Le CDJ a maintenant son code de déontologie

Crédit photo : Tom Cuppens CC

Le contexte dans lequel oeuvrent les journalistes est en évolution, mais les principes restent. C’est le constat que dresse André Linard, secrétaire général du Conseil de déontologie journalistique (CDJ) de Belgique, au moment où l’organisme créé en 2009 se dote de son propre code de déontologie.

En entrevue téléphonique au Magazine du CPQ, il confie que l’exercice a permis de réaffirmer et d’actualiser la déontologie. « Les nouvelles technologies ne posent pas vraiment de nouvelles questions. Ce sont les mêmes questions en des termes nouveaux », fait-il remarquer en soutenant qu’une nouvelle pratique ne doit pas changer la norme.

Nouvelles réalités

Avant l’adoption du Code de déontologie journalistique, le CDJ basait ses décisions sur la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, ou charte de Munich, adoptée en 1971, le Code des principes de journalisme, adopté en 1982 par les trois associations de journalistes belges et des textes thématiques produits par le CDJ au fil des quatre dernières années.

« 1971, 1982… C’est presque que le Moyen-Âge par rapport à aujourd’hui! » s’exclame M. Linard en rapportant que d’autres conseils de presse d’Europe ont également entrepris la révision de leur ouvrage de référence.

Sans étonnement, ces textes n’abordaient aucunement les dérives qui guettent dans un contexte influencé par l’instantanéité et les réseaux sociaux. Le CDJ a donc voulu s’attaquer à ces questions.

Ainsi, alors que certaines rédactions incitent les journalistes à mettre en ligne l’information dès qu’elle est disponible, l’article 4 du nouveau code rappelle que « l’urgence ne dispense pas les journalistes de citer et/ou de vérifier leurs sources, ni de mener une enquête sérieuse ».

Au sujet des médias sociaux, en plus de l’article 7 qui demande aux journalistes de respecter la déontologie, peu importe le médium utilisé, on retrouve un avis datant de 2010 abordant cette question. Dans celui-ci, on fait une distinction entre l’utilisation privée et professionnelle des médias sociaux. M. Linard admet que les choses évoluent et que le CDJ pourrait être rapidement appelé à préciser cette règle. Il reconnaît que des propos tenus dans un cercle privé peuvent « mettre à mal la crédibilité ».

Les médias sociaux servent également de source d’information pour les journalistes. Le CDJ a rappelé que le droit à l’image s’applique également aux photos versées par les internautes sur leur page Facebook, notamment. « Ce n’est pas parce que quelqu’un met des photos sur Facebook que ça donne l’autorisation à un média de les reproduire », précise le secrétaire général.

L’Internet a également amené de nouvelles questions en ce qui concerne l’interactivité avec le public dans les forums en ligne des médias. En 2011, le CDJ publiait à ce propos une recommandation. « On a commencé par dialoguer avec les médias lorsqu’on recevait des plaintes, rapporte André Linard. Certains amélioraient [leurs façons de faire], d’autres pas. »

Par la suite, le CDJ a rendu des décisions très claires plaidant pour la modération a priori des commentaires ou des réactions des lecteurs. Non seulement le nouveau code reprend cette recommandation, mais il précise que la responsabilité de cette tâche incombe à la rédaction.

Indépendance

Le Code du CDJ insiste sur l’indépendance de la presse et des journalistes.

Dans un article statuant que les journalistes ne peuvent effectuer des tâches incompatibles avec leur métier, notamment celles liées aux relations publiques et à la rédaction publicitaire, on ajoute : « Les journalistes rendent compte des événements que leur média parraine en appliquant la même déontologie qu’à propos de tout autre événement ».

Le Code va encore plus loin concernant l’indépendance des journalistes par rapport à leur média. « Les journalistes préservent leur indépendance et refusent toute pression. Ils n’acceptent d’instruction que des responsables de leur rédaction.

