Nouveau gouvernement à Québec : quelle attention sera accordée à la qualité de l’information?

Les membres du Conseil des ministres du nouveau gouvernement dirigé par Pauline Marois viennent tout juste d’être nommés. Le député de Bourget, Maka Kotto, hérite du ministère de la Culture et des Communications en remplacement de l’ex-ministre libérale, Christine St-Pierre. Comme c’est habituellement le cas lors d’un changement de gouvernement, plusieurs profiteront de cette relève de la garde pour promouvoir des idées ou des projets mis de côté par le gouvernement précédent, faute de temps ou d’intérêt. Parmi les chantiers inachevés figure les moyens que l’État devrait mettre en place pour assurer le public d’une information de qualité, diversifiée et accessible partout au Québec. Quelle place accordera le nouveau gouvernement de Mme Marois à cette question névralgique, mais peu discutée dans la population? Le Magazine a voulu connaître les attentes de deux actrices du milieu journalistique fortement intéressées par le sujet.

Dominique Payette s’apprêtait à partir pour Paris lorsque nous l’avons joint, via Skype, à son bureau de l’Université Laval à Québec. La journaliste et professeure était invitée à l’Université Sorbonne Nouvelle pour y prononcer une conférence sur le pluralisme en information. Le regard tourné vers le haut, Dominique Payette échappe cette réflexion : « C’est la troisième fois que je vais en France parler de ça… C’est drôle tout de même. Ça fait trois fois que je vais parler du pluralisme en information là-bas et ici, on ne m’a jamais demandé d’aborder le sujet… » Derrière ces quelques mots, on sent toute la préoccupation de la journaliste pour l’état de la profession journalistique au Québec, caractérisée par un taux de concentration de la propriété des médias parmi les plus élevés en Occident.

Pour l’auteure du rapport sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, rendu public en janvier 2011, presque tout reste à faire pour assurer les citoyens de la province d’une information de qualité, diversifiée et disponible dans toutes les régions. « Dans certaines régions, c’est le désert en matière d’information », se désole-t-elle. Pourtant, ce ne sont pas les réflexions qui manquent à ce sujet. Le droit du public à une information de qualité est discuté depuis plus de 40 ans au Québec. Le rapport qu’elle a produit, commandé par le gouvernement précédent, compte 51 recommandations pour améliorer la qualité et l’accessibilité de l’information au Québec. Pratiquement toutes ces recommandations sont demeurées sans suite, faute de temps pour les mettre en œuvre avant le déclenchement des élections ou faute de consensus au sein de la communauté journalistique. « C’est dommage, parce que le rapport a généralement bien été reçu. Le Parti libéral du Québec, le Parti Québécois, les jeunes libéraux, la Fédération québécoise des municipalités… On a obtenu beaucoup d’appuis. La ministre St-Pierre nous avait donné carte blanche pour accomplir notre travail. En ce sens, les libéraux sont allés beaucoup plus loin qu’on aurait pu l’imaginer. »

Nouveau parti aux affaires

Malgré un succès d’estime certain et l’attention qu’il a reçue suite à son dépôt, force est de constater qu’il ne s’est pas encore traduit par l’adoption de nouvelles politiques. Sans compter que le gouvernement qui l’a commandé n’est plus au pouvoir. Le nouveau gouvernement, dirigé par Pauline Marois, saura-t-il donner à ce rapport un second souffle? « Je ne vois pas pourquoi le Parti Québécois ne le ferait pas. On connaît la situation de l’information en ce moment au Québec. Ce dont on a besoin maintenant, c’est d’un livre blanc qui permettra de préciser ce qu’on entend faire pour améliorer la qualité de l’information, partout dans la province. Ce qui m’apparaît clair, par contre, c’est que recommencer à réfléchir sur ce que les journalistes, les patrons de presse et les citoyens pensent et souhaitent, par le biais d’une Commission parlementaire,  comme le propose la Fédération professionnelle des journalistes du Québec, c’est inutile. On vient de le faire. Là, il faut agir. » 

La professeure en lettres et communications à l’Université de Sherbrooke, Armande Saint-Jean, partage le même sentiment quant à l’importance de poser des gestes pour améliorer la qualité et la diversité de l’information au Québec. Mme Saint-Jean a dirigé les travaux du Comité conseil sur la qualité et la diversité de l’information commandé par la ministre péquiste Diane Lemieux, en 2002. L’auteure du rapport déposé en janvier 2003 (Tome I et Tome II), demeure cependant sceptique devant la volonté réelle du gouvernement du Québec de s’attaquer à la question. « À l’époque, mon rapport a pris immédiatement la direction d’une tablette. Il n’a fait l’objet d’aucun débat ni d’engagement de la part du gouvernement. Dix ans plus tard, le droit du public à l’information n’est pas un sujet à l’ordre du jour », déplore la professeure. « En avez-vous entendu parler [de la préoccupation des partis politiques pour la qualité de l’information] pendant la campagne électorale? Moi, je n’ai rien entendu à ce sujet, mis à part quelques mots sur Télé-Québec. J’ai le sentiment qu’au Québec, la population s’accommode assez bien de la situation actuelle. Tant que ce sera comme ça, on peut difficilement blâmer le gouvernement de ne pas s’intéresser à la question. » Ce point de vue, Dominique Payette le partage en partie : « C’est vrai qu’on a peu parlé de l’avenir de l’information pendant la campagne électorale, mais on en a parlé plus que d’habitude. C’est certain que si on se retrouvait 70 000 devant le Parlement pour réclamer une meilleure information, ça bougerait peut-être plus du côté du gouvernement. Ce n’est pas le cas. » 

