Rapport annuel 1994-1995 : L’État et les besoins de l’information au Québec – 1995
Dans l’accomplissement de son mandat de promotion d’une presse libre et de qualité au service du droit du public à l’information, le Conseil de presse fait le point, d’année en année, sur l’état et les besoins de l’information au Québec. Ce troisième rapport, après avoir rappelé très sommairement quelques faits saillants de l’année 1994-1995, attire l’attention sur deux phénomènes et discute des enjeux qui y sont reliés : (1) le « fast-food » de l’information, ou les dérives d’une information conçue comme objet de consommation; (2) la liberté de presse et le droit du public à l’information comme prétextes, ou la difficile indépendance des médias face aux pouvoirs politiques et économiques.
Les destinataires de ce rapport sont d’abord les membres constitutifs du Conseil de presse du Québec : propriétaires et dirigeants des médias, journalistes, membres du public particulièrement intéressés à l’information; mais aussi, en partie à travers eux, le « grand public », c’est-à-dire les citoyens et les citoyennes du Québec qui ont droit à l’information requise pour exercer les droits et responsabilités qui sont les leurs dans une société démocratique.
Quelques faits saillants
Parmi tous les événements qui sont survenus dans le secteur de l’information au cours de l’année écoulée, nous en avons retenu quelques-uns, révélateurs d’enjeux que le Conseil estime importants. Ils sont regroupés sous trois rubriques : (1) les difficultés financières et leurs conséquences; (2) l’information… entre le scandale et la banalisation; (3) des interventions qui posent de nouveau la question des rapports entre l’information et les pouvoirs politiques.
(1) Une situation financière difficile. – Dans la plupart des médias d’information du Québec, la situation financière des dernières années a été particulièrement difficile, obligeant à des réductions de dépenses qui ont à leur tour entraîné parfois la suppression de services de nouvelles (dans certaines stations de la radio privée), plus souvent la réduction de l’effectif des journalistes (tant dans les médias écrits que du côté de la presse électronique). Les médias du secteur privé surtout semblaient avoir été touchés. Au cours de la dernière année, les services publics d’information ont été atteints à leur tour.
Les causes de ces difficultés sont diverses : situation économique générale et jeu de la concurrence, redistribution de l’enveloppe publicitaire globale, hausse du coût de papier, etc.
Cela n’a pas été sans avoir d’importantes conséquences pour la qualité de l’information : réduction du nombre de sources d’information, uniformisation et standardisation de l’information, diminution des ressources consacrées à la recherche, à l’enquête et aux grands reportages, non-renouvellement des équipes journalistiques, marginalisation, voire exclusion des jeunes journalistes livrés aux aléas de la pige, etc.
Même si le Conseil de presse du Québec a déjà attiré l’attention sur ces faits au cours des dernières années, il a paru important d’en faire état de nouveau, parce que leurs conséquences se font encore sentir, malgré les redressements opérés dans plusieurs médias. Ces redressements ont « sauvé » des entreprises de presse en permettant le retour de leur rentabilité, mais ce fut parfois au prix d’une information moins diversifiée et moins fouillée, moins rigoureuse : certaines médias régionaux sont disparus, des équipes journalistiques réduites sont partout débordées par les exigences d’une information au jour le jour qui fait peu de place à la recherche patiente et à l’enquête, les « lignes ouvertes » prennent le pas, à la radio, sur l’information.
Les services publics d’information, Radio-Canada et Radio-Québec, n’ont pas été épargnés. L’année écoulée a été particulièrement dure pour eux. Si l’on peut saluer ici, à Radio-Canada, le lancement et le succès dur réseau de l’information continue R.D.I., on doit noter du même coup que les contraintes budgétaires déjà imposées ou simplement annoncées constituent une menace pour l’information et risquent de compromettre sa qualité. En témoigne, du côté de Radio-Canada, la démission de l’ancien président Anthony Manera, selon qui la Société ne pourra plus remplir adéquatement son mandat. À Radio-Québec, on annonce des bouleversements plus importants encore.
De part et d’autre, boulevard René-Lévesque et rue Fullum, les dirigeants promettent que tout sera mis en œuvre pour assurer malgré tout, la qualité de l’information. Mais auront-ils les moyens d’y parvenir? Le Conseil de presse ne se fait certes pas alarmiste en appelant tous les partenaires en cause, responsables politiques et dirigeants, journalistes et public à la plus grande vigilance.