« Les journalistes refusent les injonctions contraires à la déontologie journalistique, d’où qu’elles viennent. Ils ne sont tenus d’accepter aucune injonction contraire à la ligne éditoriale de l’organe d’information auquel ils collaborent », peut-on lire.

Ainsi, on statue que les membres d’une salle de rédaction ne sont redevables qu’à leur direction de l’information. Comment les éditeurs ont-ils réagi à cet article ? M. Linard s’étonne de la question et répond simplement : « Les patrons de presse sont co-auteurs du travail ».

En plus des éditeurs, les journalistes, rédacteurs en chef et des représentants du public ont participé à l’élaboration du Code avant de l’adopter. Le secrétaire général affirme qu’il n’y a jamais eu de « rupture » entre les différents groupes représentés au CDJ, durant la rédaction du Code. Les tensions étaient plutôt entre ceux défendant une vision plus pragmatique de la déontologie et ceux étant plus fondamentalistes.

Rob Ford

Depuis que des allégations concernant l’existence d’une vidéo montrant le maire de Toronto, Rob Ford, fumer ce qui semblerait être du crack, plusieurs ont discuté de la légitimité pour un média de payer pour obtenir un tel document. Récemment, le Toronto Star a déboursé 5000 $ pour une vidéo où on voit le maire vociférer des menaces à l’endroit d’une personne non-identifiée.

À la fin novembre, lors d’un atelier au congrès de la FPJQ, le rédacteur en chef du quotidien torontois, Michael Cooke, faisait remarquer que cette transaction ne contrevenait à aucune loi et qu’il avait agi dans l’intérêt public. Il admettait avoir frôlé la limite des règles déontologiques.

« La règle est qu’on ne paie pas pour de l’information. Mais dans les faits, nous payons pour de l’information : nous payons des pigistes, pour des vidéos d’un accident d’avion, pour des photos… La règle n’est pas absolue », a-t-il soutenu.

D’autres pourraient par ailleurs argumenter que dans ce cas-ci, la vidéo est l’information. Qu’en pense M. Linard? « Il y a 15 ans, je vous aurais dit : “On ne paye pas”. Cet exemple constitue une situation où la réalité nous force à s’adapter. Quand on est trop attaché aux principes, on est déconnecté de la réalité et on n’a plus de prise. »

Comme ici, les journalistes belges refusent de payer pour mettre la main sur de l’information. Cependant, l’article 18 du Code comporte un certain nombre d’ambigüités. « Les rédactions ont la latitude de rémunérer les auteurs de textes, de sons et d’images exclusifs pour autant que les autres médias ne soient pas privés d’accès aux mêmes sources d’information », lit-on.

André Linard admet qu’il a été difficile de faire la distinction entre ceux dont c’est le métier de fournir images, son et textes et les témoins d’un événement qui veulent vendre les images prises avec leur téléphone cellulaire.

Dans le communiqué publié le 11 décembre par le CDJ, dans le cadre du lancement officiel du Code, on souligne que l’une « des caractéristiques du Code consiste à permettre exceptionnellement de déroger à certaines de ces règles lorsque l’intérêt général le demande ».

Tournée et pédagogie

Le nouveau Code qui s’adresse aux médias francophones de Belgique (les néerlandophones ont leur organisme d’autorégulation qui a son propre code) se divise en trois sections.

La première partie présente les règles déontologiques réparties en quatre chapitres représentant autant de grands principes, soit le respect de la vérité, l’indépendance journalistique, la loyauté dans les méthodes utilisées et le respect des droits des personnes.

Par la suite, les auteurs définissent certaines notions. Finalement, la dernière section répertorie des avis et des recommandations qui élaborent davantage sur certains principes, dont l’utilisation des médias sociaux, la distinction entre la publicité et le journalisme et la vie privée des personnalités publiques.

Après une tournée des salles de rédaction pour présenter le code aux journalistes, André Linard aimerait produire un document plus pédagogique dans lequel les aspects normatifs seraient illustrés par la jurisprudence du CDJ.

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