Cette entrevue a été publiée à l’origine dans le bulletin de l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse en France, l’APCP. Nous en reproduisons ici un extrait, avec l’aimable autorisation d’Yves Agnès, ancien rédacteur en chef du Monde et actuel président de l’APCP.
L’information et les médias figurent parmi les thèmes négligés de la campagne présidentielle française; c’est du moins le constat que pose l’Association de préfiguration d´un conseil de presse en France, l’APCP. Ses membres ont donc voulu aller plus loin en questionnant directement les candidats sur ces enjeux. Qu’ont-ils à dire sur l’information en général, sur sa qualité, qui conditionne celle des débats publics?
À la veille du scrutin de deuxième tour, où s’affronteront François Hollande du Parti socialiste (PS) et Nicolas Sarkozy de l’Union pour un Mouvement Populaire (UMP), nous publions ici leur vision des médias et de l’information. Si le contexte est français, certains éléments dépassent largement les frontières de l’Hexagone.
1. Êtes-vous favorable à l’inscription dans la constitution française du droit pour les citoyens à une information libre, honnête, pluraliste?
François Hollande : L’idée peut sembler séduisante, mais la jurisprudence du juge constitutionnel est constante en la matière et répond pour une bonne part à l’objectif recherché. En consacrant comme objectif à valeur constitutionnelle le pluralisme des quotidiens d’information politique et générale, le Conseil Constitutionnel consacre également un droit du public à recevoir une information diversifiée et un accès à « un nombre suffisant de publications de tendances et de caractère différents », cela dans le but de s’assurer que le lecteur, qui est le destinataire essentiel de la liberté de l’article 11, puisse exercer son libre choix.
Sur le plan international, plusieurs textes posent la liberté pour le public de rechercher et recevoir les informations. Il en est ainsi de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948, de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales du Conseil de l’Europe de 1950 et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Nicolas Sarkozy : Une telle mention dans la Constitution n’apporterait aucune garantie nouvelle à nos concitoyens. Le Conseil constitutionnel estime depuis 1984 que la liberté de communication comporte bien deux volets : le droit de s’exprimer, mais aussi le droit, pour le public, de recevoir une information pluraliste. Plusieurs décisions similaires ont confirmé dès 1986 que ce principe constitutionnel vaut également pour la communication audiovisuelle.
2. Puisqu’une information de qualité des citoyens est nécessaire au bon fonctionnement de la démocratie, de quelles façons et à quels niveaux les pouvoirs publics (législatif et exécutif) doivent-ils intervenir dans le domaine de l’information? Quelles limites doivent-ils s’imposer?
François Hollande : Le mélange des genres entre contrôle des médias et participation à des marchés publics choque légitimement tous les esprits attachés au pluralisme et à la transparence. Il n’est pas question de laisser perdurer un système malsain. Dans la perspective d’acquisitions ou de lancement de chaînes et, notamment, dans celle des nouveaux appels à candidatures qui interviendront à l’expiration des licences actuelles, la loi complétera les critères que le CSA est en charge d’apprécier en vue de prendre ses décisions.
Par ailleurs, la législation sera complétée afin de mieux garantir la transparence et, surtout, l’indépendance. Alors que la crise de la presse entraîne la précarisation des journalistes, il y a urgence à garantir l’indépendance des rédactions. Refuser le mélange des genres et réaffirmer clairement le cloisonnement entre l’éditorial et l’économique est un préalable.
Ainsi, chaque entreprise de presse (TV, radio, presse écrite, presse en ligne) sera soumise à de nouvelles obligations : la reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle; la définition d’une charte éditoriale et déontologique précise énonçant les garanties d’indépendance éditoriale et les engagements souscrits à l’égard des lecteurs par tous ceux qui concourent à la publication.
Par ailleurs, le pouvoir actuel a exercé une pression croissante sur les journalistes, et généré un climat de défiance, particulièrement détestable, entre eux, la police et la justice. La loi sur la protection des sources des journalistes votée dans notre pays en 2010 ne répond malheureusement pas aux enjeux. Il sera nécessaire de la modifier afin de se rapprocher de la loi belge, la plus protectrice en la matière.
Nicolas Sarkozy : La France est certainement l’une des démocraties où la presse entretient les liens les plus étroits avec les pouvoirs publics. Cela découle notamment de notre histoire récente, car le paysage de la presse écrite française s’est largement dessiné à la Libération et sous la IVème République. Le législateur avait alors pour souci de garantir aux citoyens une information pluraliste et d’éviter les dérives de la presse de l’entre-deux-guerres.
Mais les pouvoirs publics sont intervenus plus récemment pour soutenir par des aides directes la presse quotidienne, fragilisée de longue date par l’érosion de sa diffusion. La crise brutale des recettes publicitaires qui a frappé la presse à la fin de l’année 2008 et qui s’est creusée en 2009 aurait pu être fatale, sans le plan de soutien massif que j’ai mis en place à l’occasion des États généraux de la Presse écrite. Au total, j’ai augmenté de 103 % les aides au pluralisme, à la diffusion et à la modernisation, portées de 155 à 315 M€ par an. Le résultat des engagements, pris par les éditeurs à cette occasion, a commencé à porter ses fruits. Les coûts se sont réduits et la diffusion s’est sensiblement redressée depuis 2010.
Pour ce qui concerne l’audiovisuel, la régulation économique aussi bien que le contrôle du respect du pluralisme incombent à des autorités indépendantes comme le CSA et l’ARCEP. S’agissant des sociétés nationales de l’audiovisuel public, financées par l’impôt, j’ai souhaité la plus grande transparence en faisant en sorte que l’État-actionnaire désigne les présidents de ces entreprises, sous le contrôle étroit du Parlement et du CSA. Je peux d’ailleurs constater tous les jours, en regardant les journaux de France Télévisions ou en écoutant ceux de Radio France, que ce mode de désignation n’a pas abouti à une dévotion des rédactions à l’égard du chef de l’État, ni conduit des patrons d’antenne à signer des tribunes pour le soutenir.
J’ai enfin veillé à compléter par la loi du 4 janvier 2010, protégeant le secret des sources des journalistes, les grands principes de la liberté d’expression et de la liberté de la presse, tels qu’ils découlent de la loi du 29 juillet 1881.