D2023-03-018

Plaignante

Martine Lemoine

Mis en cause

Joseph Facal, chroniqueur

Le quotidien Le Journal de Montréal

Québecor Média

Date de dépôt de la plainte

Le 15 mars 2023

Date de la décision

Le 26 janvier 2024

Résumé de la plainte

Martine Lemoine dépose une plainte le 15 mars 2023 au sujet de la chronique « Au Canada, il est dangereux de dire la vérité », du chroniqueur Joseph Facal, publiée dans Le Journal de Montréal le 15 février 2023. La plaignante déplore des informations inexactes.

Contexte

Dans une chronique d’opinion publiée le 15 février 2023 sur le site Web du Journal de Montréal, le chroniqueur Joseph Facal réagit à l’histoire de Josh Alexander, un élève de 16 ans qui a été suspendu par l’école secondaire St. Joseph’s Catholic High School, à Renfrew, en Ontario, puis arrêté quelques semaines plus tard pour intrusion en classe. Selon le chroniqueur, le jeune homme a été « suspendu pour avoir tenu des propos parfaitement raisonnables et qui, jusqu’à présent, n’ont pas été contredits par une autre source. Mais évidemment, ces propos “heurtaient” deux étudiants trans et s’opposaient frontalement à l’idéologie de la frange la plus militante du lobby trans. » Joseph Facal indique qu’il se réfère à une chronique de Michael Higgins publiée dans le National Post 1 le 8 février 2023.

Principe déontologique relié au journalisme d’opinion 

Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Griefs de la plaignante

Grief 1 : informations inexactes

Principe déontologique applicable

Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)

1.1 Description des événements

Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur Joseph Facal a rapporté de l’information inexacte concernant le déroulement des événements qui ont mené à la suspension et à l’arrestation de Josh Alexander dans l’extrait de sa chronique retranscrit ci-dessous.

« Un professeur lance une discussion sur l’identité de genre. 

Le jeune homme [Josh Alexander] dit alors que l’on naît homme ou femme, que l’identité ne suffit pas à congédier la biologie, et que les personnes nées avec un sexe masculin devraient utiliser les toilettes des hommes.

C’est ce que soutiennent le jeune homme, son avocat et le journaliste du National Post, Michael Higgins.

Le jeune homme est suspendu pour avoir tenu de tels propos. Suspendu.

La direction dit qu’il ne pourra retourner à l’école que s’il s’exclut de deux cours dans lesquels se trouvent deux étudiants transgenres qui se sont dits heurtés par ses propos.

Josh décide de ne pas plier. Il se pointe en classe. Le directeur adjoint arrive et lui demande de sortir.

À sa sortie, il est accueilli… par la police. On l’embarque en voiture et on l’évacue des lieux.

Il sera ensuite relâché et accusé de “trespassing” (intrusion, puisque l’accès lui avait été interdit). »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point. 

Analyse

La plaignante affirme que la description des événements dans le passage de la chronique retranscrit ci-dessus est inexacte. Elle soutient : « On est loin de la vérité. Lors de mes recherches, je suis tombée sur un article où la maman d’un.e des deux élèves transgenres explique ce qui s’est réellement passé. »

La plaignante soumet un article du journaliste Bruce McIntyre publié le 14 février 2023 sur le site Web de CityNews Ottawa 2 ainsi qu’une lettre3 de la Renfrew County Catholic District School Board adressée aux parents des élèves, qui a été mise en ligne sur le site de la commission scolaire le 13 février 2023.

Elle soutient également : « J’ai contacté directement la dame [Sophie Smith-Dore, la mère d’une des deux élèves transgenres impliquées dans l’affaire], qui m’a déclaré ceci [traduction de la plaignante] :

“Josh Alexander a organisé une manifestation antitrans à l’école de ma fille [transgenre], où iels vont tous.tes deux. Il voulait ‘que les garçons n’utilisent pas les toilettes des filles’. Nous avons organisé une contre-manifestation; il y avait 120 personnes de notre côté, 20 du sien. Il a été suspendu pendant 20 jours. Il a été réinvité sous conditions, lesquelles incluaient de ne pas nommer les élèves transgenres par leur nom de naissance, de ne pas les mégenrer et de ne pas assister aux cours auxquels iels étaient présent.es. Il l’a fait malgré tout, il a été accusé d’intrusion et on l’a arrêté. Il a été suspendu à nouveau. Là encore, on lui a imposé des conditions, mais cette fois, il les a refusées. Il n’a donc pas été autorisé à retourner en classe et on lui a proposé un apprentissage en ligne. Il prétend qu’on lui refuse l’accès à l’éducation, mais ce n’est pas le cas. On lui refuse l’accès aux élèves de la diversité de genre puisqu’il refuse de cesser de les tourmenter.” »

Les mis en cause, Joseph Facal et Le Journal de Montréal, n’ont pas répondu à la plainte. 

M. Facal rapporte l’histoire de Josh Alexander en citant la chronique de Michael Higgins « Catholic school has student arrested for expressing Catholic beliefs » 1, publiée dans le National Post le 8 février 2023. Il mentionne d’ailleurs au sixième paragraphe de sa chronique : « C’est ce que soutiennent le jeune homme, son avocat et le journaliste du National Post, Michael Higgins. » Par cette phrase, le chroniqueur du Journal de Montréal établit que la version des faits qu’il présente est celle de Josh Alexander, de son avocat et du chroniqueur Michael Higgins, lorsqu’il avance que M. Alexander a été suspendu pour avoir dit en classe « que l’on naît homme ou femme, que l’identité ne suffit pas à congédier la biologie, et que les personnes nées avec un sexe masculin devraient utiliser les toilettes des hommes ».

Puisque M. Facal cite ses sources comme étant « le jeune homme, son avocat et le journaliste du National Post, Michael Higgins », il faut évaluer si nous détenons des preuves contraires indiquant que ces trois personnes n’auraient pas dit que le jeune homme avait été suspendu pour avoir tenu « de tels propos ».

La plaignante a effectué des recherches à propos de cette affaire et elle apporte un éclairage différent sur le déroulement des événements qui ont mené à la suspension de Josh Alexander. L’article du journaliste Bruce McIntyre 2, de CityNews Ottawa, qu’elle cite à titre de preuve, contient des éléments d’information qui mettent en doute ce qui est énoncé dans la chronique de Michael Higgins citée par Joseph Facal. M. McIntyre soutient dans son article que Josh Alexander avait été prévenu par la direction de son école secondaire que s’il organisait une manifestation pour empêcher les élèves transgenres d’utiliser les salles de bain de leur choix, il serait suspendu immédiatement. Cela implique que M. Alexander aurait été suspendu en raison de la tenue d’une manifestation antitrans, et non simplement pour avoir exprimé son opinion en classe sur l’identité de genre et la biologie. Nous avons donc affaire ici à deux comptes-rendus divergents des motifs pour lesquels M. Alexander a été suspendu. 

Quant à la lettre 3 de la Renfrew County Catholic District School Board adressée aux parents des élèves, elle n’indique pas les raisons pour lesquelles M. Alexander a été suspendu et ne parle pas spécifiquement de ce cas. Elle n’évoque pas les propos tenus en classe ni la manifestation. Elle affirme plutôt de manière générale que l’école ne tolère pas la haine, ce qui ne nous renseigne pas davantage sur la raison initiale de la suspension de Josh Alexander.

Ainsi, nous nous trouvons devant deux versions contradictoires des faits, la première étant que Josh Alexander a été suspendu « pour avoir tenu de tels propos » sur sa croyance de ce qu’est biologiquement une femme, la seconde étant qu’il a plutôt été suspendu parce qu’il avait « organisé une manifestation antitrans » afin d’empêcher ces personnes d’utiliser les toilettes de leur choix. 

