 alinéa e du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a omis de l’information essentielle à la compréhension du sujet concernant la Déclaration de Great Barrington.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
La plaignante déplore que Mario Dumont n’ait pas fait « mention de la qualité frauduleuse des signataires de la Déclaration de Barrington » dans sa chronique. En se basant sur un article publié le 9 octobre 2020 sur le site du média britannique Sky News, la plaignante fait valoir que « parmi les signataires [de la Déclaration de Great Barrington], on retrouve le Dr Johnny Bananas et le Dr Person Fakename. Un des signataires est le Dr Harold Shipman qui aurait tué 200 de ses patients avant d’être arrêté. On y trouve aussi des homéopathes se disant médecins autoproclamés, des massothérapeutes et autres personnes n’ayant aucune compétence reconnue. Bref, beaucoup de signataires, pas beaucoup de compétences. »
Le principe de complétude, tel que défini dans le Guide, n’exige pas des journalistes de couvrir tous les angles possibles d’un sujet ou d’inclure dans un reportage ou une intervention chaque facette d’une histoire. Cela serait d’ailleurs impossible dans un laps de temps ou un nombre de mots limités. La complétude signifie plutôt qu’on ne peut pas omettre une information essentielle à la compréhension du sujet, c’est-à-dire sans laquelle l’histoire ne tient plus ou change complètement de sens. Or, bien que la plaignante ait souhaité que Mario Dumont parle des compétences douteuses de certains signataires de la déclaration de Great Barrington, elle ne démontre pas en quoi cette information était essentielle à la compréhension du sujet de la chronique de Mario Dumont.
La chronique mise en cause ne porte pas directement sur la Déclaration de Great Barrington. Mario Dumont en présente les grandes lignes pour évoquer des solutions alternatives que certains souhaiteraient voir explorer par le gouvernement afin d’éviter de nouvelles mesures restrictives en lien avec la COVID-19. Il résume :
« Des scientifiques américains ont signé la Déclaration de Barrington. Ils suggèrent une gestion de la pandémie basée sur la gestion par chaque individu de son propre risque. Autrement dit, on laisserait le virus circuler. Si vous vous sentez en danger, restez chez vous ! Les autres continueront à vivre le plus normalement possible.
Cette déclaration fait beaucoup de bruit. Elle suscite de l’intérêt parmi ceux qui cherchent une vision alternative depuis des mois. Loin de proposer une politique globale, cette petite déclaration d’une page établit de beaux principes sans donner de détails opérationnels. Par exemple, où vivrait le personnel qui donne les soins aux personnes vulnérables si le virus circule allègrement ? Dans des aquariums ? »
Mario Dumont conclut sa chronique en soulignant le poids de la responsabilité qui se trouve sur les épaules du premier ministre François Legault :
« Pour l’instant, la vision alternative alimente simplement les discussions : on jase. Or pour celui qui gouverne, les choses ne peuvent se limiter au placotage. Celui qui gouverne porte sur ses épaules la responsabilité face aux conséquences.
[…]
Pour les commentateurs, il est infiniment tentant de faire du millage sur une vision alternative et de faire rêver à l’abandon des mesures contraignantes. Je vous affirme une chose : s’ils étaient assis dans le fauteuil du premier ministre, ils appliqueraient eux aussi le principe de précaution.
C’est ce qu’on appelle le poids de la responsabilité. »
L’analyse d’un grief d’information incomplète doit prendre en considération l’angle choisi par le chroniqueur comme le rappellent les décisions antérieures D2016-07-013 et D2018-07-078. Celles-ci soulignent que le Conseil « n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur ».
Dans le cas présent, l’information au sujet des compétences des signataires de la Déclaration de Great Barrington, bien que pertinente, n’était pas essentielle à la compréhension de cette chronique en particulier, qui ne se voulait pas une analyse de la valeur de la déclaration de Great Barrington, notamment à travers la qualité de ses signataires, mais plutôt une réflexion générale sur le confinement et ses alternatives.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal qui n’est pas membre du Conseil de presse, et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Danielle Joubarne visant la chronique « Si vous étiez sur la chaise… » de Mario Dumont publiée dans Le Journal de Montréal concernant le grief d’information incomplète.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau