Grande-Bretagne : Murdoch collabore-t-il trop avec la police ?

News of the worldÉcoutes illégales, corruption de policiers, fermeture du tabloïd News of the World, arrestation de dizaines d’employés : l’empire médiatique de Rupert Murdoch a été lourdement ébranlé l’an dernier. En réaction aux révélations sur les pratiques douteuses de ses médias, le PDG de News Corp a mis sur pied en juillet 2011 un comité d’enquête interne, le Management and Standards Committee (MSC). Composé de juristes, juricomptables et informaticiens, le comité est chargé d’éplucher quelque 300 millions de courriels, archives et notes de frais, pour identifier toute pratique illégale ou apparente malversation. Fait inusité: une vingtaine de policiers ont été intégrés à l’équipe.

Le MSC remet volontairement aux policiers les éléments incriminants découverts par le biais de l’enquête interne, ce qui a déjà mené au cours des derniers mois à l’arrestation de 11 journalistes du tabloïd Sun, aussi propriété de News Corp. Plusieurs analystes des médias, juristes, politiciens et journalistes, estiment que Murdoch fait un peu trop de zèle dans sa collaboration avec les policiers, risquant de mettre en péril des informations obtenues sous le sceau de la confidentialité.

Cette proximité entre les représentants de l’ordre et ceux du quatrième pouvoir soulève une question essentielle : quel intérêt prime lorsqu’une organisation médiatique est accusée d’infraction criminelle ? La justice, qui veut qu’on épingle à n’importe quel prix les responsables des délits condamnables, ou la liberté d’expression et avec elle, la protection d’informations journalistiques confidentielles?

 Collaboration volontaire ou obligatoire ?

Le problème fondamental dans cette histoire, c’est que la collaboration entre Rupert Murdoch et les forces policières est volontaire.  L’avocat en droits humains Geoffrey Robertson estime d’ailleurs que cette assistance des médias au travail des policiers crée un précédent préoccupant pour la protection du matériel journalistique, lequel est exclu des saisis policières, en vertu du Police and Criminal Evidence Act de 1984.

Selon cette loi, la police britannique doit obtenir un mandat de perquisition délivré par un juge avant de mettre la main sur du matériel journalistique. Ces mandats de perquisition sont également ciblés, et concernent généralement une portion précise du matériel journalistique, par exemple, les ordinateurs de certains hauts dirigeants de News Corp. En étant invités par Murdoch à participer à l’enquête interne, les policiers n’ont donc plus l’obligation d’obtenir un mandat de la cour pour saisir du matériel journalistique ; on le leur offre avant même qu’ils n’aient à le demander.

Un glissement dangereux, estime Geoffrey Robertson dans un article percutant paru dans le Times[1], où il souligne que cette collaboration met en péril la protection des sources journalistiques d’un point de vue légal et moral. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a précisé dans l’affaire Goodwin c. UK (1996) que l’obligation de protéger les sources était non seulement légale mais aussi morale, en vertu de l’article 10 de sa convention. Mi-février, le comité sur les communications de la Chambre des Lords a également publié un rapport sur l’avenir du journalisme d’enquête, réitérant l’obligation pour les entreprises de presse de protéger les journalistes et leurs sources.

Pourtant, Murdoch persiste et signe. Dans un courriel envoyé à ses employés le 17 février 2012, il se justifie: « Nous allons remettre chaque élément de preuve que nous trouverons, pas seulement parce que nous sommes obligés, mais parce que c’est la bonne chose à faire »[2]. Une lettre truffée d’erreurs légales selon Geoffrey Robertson.


[1] Protection Sources is a legal and moral Duty, The Times, 15 février 2012.

[2] « We will turn over every piece of evidence we find – not just because we are obligated to but because it is the right thing to do ». Rupert Murdoch letter to News International staff ‘full of legal errors’, The Guardian, 18 février 2012.