En l’absence d’une preuve officielle expliquant les raisons de la suspension de l’élève, il est impossible de conclure qu’une information inexacte a été rapportée par Joseph Facal dans la chronique en cause publiée dans Le Journal de Montréal.

À cet effet, la  décision D2018-04-037 explique que le Conseil ne peut retenir un grief dont il n’a pas de preuve. « Lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée. […] Devant des versions contradictoires, le Conseil se voit dans l’obligation de rejeter le grief d’information inexacte, ce qui signifie qu’il n’a pas les preuves nécessaires pour trancher à propos de l’inexactitude alléguée. »

Pour ces raisons, ce grief d’information inexacte est rejeté.

1.2 Titre de la chronique

Le Conseil doit déterminer si Le Journal de Montréal a transmis une information inexacte dans le titre de la chronique de Joseph Facal, « Au Canada, il est dangereux de dire la vérité », comme l’allègue la plaignante.

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point. 

Analyse

La plaignante estime que le titre de la chronique est inexact. Elle affirme qu’il s’agit d’une « formulation intentionnellement chargée émotionnellement à des fins populistes, surtout en se basant sur des faits inexacts et incomplets ».

En déontologie journalistique, il est important de faire la distinction entre un fait et l’expression d’une opinion. À titre de journalistes d’opinion, les chroniqueurs bénéficient d’une grande latitude pour exprimer leurs points de vue et prises de position. Bien que la plaignante puisse être profondément en désaccord avec le titre « Au Canada, il est dangereux de dire la vérité » et y voir une formulation « chargée émotionnellement à des fins populistes », le chroniqueur présente l’avis que certaines opinions ou idées peuvent causer des ennuis à ceux qui les expriment publiquement, un avis qu’il explicitera ensuite dans sa chronique. Il n’y a donc pas là une erreur de fait dans le titre, mais plutôt une divergence d’opinions entre la plaignante et le chroniqueur.

Un cas similaire a fait l’objet d’une décision dans le dossier D2019-01-005. Le Conseil devait alors déterminer si une chroniqueuse avait rapporté une inexactitude en écrivant que « le Canada est devenu un paradis pour les communautés ethnoculturelles et racisées ». Même si le plaignant était d’avis que le Canada est loin d’être un « paradis », en raison « d’énormes défis entre autres sur le plan de l’emploi », le Conseil a constaté que « la chroniqueuse présentait un avis différent » et n’y voyait pas d’erreur de fait. Le Conseil a estimé qu’il s’agissait « du point de vue de l’auteure du texte qui, en tant que chroniqueuse, jouit de la liberté d’opinion et dispose d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’elle adopte ».

À l’instar de cette décision antérieure, le grief d’information inexacte est rejeté dans le présent dossier, car l’inexactitude alléguée relève de l’opinion et ne constitue pas un fait.

Note

Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Martine Lemoine visant la chronique « Au Canada, il est dangereux de dire la vérité », du chroniqueur Joseph Facal, publiée sur le site Web du Journal de Montréal le 15 février 2023, concernant deux griefs d’information inexacte.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

François Aird, président du comité des plaintes

Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes

Lisa-Marie Gervais

Daniel Leduc

Représentants des entreprises de presse

Marie-Andrée Chouinard

Jean-Philippe Pineault

1 Référence : The National Post; Higgins, Michael (8 février 2023) « Catholic school has student arrested for expressing Catholic beliefs ». Consulté en janvier 2024.

2 Référence : CityNews Ottawa; McIntyre, Bruce (14 février 2023) « Mother of transgender teen speaks up about washroom controversy ». Consulté en janvier 2024. 

3 Référence : Renfrew County Catholic District School Board (13 février 2023) « An Open Letter to the RCCDSB Community ». Consulté en janvier 2024.