Préserver l’indépendance journalistique n’est pas une sinécure, dans le contexte encore actuel de redéfinition du modèle d’affaires des médias. À l’heure où diverses initiatives éclatées de contenu indépendant voient le jour sur internet, la « force de la coopération » constitue, pour les journalistes, une formule pertinente pour garantir le droit du public à une information de qualité, croit Nicolas Falcimaigne, président de la Coopérative de journalisme indépendant (CJI).
Avant de s’attarder à trouver un modèle pérenne capable de préserver l’indépendance journalistique, il importe de bien cerner de quoi on parle. Le seul fait d’être journaliste indépendant, ou à la pige, n’est pas un gage d’indépendance, nuance Nicolas Falcimaigne, rencontré par le Magazine du CPQ en avril dernier, dans le cadre de la Tournée de consultation publique sur le journalisme indépendant.
« Le journalisme indépendant, c’est une structure de rémunération, un choix de vie, une façon de pratiquer le métier qui dans certains cas, contribuent à l’indépendance journalistique, mais dans d’autres, non. On a toujours l’indépendance qu’on peut se permettre. »
Pour Nicolas Falcimaigne, le rapport qu’un journaliste entretient avec l’esprit de service public inhérent à sa profession est intimement lié à l’environnement dans lequel il exerce cette dernière. S’il apparaît clairement au président de la CJI que « l’idéal du journaliste indépendant, avec l’avènement des conglomérats, s’effrite », il ne croit pas que les médias indépendants offrent une panacée.
À chaque coop son besoin
Car un média indépendant ne génère pas forcément un journalisme indépendant, note-t-il. Par exemple, un journal indépendant, c’est-à-dire un titre qui n’appartient pas à un conglomérat médiatique, est néanmoins une entreprise privée comme une autre, devant répondre à des impératifs économiques.
L’approche coopérative peut briser les diktats du marché, à condition qu’elle soit bien adaptée au besoin de répondre au droit du public à l’information et à l’objectif qu’on se fixe pour y parvenir, soit de produire un contenu journalistique indépendant et de qualité.
Règle générale, le succès d’une coopérative tient à une bonne définition du besoin auquel il faut répondre. Il doit être unique et rallier tous les membres, explique Nicolas Falcimaigne.
« La coopérative doit répondre à un besoin fort comme, par exemple, une coopérative d’alimentation et d’habitation. Il faut que les membres soient militants, engagés [par rapport à l’objectif poursuivi] sinon ça ne marche pas. »
« Historiquement [au Québec], les membres d’une coopérative de presse étaient ceux qui amenaient l’argent, par exemple, les annonceurs et les lecteurs », affirme M. Falcimaigne.
Déjà, on peut aisément imaginer l’incompatibilité des intérêts des annonceurs et des lecteurs. Le fait d’ajouter l’implication de journalistes dans la gestion coopérative d’un média indépendant ne fait qu’ajouter à la cacophonie des besoins, dit en somme le président
Une douzaine de coopératives d’information existent déjà au Québec, évalue M. Falcimaigne. Certaines sont des coopératives comportant des annonceurs, mais l’idée de développer le modèle d’une coopérative exclusivement formée de journalistes commence à faire son chemin, dit-il. « Ça commence à devenir un modèle plus pérenne que le journal indépendant, car les journalistes ne peuvent pas se faire acheter ».
Objectif : 12 journaux
D’où l’idée de créer la Coopérative de journalisme indépendant, que son président définit comme « une coopérative de producteurs d’information qui se mettent ensemble pour mettre en marché l’information. On développe un réseau de presse au Québec qui appartient seulement aux journalistes ».
La CJI, créée en 2011, est l’éditeur du journal Ensemble, qui marche dans le sillage de la revue Ensemble, créée dans les années 1940 et d’un journal des années 70 portant le même nom. La mouture moderne de la publication de la CJI traite, comme ses prédécesseurs, de sujets en lien avec la coopération et les coopératives, mais aussi avec la démocratie et la citoyenneté.
Deux coprésidents d’honneur et éditeurs du journal personnifient les deux créneaux du journal, articulés autour du monde coopératif et du journalisme indépendant : Claude Béland, ex-président du Mouvement Desjardins et Raymond Corriveau, ex-président du Conseil de presse du Québec.
La CJI, qui en est encore à ses modestes débuts, nourrit l’ambition de produire 12 journaux régionaux desservant les territoires des coopératives de développement régional, qui sont partenaires du projet. Afin d’y arriver, le réseau de journalistes régionaux reste à compléter et consolider.
Pour l’instant, 200 abonnés reçoivent une version PDF du journal, une fois par mois. Les éditions régionales imprimées se multiplieront à mesure que le nombre d’abonnés augmentera.
Publicité et indépendance
Premier territoire à conquérir, afin de réaliser l’idéal de l’indépendance journalistique : un espace libre de pressions commerciales. Bien sûr, Ensemble a besoin de revenus pour vivre, et la publicité lui en fournit une partie. Mais afin de ne pas créer une proximité trop grande avec les organismes, commerces et institutions des régions desservies, la CJI recherche des solutions adaptées, comme des achats publicitaires suprarégionaux.
« Notre but, c’est d’éloigner le financement des communautés, en horizontalisant la structure. Ce qui a détruit l’information indépendante, c’est la pub. Financer sans ingérence, c’est la quadrature du cercle. »
La CJI, en collaboration avec l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ), a mené une tournée provinciale, d’avril à juin, afin d’alimenter les États généraux sur le journalisme indépendant, qui se tiendra le 28 septembre 2008.