(2) L’information… entre le scandale et la banalisation. – Les médias ont accordé une grande importance, au cours de la dernière année, à quelques procès : le procès Simpson, aux Etats-Unis; le procès Bernardo, à Toronto; le procès des policiers impliqués dans l’Affaire Barnabé à Montréal. S’est posée une nouvelle fois la question des devoirs et des responsabilités des médias et des journalistes par rapport à l’intérêt public et à ce que l’on peut appeler l’intérêt du public. Le fait quel la justice doive être administrée et rendue publiquement rend-il d’intérêt public tout ce que révèle un procès et qui peut « intéresser le public »?
D’autres événements de la dernière année renvoient à la même problématique. Que les faits allégués soient réels ou non, l’affaire Lucien Bouchard c. André Arthur, une poursuite pour diffamation, renvoie elle aussi à la question de savoir si tout de la vie privée d’une personne devient d’intérêt public du seul fait qu’il s’agisse d’un homme public.
Dans le cadre de consultations menées par le Conseil de presse du Québec sur l’opportunité d’identifier ou non les personnes suicidées et les victimes d’accident ou d’agression, l’éternelle interrogation sur le délicat équilibre à maintenir entre les exigences de l’information et celles de la protection de la vie privée et de la dignité des personnes a été reprise. Tout scandale, tout fait inhabituel est-il automatiquement d’intérêt public? On a en outre fait observer qu’un certain style d’information risque d’entraîner la banalisation de l’horrible – au Rwanda, à Sarajevo, chez nous.
Nous reviendrons plus loin sur ces pages.
(3) Des interventions gouvernementales ou d’hommes politiques dans le champ de l’information ont ponctué le premier semestre de l’année 1995.
À Ottawa, pendant que s’intensifiaient les débats sur la redéfinition de la mission de Radio-Canada, des réductions budgétaires annoncées ou appéhendées, ont amené la démission du président de Radio-Canada, M. Anthony Manera. Dans le même temps, le gouvernement fédéral tentait de passer outre à des décisions du C.R.T.C. touchant la distribution d’émissions télévisées par satellite.
À Québec, la démotion de la p.d.g. de Radio-Québec a précédé une démarche de redéfinition de la mission de la télévision éducative au Québec étroitement liée aux importantes compressions budgétaires prévues et annoncées. Plus tard, le premier ministre et ministre de la Culture et des Communications devait dénoncer la concentration de la propriété de la presse au Québec, évoquant la possibilité d’une intervention pour redresser la situation.
Y a-t-il là menaces à la liberté de la presse et du droit du public à l’information? Là-dessus aussi nous reviendrons plus loin.
C’est dans le contexte des événements évoqués ci-haut que le Conseil de presse du Québec, dans ce document sur l’état et les besoins de l’information au Québec, a jugé opportun de discuter des dérives d’une information considérée comme objet de consommation et des menaces nouvelles et parfois cachées à la liberté de la presse et au droit du public à l’information.
Quand l’information fait obstacle à l’information – ou les dérives d’une information style « fast-food »
Traitant des procès évoqués plus haut – le procès Simpson, le procès Bernardo, le procès des policiers de la Communauté urbaine de Montréal accusés d’avoir brutalisé M. Barnabé, – les médias québécois n’ont pas donné dans la démesure des dérives américaines qui ont fait obstacle à l’administration de la justice. Le Conseil de presse tient ici à le reconnaître. Mais cette démesure et ces dérives outre-frontières font voir où mène, ou risque du moins de mener, une tendance manifestement à l’œuvre dans les médias d’ici.
Ces procès constituaient certes dès le départ des événements : des faits sortant de l’ordinaire et mettant en cause des réalités sociales importantes, des réalités qui font – et défont – la qualité d’une société et de la vie qu’on y peut mener. Mais leur médiatisation a elle-même contribué à leur donner le statut d’événements. Journalistes et médias, lorsqu’ils rapportent des faits, font du même coup « la nouvelle », et l’événement. Témoins, ils sont aussi acteurs. Ils influencent par leur action d’information la configuration de la société et son organisation; ils façonnent ou contribuent à façonner, avec d’autres forces, la société commune.
Pour exercer le rôle qui est le leur dans une société démocratique, les citoyens doivent être informés. Leur droit à une information libre et diversifiée, honnête, exacte et équilibrée fonde à la fois la liberté de la presse et les exigences de l’éthique journalistique. Voilà pour la doctrine officielle.
En pratique, il n’en va pas toujours ainsi. Il n’en va pas toujours autrement non plus, mais les jeux sont moins nets. C’est dans le « fait divers » et dans l’inattendu que se font et que se révèlent du même coup les mutations de société. D’où l’importance de « faits divers » en information. Mais le bombardement en série et en style « instantané » de « faits divers », misant sur la fascination pour l’étonnant qui fait scandale, s’il satisfait provisoirement une curiosité du public qui demeurera néanmoins insatiable, permet-il vraiment de s’informer? L’information est apparemment bien servie : les faits sont là, nombreux, – « divers », justement, – qui s’empilent. Mais l’alignement sans fin de faits divers juxtaposés les uns aux autres, banalisant l’horrible qui y prend place, risque d’endormir la capacité d’indignation.
