Grande-Bretagne : Murdoch collabore-t-il trop avec la police ?

Intérêts divergents et conflits de valeurs

Si, au départ, la communauté journalistique condamnait en bloc les exactions commises par des employés de News Corp, la récente vague d’arrestation ne fait plus l’unanimité, nous dit Stephen Glover dans The Independant. Les crimes commis sont toujours condamnables, mais la façon d’obtenir la preuve soulève des inquiétudes sur la protection de la liberté de la presse. Le National Union of Journalists (NUJ) a récemment donné son appui aux journalistes du Sun arrêtés tandis que l’avocat Geoffrey Robertson soutient l’idée que la rétribution de sources n’est pas condamnable si elle est dans l’intérêt public. Un changement est perceptible dans les rapports de forces.

On constate donc de nouvelles divergences marquées entre les journalistes et le PDG de News Corp, qui ne semble pas vouloir faire beaucoup de concessions. Pire, nous dit Stephen Glover, pour prouver aux investisseurs que News Corp est de retour sur le droit chemin, Murdoch est prêt à tout, même à transgresser des principes journalistiques sacrés.

La décision même de créer un comité d’enquête interne demeure un choix entrepreneurial et non une obligation juridique, rappelle Reuters. De nombreux juristes britanniques estiment d’ailleurs que la mission du MSC est d’abord de redorer l’image de la compagnie avant de rechercher la vérité.

L’avocat Mark Lewis, qui représente plusieurs victimes des écoutes téléphoniques illégales, abonde dans le même sens. Il estime que si News Corp souhaite réellement que la vérité soit faite, elle devrait accepter un procès plutôt que de tenter de régler les cas hors cour.

Le MSC et la protection des sources

Le MSC, avec à sa tête trois cadres nouvellement embauchés par News Corp., se défend en assurant qu’une méthode de travail garantissant la protection des sources a été développée. Le module d’enquête remet d’abord des dossiers expurgés aux policiers, dans lesquels toutes les informations permettant d’identifier les sources ont été soigneusement retirées. C’est ensuite aux policiers de fournir la preuve que la divulgation de l’identité de la source est essentielle à la poursuite de l’enquête, elle-même d’intérêt public.

De leur côté, les policiers impliqués assurent qu’ils font leur travail avec discernement et qu’ils ont demandé l’avis de procureurs pour identifier la bonne façon d’enquêter sur les médias. Le MSC rappelle qu’une séparation claire est établie avec les policiers : ils occupent maintenant des bureaux dans un autre édifice, ce qui évite les rencontres fortuites dans les corridors entre policiers et employés de News Corp.; mais la distance physique est-elle suffisante, questionnent plusieurs juristes ?

Les intérêts journalistiques écartés

Inquiets et furieux, les journalistes britanniques qualifient les activités du MSC de « véritable chasse aux sorcières », en particulier après la récente vague d’arrestations de journalistes du Sun. La relation avec les sources se voit inévitablement compromise, estime Geoffrey Robertson, puisque des informations confidentielles sont remises aux policiers sans même que les journalistes en soient avisés. La secrétaire générale du National Union of Journalists, Michelle Stanistreet, dit même avoir été approchée par des dénonciateurs inquiets pour leur protection advenant la divulgation de leur identité.

Cette incursion des forces policières dans la chasse gardée des salles de rédaction risque de refroidir les dénonciateurs potentiels, estime Geoffrey Robertson ; c’est le fameux chilling effect. Pour qu’un informateur ou un dénonciateur accepte de se confier à un journaliste, le lien de confiance doit être immuable et le journaliste doit pouvoir garantir la confidentialité à ses sources. Si l’argument du chilling effect, souvent invoqué par les journalistes, n’a que rarement été retenu comme valable par les tribunaux (voir à ce sujet notre article sur la protection des sources), la collaboration volontaire d’un média avec les policiers pourrait peut-être changer la donne.