À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle française, le magazine du CPQ a voulu faire un survol de la campagne dans les médias. Sondages, médias sociaux, images fournies par les partis : tour d’horizon avec Céline Asselot, journaliste spécialiste des médias à France Info.
Conseil de presse : Quelles sont les nouveautés pour les médias dans cette campagne?
Céline Asselot : On note deux tendances propres à la présidentielle de 2012. D’abord, le nombre de journalistes qui suivent les partis a énormément augmenté, notamment en raison de l’émergence de nouveaux sites d’information en ligne. Un collègue me disait qu’il avait noté une augmentation de 50 % du nombre de journalistes qui suivent François Hollande par rapport à 2007. Ça fait en sorte que les médias ont de plus en plus tendance à recourir à des pools.
Autre nouveauté, les partis ont aussi leurs propres équipes de télévision qui filment les assemblées et qui proposent des images aux médias. On se retrouve donc avec des chaînes qui diffusent des images qui ont été tournées par les équipes des candidats et ça, ça pose un problème éthique. Les angles de vue sont particuliers, on montre des images où il y a toujours beaucoup de gens dans les salles, bref ce sont des images assez partiales. C’est une nouveauté et ça pose des questions déontologiques en termes de couverture de la campagne. Bien sûr, les chaînes qui utilisent ces images indiquent « Images fournies par le PS », par exemple, mais ça reste des plans qui donnent un point de vue particulier.
CPQ : Certaines prises de position des médias ont-elles fait jaser?
C.A. : Il y a eu une petite polémique autour de la couverture de la presse écrite de la campagne, car on a observé un engagement assez fort de plusieurs médias pour certains candidats. Libération, un journal évidemment marqué à gauche, a créé une controverse il y a quelques mois en publiant sur une pleine page une lettre de François Hollande aux Français. Les gens se sont dit : « Ça y est, Libération est à la solde de François Hollande ! » Inversement, Le Figaro a aussi été très critiqué pour ses positions sarkozystes très fortes. Ces prises de position ne sont pas nouvelles, mais ce qui l’est, c’est que ça a fait débat au sein des rédactions. Des journalistes ont dénoncé et ont écrit des lettres à leurs rédactions pour se plaindre en disant : nous ne sommes pas le bulletin d’un parti, nous ne sommes pas à la solde de l’un ou l’autre des candidats. C’est nouveau qu’au sein même des journaux, ça fasse grincer des dents.
CPQ : Dans l’ensemble, la campagne a-t-elle occupé beaucoup d’espace dans les médias?
C.A. : Dans les premières semaines de la campagne, avec la souplesse dans le temps de parole, on a beaucoup parlé de politique, avec entre autres des émissions spécialisées comme Des paroles et des actes sur France 2.
Traditionnellement, en France, la campagne officielle commence deux semaines avant le premier tour et avec elle, vient une égalité ferme du temps de parole entre les candidats. Autrement dit, si on offre une tribune de cinq minutes à un candidat, on doit offrir la même tribune aux neuf autres, ce qui complique énormément le travail des médias de l’audiovisuel.
Cette année, la période d’égalité de temps de parole a été bonifiée de trois semaines et est donc passée à cinq semaines : c’est très long et ça a fait beaucoup de vagues dans les médias. En fin de compte, les télés et les radios ont moins parlé de politique parce que ça devenait beaucoup trop lourd et compliqué à gérer. Donc, à cause de ces règles strictes, on ne fait presque plus de débats en fin de campagne. Les médias comme le politique s’entendent là-dessus : c’est une règle beaucoup trop lourde et obsolète.
Donner le même temps de parole à Jacques Cheminade, qui a 0,5 % des intentions de vote, qu’à Nicolas Sarkozy, qui est chef d’État sortant, ça n’a pas beaucoup de sens. On n’a pas autant de choses à demander à Jacques Cheminade qu’à Nicolas Sarkozy. Donc, selon plusieurs, cette égalité forcée appauvrit le débat autour de la présidentielle parce que, pour respecter les contraintes, on se trouve à étirer en longueur la discussion avec un candidat comme Cheminade et à caricaturer celle avec Nicolas Sarkozy. Ni sur la forme ni sur le fond, cette règle ne fonctionne. Mais les médias sont obligés de la respecter, sous peine d’amende.
CPQ : Quelle place ont occupée les médias sociaux dans cette campagne?
C.A. : Tout le monde prévoyait que ce serait une campagne très web et que tout se déroulerait sur les médias sociaux. À une semaine du scrutin, on se rend compte que ce n’est pas le cas et on a beaucoup relativisé le rôle des médias sociaux dans la campagne. On a réalisé que la télé restait encore massivement et majoritairement le média d’information de la campagne.
Une étude faite par le cabinet NPA Conseil démontre d’ailleurs qu’à partir du moment où on parle moins de politique à la télévision, on parle moins de politique sur les réseaux sociaux. Finalement, les médias sociaux sont assez complémentaires et ne remplacent pas la télévision ; au contraire, ils suivent ses variations. Si on parle moins politique à la télé, on en parle moins sur les réseaux sociaux.
CPQ : Les sondages ont-ils pris trop de place dans cette campagne?
C.A. : Chaque média produit son lot de sondages, avec des tendances souvent diamétralement opposées, et jusqu’à présent dans la campagne, on commentait beaucoup les sondages, on les décortiquait. Lundi dernier, Olivier Mazerolle, éditorialiste à la chaîne BFM TV, a déchiré en direct deux sondages qui donnaient des résultats opposés, en disant : « ça suffit, on ne fait pas une campagne sur les sondages, on va enfin pouvoir commencer à dire des trucs plus intéressants. » Je pense que ça illustre bien une prise de conscience généralisée.
CPQ : La divulgation des résultats en Belgique ou en Suisse avant l’heure de fermeture de certains bureaux de vote (20 h) en France pose-t-elle un risque réel?
C.A. : Cette réalité n’est pas nouvelle, mais ça a soulevé une polémique récemment en raison de Twitter. Un internaute français pourrait être tenté de tweeter les résultats préliminaires, obtenus via un site d’information belge, par exemple, mais concrètement, les risques que ça change quoi que ce soit aux résultats du scrutin sont quasi inexistants. La grande majorité des journalistes français a dit qu’elle respecterait cette règle. Reste que c’est un risque et on sent un durcissement du ton de la commission électorale, qui prévient qu’elle sanctionnera même les internautes, à coup de 75 000 euros d’amende. Un éditorialiste s’est récemment interrogé : et si on avait eu cette option le 21 avril 2002? Peut-être qu’un sursaut citoyen aurait pu permettre d’éviter que Jean-Marie Le Pen ne passe au second tour? La question se pose, mais on ne refera pas l’histoire !