De plus, les dossiers ouverts ne faisant souvent pas l’objet d’un suivi, faute d’enquêtes approfondies, l’information, sans qu’on s’en rende compte, peut être victime des effets de mode, soumise aux dictats de la correction politique, et donner dans la confirmation des préjugés, voire dans la propagande larvée.
Un journaliste, par hasard ou à la suite d’un patient travail d’enquête, obtient une information neuve, inédite, un scoop. Tous alors se précipitent, et c’est la montée des enchères, chaque média devant pouvoir à la fois répéter et innover, c’est-à-dire ajouter. De manchettes en bulletins de nouvelles, défile sous des couleurs diverses le pareil au même. Le lendemain, ou trois jours plus tard, personne n’en parle plus. Manque souvent, après le choc de la nouvelle diffusée, le patient travail de cueillette et d’analyse de faits nouveaux qui permettrait de donner une information relativement complète sur le dossier.
Notons, en passant, que l’on n’a pas encore pris la mesure des enjeux liés au développement de l’inforoute et de ce que l’on a appelé « l’information sans journalistes ». Qui est et qui sera garant de la qualité d’une information étonnamment multiple et diversifiée mise en circulation sur Internet ou sur d’autres réseaux? Qui devra répondre?
Médias et journalistes détiennent un grand pouvoir d’influence. Moins peut-être par les opinions exprimées, les éditorialistes parfois le déplorent, que par les choix qui sont faits quotidiennement des faits retenues et rendus publics, et de ceux dont il ne sera fait, par conséquent, nulle mention. On évoquera parfois le manque d’espace et de journaux, le manque de temps à la radio, le manque d’images à la télévision : raisons valables, prétextes ou simple effet de la subjectivité?
Le citoyen qui va voter aura généralement pu prendre connaissance, au cours de la campagne électorale, de tous les faux pas des candidats, ainsi que de leurs « promesses d’élections », et des erreurs stratégiques des partis, mais il ne se sentira pas mieux informé pour autant sur les enjeux, les projets, les programmes. Parce que les stratèges politiques ont joué le jeu de la communication et de l’image. Mais fallait-il que les médias et les journalistes, experts pourtant de ce jeu, les laissent jouer… et, jouant eux-mêmes le jeu, se laissent jouer? Questions piégées d’une part, questions éludées de l’autre : s’agit-il encore d’information?
Oui, sans doute. Mais d’une information devenue un objet de consommation parmi d’autres, d’une information pour le tirage et pour les cotes d’écoute qui sert d’abord les intérêts du producteur tout en prétendant servir ceux du client réduit au statut d’un consommateur dont on analyse les goûts et les habitudes. D’UNE INFORMATION QUI FAIT OBSTACLE À L’INFORMATION quand on oublie que, produit de consommation si l’on veut, elle est aussi instrument de vie démocratique. Même quand elle appartient au secteur privé, l’entreprise de presse est un service d’intérêt public, sinon à proprement parler d’un service public.
En réponse à une demande qui lui a été adressée, le Conseil de presse s’est intéressé de façon toute particulière, cette année, à une question qui revient au fil des ans : faut-il divulguer on non l’identité des suicidés et des victimes d’accident ou d’agression?
Une nouvelle étude du dossier a amené le Conseil à émettre récemment un avis à ce sujet, dont on trouvera copie dans le rapport annuel. Cet avis rappelle l’importance de concilier, d’une part, la liberté de la presse et le devoir d’informer, et, d’autre part, le droit des personnes au respect de leur vie privée et de leur intimité.
Pour le Conseil, la notion d’intérêt public offre, dans cette démarche de conciliation toujours à reprendre, un repère de première importance : on ne doit révéler, publier et diffuser que ce qui – mais tout ce qui – est d’intérêt public.
Ce repère est lui-même sujet à interprétation. Si l’on s’entend sur la nécessité de distinguer entre intérêt public et intérêt et curiosité du public, il n’en va pas de même quand il s’agit de définir ce qui est d’intérêt public ou non, et de décider… qui en décidera! L’État? Certes pas, et il a d’ailleurs trop abusé déjà de la raison d’État. Les médias et les journalistes? Sans doute, mais leur pratique ne saurait échapper à la reddition de comptes devant une autre instance, qui ne peut être finalement que le public.
