Entrevue: Sarkozy et Hollande se prononcent sur la régulation des médias

3. Pensez-vous utile de réformer le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)? Si oui, dans quelles directions (mode de nomination, représentation du public, etc.)?
 Pensez-vous renforcer les attributions du CSA en matière de déontologie?

François Hollande : Je me suis prononcé à ce sujet à plusieurs reprises. Il est nécessaire de renforcer l’indépendance du CSA en en faisant une autorité de régulation de l’audiovisuel rénovée, aux pouvoirs de sanction étendus, et composée de personnalités incontestables, compétentes, nommées par les commissions parlementaires des affaires culturelles de l’Assemblée nationale et du Sénat à une majorité qualifiée.

Nicolas Sarkozy : C’est un sujet sur lequel il faut faire preuve d’une exceptionnelle prudence. Si la question se pose, c’est parce que la technologie évolue : la diffusion hertzienne, qui relève de la compétence du CSA, va se trouver directement concurrencée par les services non linéaires et notamment par ce que l’on appelle la « TV connectée ». Autrement dit, vont cohabiter sur les mêmes écrans des services audiovisuels qui seront régulés à divers titres – pluralisme de l’information, financement des contenus culturels – et d’autres services qui, pour l’instant, ne le sont pas du tout. Doit-on se résigner à ce que le CSA, gardien du respect des obligations des chaînes en matière de création et de pluralisme, soit ainsi contourné? Je m’y refuse absolument.

Il reste toutefois à déterminer les meilleures modalités pour intégrer les nouveaux acteurs dans le champ de la régulation. Une autorité unique, pour la télévision, pour la téléphonie et pour Internet, cela mérite réflexion.

4. Êtes-vous favorable à la création d’une instance nationale de co-régulation déontologique pour l’ensemble des médias, comprenant des représentants des éditeurs, des journalistes et du public (comme il en existe une centaine dans le monde, une vingtaine en Europe, sous le nom générique de « conseil de presse »)?
 Si oui, par quels moyens pensez-vous pouvoir favoriser l’éclosion d’une telle structure?


François Hollande : C’est une proposition portée depuis quelques années déjà par l’APCP et on peut considérer à juste titre qu’elle prend le relais des États généraux de la Presse écrite lancés en 2008 et restés sans suite en la matière. Elle mérite d’être examinée avec attention.

Nicolas Sarkozy : Le recul de la confiance du public est un enjeu vital et j’avais appelé très clairement la profession à prendre ses responsabilités lors des États généraux de 2008. J’avais notamment souligné l’intérêt qu’il y aurait, pour la profession, à s’accorder sur un code de déontologie national, adopté unanimement par les journalistes et les éditeurs et reconnu par le public. Le monde de la presse en a décidé autrement. Chacun s’est empressé de faire valoir son propre code, sa propre charte, sans s’interroger sur l’effet que cette attitude pouvait avoir sur le public. Je persiste donc à penser que la profession doit afficher ses engagements déontologiques. C’est maintenant à elle de s’organiser. Si une instance nationale lui semble opportune, qu’elle travaille à sa fondation. En tout état de cause il ne faut pas perdre de vue que de tels organismes ont aussi leurs limites, comme la Press Complaints Commission (PCC) britannique, hier jugée exemplaire et qui n’a pu éviter le scandale de News of the World.

5. Avez-vous d’autres propositions concernant
le rôle social des médias?


François Hollande : L’éducation aux images est essentielle. Cette place de l’image dans l’éducation doit être repensée sous l’angle des grandes missions éducatives : il faut savoir se servir des images, pas seulement les subir. Elles changent en effet profondément la donne éducative. Un autre axe me tient particulièrement à coeur, c’est l’éducation à la presse durant l’école. Vous connaissez mes engagements en faveur de l’éducation. Il est important que les élèves connaissent mieux l’univers des médias et comprennent ses enjeux culturels et démocratiques.
Le service public des médias constitue quant à lui l’une des composantes de la rénovation démocratique que j’appelle de mes vœux. Dans cette perspective, je mettrai en œuvre une politique visant quatre objectifs. La nécessaire confiance implique de mettre le pôle public des médias à l’abri des influences des intérêts privés et de garantir en son sein la qualité de l’information et le respect du pluralisme. La mise en place d’une nouvelle gouvernance, notamment en revenant sur le mode, à tous égards malsain, de nomination des présidents de l’audiovisuel public par le président de la République. La mise en place d’un modèle de financement stable et qui garantisse l’indépendance des groupes publics. Une clarification durable du périmètre, de l’organisation et de l’identité des différentes composantes de l’audiovisuel public.

Nicolas Sarkozy : Les politiques de sensibilisation des jeunes publics, d’éducation aux médias, ne peuvent se développer que sur la base du volontariat de la part des éditeurs. La meilleure illustration en a été le remarquable succès de l’opération
« Mon Journal offert » : lors de la campagne 2010-2011,
ce sont 5 % des 18-24 ans, soit près de 300 000 jeunes, qui
se sont inscrits à l’opération et les quotidiens concernés
ont enregistré un taux de transformation en abonnement
payant de 5 à 10 %. Je serai toujours au rendez-vous pour encourager les éditeurs dans de telles initiatives.

Je suis sur le point de signer le décret qui réforme profondément les modalités d’attribution des aides à la presse et parachève ainsi le travail entamé avec les éditeurs à l’occasion des États généraux. Ce nouveau dispositif, longuement concerté depuis deux ans, permettra de soutenir de façon renforcée toutes les actions exemplaires engagées par les éditeurs de presse en termes de qualité, d’accès des publics, de recherche de nouveaux lecteurs, de respect de l’environnement, ou encore de formation des journalistes.