Des propositions

Malgré la décennie qui sépare la publication des rapports Saint-Jean et Payette, une large communauté de pensées relie les deux femmes. Pour l’une et l’autre, la concentration des médias demeure une préoccupation majeure. Dans les deux cas toutefois, les auteures adoptent le même réalisme résigné. « Si on regarde le problème par la lorgnette de la concentration [des médias], on parle pour rien. Les dés sont jetés, on ne reviendra pas en arrière », soutient Mme Saint-Jean. « Il ne faut pas être naïf : le problème le plus préoccupant de la presse au Québec, c’est la concentration des médias. Mais aucun gouvernement, peu importe son allégeance, ne s’attaquera aux empires », avance pour sa part Dominique Payette.

Comme ces empires sont là pour rester, il faut diversifier l’offre d’information en région où, malgré certaines réussites, « c’est parfois le désert en cette matière » déplore Dominique Payette. Autant cette dernière qu’Armande Saint-Jean estiment que l’État québécois doit supporter financièrement l’émergence et le développement d’un quatrième pouvoir indépendant des grands conglomérats. Mme Payette voit dans la promesse du Parti Québécois de donner les moyens à Télé-Québec de jouer un rôle véritable en matière d’information dans toutes les régions, un point de départ intéressant. « C’est un commencement, mais il ne faut pas s’arrêter là. » Selon Dominique Payette, le gouvernement du Québec doit contribuer à mettre sur pied un réseau de médias indépendants qui s’ajoutera à l’offre d’informations actuellement dominée par des géants comme Québecor et Gesca, qui contrôlent l’essentiel de la presse quotidienne privée de la province. « C’est ce que j’appelle la technique du village gaulois. Il faut ajouter plein de petits joueurs, un peu partout dans les régions, qui, par leur existence et leur production d’information régionale, vont contrebalancer l’effet négatif de la concentration des médias. » Armande Saint-Jean partage ce point de vue. Déjà, dans son rapport publié en 2003, elle préconisait la mise sur pied d’un fonds d’aide à l’information dont l’un des objectifs était de financer des initiatives issues des régions, une proposition que l’on retrouve également dans le rapport Payette.

Les espoirs de Dominique Payette dépassent toutefois largement la simple mise en place de médias alternatifs soutenus financièrement par le gouvernement. « Il faut travailler en amont », dit-elle. Tant que les citoyens n’auront pas conscience du rôle central que joue l’information de qualité dans leur capacité de faire des choix éclairés, ils ne pourront pas exiger plus des entreprises de presse. Mme Payette voit dans l’éducation citoyenne à l’information un exemple de ce que l’État pourrait faire, concrètement, pour amener les médias à produire une information de plus grande qualité. « Tous les rapports sur le rôle de la presse déposés depuis le début des années 70 réclament une meilleure éducation à l’information. Il existe un modèle intéressant en Belgique. Les journaux sont distribués gratuitement dans les écoles, dès le primaire. » Très tôt dans leur vie, les citoyens belges développent ainsi leur sens critique devant l’information que leur livrent les médias de masse.  « L’information, ce n’est pas qu’un des piliers de la démocratie, c’est aussi et surtout un moyen d’être de meilleurs citoyens », insiste la professeure.

Avant toute chose, remarque Armande Saint-Jean, il faut prendre acte qu’un nouveau gouvernement est au pouvoir à Québec. Selon elle, il faut remettre le droit du public à l’information à l’ordre du jour du gouvernement. L’utilisation de la commission sur la Culture, qui se tient régulièrement à l’Assemblée nationale, pourrait être un moyen intéressant pour y arriver. « Ça permettrait de mettre les connaissances de tout le monde à jour et d’identifier les priorités. » Car si une chose ressort de notre échange avec Mme Saint-Jean, c’est que dans son esprit, les recommandations formulées dans son rapport, rédigé il y a une décennie, n’ont pas vieillies. Elles seraient, au contraire, plus pertinentes que jamais. « Ce qui est important, selon moi, c’est de privilégier trois axes: la qualité de l’information, en s’assurant qu’il y ait des murs étanches entre les salles des nouvelles des médias de plus en plus concentrés, la diversité de l’information et son accessibilité, partout au Québec. » L’idée de mieux encadrer le travail des entreprises de presse, par le biais d’une Loi sur l’information, d’engagements fermes en matière déontologique et la création d’un Conseil de l’information dont l’un des mandats serait d’assurer le respect du droit du public à une information de qualité, diversifiée et accessible demeure souhaitable selon Armande Saint-Jean, qui compte bien communiquer avec le nouveau ministre de la Culture et des Communications. « Je vais certainement lui envoyer une petite note de bienvenue… et lui rappeler l’existence de mon rapport. »