Dans les consultations menées par le Conseil de presse, nul ne voulait bâillonner la presse. On a vite convenu qu’une trop grande réserve ou une trop grande « pudeur » des journalistes et des médias conduirait, par l’autocensure, aux silences complices face à des faits de société – accidents, suicides, violence et criminalité sous les formes anciennes et nouvelles, – dont le redressement exige, de la part du public, vigilance et solidarité, et de la part des détenteurs de pouvoir, une action concertée.
En ce qui a trait au droit des personnes au respect de leur vie privée, de leur intimité, de leur dignité, journalistes et dirigeants de médias ont fait observer avec raison qu’il n’y a pas eu chez nous, au cours des dernières années, les dérapages constatés dans la presse anglaise ou dans la presse américaine. Un malais subsiste pourtant dans le public et chez plusieurs journalistes qui osent prendre leurs distances par rapport à certaines pratiques de collègues, face au traitement parfois réservé dans les médias d’ici aux victimes d’agression, d’accident ou de suicide, ou à leurs proches. Logique de l’image-choc, jeu de la compétition et de la surenchère, souci d’un human interst visant davantage à satisfaire la curiosité du public et à faire monter les tirages et les cotes d’écoute qu’à tenir compte de l’intérêt des personnes et de leurs droits, tout cela fut dénoncé comme pouvant mener et comme menant certaines cas à des abus.
Aussi le Conseil a-t-il cru bon rappeler les exigences du devoir et de la responsabilité d’informer; du devoir et de la responsabilité de respecter la vie privée des personnes, leur intimité, leur dignité; du devoir et de la responsabilité aussi de compassion amenant à ne pas harceler les victimes et leurs proches, et à ne pas contribuer à ce qu’elles soient harcelées.
Le bon fonctionnement de l’information, dans une société démocratique, suppose que soit gardé toujours vivant malgré les inévitables tensions, et sans qu’on en abuse, le rapport de confiance entre les journalistes et les médias, d’un côté, et le public qui informe et qui est informé, de l’autre. La qualité de la vie démocratique, le Conseil de presse l’a souvent rappelé, dépend pour une part de la libre circulation de l’information ainsi que de la qualité de celle-ci.
DE NOUVELLES MENACES À LA LIBERTÉ DE LA PRESSE? À propos de quelques interventions…
Comte tenu de l’importance de l’information dans une société démocratique, l’État ne peut se désintéresser de ce qui a cours dans ce domaine, et il lui incombe d’établir, en tant que législateur, les règles du jeu; aux intéressés et aux tribunaux, ensuite, d’assurer qu’elles soient respectées.
La presse doit néanmoins demeurer libre face à l’État et aux gouvernements comme face à la Justice et aux tribunaux, et il appartient aux journalistes, au bénéfice des citoyens, de rendre régulièrement compte des faits et gestes qui ont cours dans les instances – gouvernements et tribunaux – qui, pourtant, régissent leur travail.
La liberté de la presse, qu’elle soit ou non enchâssée dans la Constitution du pays, est d’une importance capitale en démocratie, parce que la libre circulation d’une information exacte et transmise avec rigueur est un préalable obligé de l’exercice des droits démocratiques. Pouvoir législatif, pouvoir judiciaire et pouvoir des médias sont ainsi placés dans une dynamique complexe à la fois d’interinfluence et de surveillance réciproque. Qui fait les lois doit aussi voir à la bonne administration de la justice, mais celle-ci doit demeurer indépendante de l’État, lui-même justiciable. Sont également justiciables les journalistes et les médias, dont la mission est pourtant de « surveiller », pour en rendre compte, l’exercice des pouvoirs législatif et judiciaire. Le rapport de confiance évoqué plus haut est donc un rapport difficile, et qui ne va pas sans une part de méfiance.
En raison de ce délicat équilibre, toute intervention du gouvernement ou d’un représentant officiel de l’État dans le champ de l’information, comme toute limitation imposée par les juges ou par les policiers, sont elles-mêmes délicates. Le précédent document sur l’état et les besoins de l’information au Québec (rapport 1994) faisait état des préoccupations et des réflexions du Conseil de presse au sujet des relations entre la presse et l’administration de la justice. L’attention sera ici accordée au rapport entre la presse et les pouvoirs politiques.
Au cours de la dernière année, on l’a rappelé plus haut, les gouvernements canadien et québécois ont tous deux annoncé d’importantes réductions dans les budgets des sociétés Radio-Canada et Radio-Québec, ainsi que des modifications aux mandats de ces sociétés. Il y a là matière à inquiétude.
Le poids croissant de la dette de l’État et la conjoncture économique globale suffisent peut-être à justifier de telles mesures; elles n’en demeurent pas moins une menace objective à la qualité de l’information dispensée par ces sociétés publiques.
Au-delà des motifs évoqués, on pourrait craindre, en outre, que ces interventions gouvernementales s’inspirent ou s’accompagnent d’une sorte de volonté de « censure par le budget » – de la même façon que certains ont pu parler d’ « euthanasie par le budget » dans le domaine biomédical.
Il n’est donc pas étonnant que les départs de M. Manera, l’ancien président de Radio-Canada, et de Mme Françoise Bertrand, l’ancienne présidente de Radio-Québec, aient eu large écho dans les médias. Dans le second cas, M. Florian Sauvageau, professeur à l’Université Laval, s’est vivement élevé contre une démotion banalisée par les médias et présentée comme « attendue » à la suite de l’accès au pouvoir d’un nouveau parti politique. À l’instar de M. Sauvageau et des commentateurs qui ont appuyé sa protestation, le Conseil de presse estime que les dirigeants des services publics d’information doivent être libres de tout attache partisane et que leur mandat, issu du Parlement ou de l’Assemblée nationale, ne devrait pas pouvoir être remis en cause sans une intervention formelle, à cette fin, du Parlement ou de l’Assemblée.
Le Conseil de presse estime par ailleurs que, si les compressions budgétaires peuvent être jugées nécessaires dans une démarche d’assainissement des finances de l’État, il importe que soient sauvegardés les missions et les mandats d’information libre de Radio-Canada et de Radio-Québec, services publics d’information. Il n’appartient pas à l’État, dans notre société, de définir de quelque façon que ce soit l’orientation de l’information journalistique, et ce, même dans les services dont il assure le financement au nom des citoyens contribuables, et pas même pour favoriser l’unité nationale ou un projet de société, ni pour développer une identité canadienne ou québécoise. Cela dit, il est entendu que la liberté de la presse doit s’exercer dans les limites qu’imposent à tous, et donc aux journalistes et aux médias comme aux responsables politiques et aux divers services de l’État, les chartes canadienne et québécoise des droits de la personne, et les lois dûment adoptées et en vigueur touchant, par exemple, le libelle et la propagande haineuse.
À Ottawa et à Québec, boulevard René-Lévesque et rue Fullum, on assure qu’en dépit des restrictions budgétaires imposées, les missions et les mandats des organismes intéressés seront maintenus en ce qui a trait à l’information, et que la qualité et la liberté de cette information ne seront pas compromises. Le Conseil de presse, qui compte parmi ses membres constitutifs Radio-Canada, Radio-Québec et la fédération professionnelle à laquelle appartiennent bon nombre des journalistes oeuvrant dans ces deux services publics d’information, accueille avec satisfaction ces engagements, tout en invitant à une vigilance sans compromission.
Au début de l’été 1995, M. Jacques Parizeau, premier ministre du Gouvernement du Québec et alors ministre de la Culture et des communications, a fait état publiquement de ses inquiétudes touchant les conséquences de la concentration de la propriété des entreprises de presse écrite au Québec. Notant que pu de villes, particulièrement en Amérique du Nord, peuvent compter sur une aussi grande diversité de sources d’information que Montréal (où l’on trouve notamment plusieurs stations de radio et de télévision et quatre quotidiens – dont trois de langue française – appartenant à des propriétaires distincts), plusieurs éditorialistes ont dénoncé la menace d’une ingérence nettement indue de l’État.
Le Conseil de presse du Québec considère, pour sa part, que le débat doit s’ouvrir sur une problématique plus large : celle à la fois de l’accès à l’information et du contrôle de la qualité de l’information diffusée ou simplement disponible – par et dans la presse écrite, par et dans les médias radio et télé, et avec la mise en place de l’inforoute. Le Conseil, dans un précédent rapport sur l’état et les besoins de l’information, a fait part de ses préoccupations à cet égard et soumis quelques réflexions à la discussion; il compte y revenir au cours de la prochaine année.
Nous avons rappelé plus haut l’importance du délicat équilibre à établir et à maintenir entre les pouvoirs de l’État, de la Justice et de l’Information ou des médias. Il faut en outre prendre acte, dans le jeu complexe d’interactions multiples entre ces divers pouvoirs, de l’influence du pouvoir économique. Si la liberté de presse et la qualité de l’information peuvent être menacés par une conjoncture économique difficile, comme on l’a mentionné plus haut, et si, comme l’a rappelé le président et éditeur de La Presse, M. Roger D. Landry, lors d’une réunion à Montréal à la