NPR se met en mode « PressThink »

PressThink : J’ai remarqué que les termes « non-biaisé » (unbiased) ne jouent pas le même rôle dans le nouveau document que dans l’ancien ? Pourquoi ? 

Matt Tompson : L’expression « non-biaisé » apparaissait deux fois dans l’ancien code. D’après mon estimation, ils apparaissent également deux fois dans le nouveau manuel, mais un terme connexe apparaît plus souvent dans la nouvelle version : « impartial ».

C’est en partie une question d’ordre syntaxique : « impartial » nous paraissait un meilleur choix. Il n’y a pas de forme nominale pour l’expression « non-biaisé » (unbiased), et donc ça ne fonctionnait pas avec la liste des 10 principes phares du journalisme de NPR (par exemple : exactitude, équité, honnêteté, impartialité, etc.).

Par ailleurs, mon côté nerd lexical aimait le fait que le terme « impartial » ait la même racine que le mot « partie ». Cela suggère qu’il s’agit de ne favoriser aucune des parties dans une affaire. Ainsi on dira d’un fonctionnaire ou d’un juge qu’ils sont impartiaux, parce qu’ils agissent sans favoriser des intérêts particuliers. C’est plus concluant que l’expression « non biaisé », qui suggère de manière un peu indéfinie, que l’on agit sans préjugés. Or la plupart des directives du manuel touchent à notre façon de traiter et d’approcher les gens, et la notion d’impartialité renvoie davantage à cette idée.  

Sur une note plus philosophique : ce choix nous a également permis d’approfondir la façon de traiter d’une idée et à revoir plus facilement nos sujets. Il faut reconnaître que, oui, les journalistes – comme tout le monde – ont des opinions. Mais la force de notre façon de faire du journalisme, c’est que nous nous efforçons de remettre constamment en question ces opinions, afin de présenter une réalité dans laquelle tous pourront se reconnaître, peu importe leurs propres perspectives.

PressThink : Ma lecture de l’ancien code, comparé au nouveau manuel, est que le document qui date de 2003 place les journalistes sur la défensive : on veut préserver ce qu’on appelle la « crédibilité ». On y détaille ensuite toutes les façons où on peut perdre sa « crédibilité » et on met en garde les journalistes contre ce danger. Le nouveau document, il me semble, essaie d’être plus affirmatif. Plutôt que de présupposer la crédibilité et de mettre en garde contre sa perte, le code de 2012 se concentre vraiment sur le développement d’une relation de confiance entre le journaliste et son public et ce d’être digne de confiance signifie, selon les standards de NPR. Ce n’est pas un énorme changement, mais il y a une différence. Comment expliquez-vous cela?

Matt Thompson : Ce que vous remarquez ici est une conséquence de l’évolution d’un « code » – un recueil de règles – transformé en « manuel » – un guide de pratique. Nous avons certainement fait l’effort conscient de présenter le document d’une façon positive sur la façon dont les journalistes effectuent leur travail plutôt que de dresser une liste d’interdits. À plusieurs occasions, nous soulignons que l’objectif est d’engager une réflexion sur les pratiques, et non de l’empêcher. Nous préférons qu’un journaliste amorce sa réflexion en pensant aux parties prenantes, ses choix et valeurs plutôt qu’en externalisant son processus décisionnel à un recueil de règles. Bob Steele, qui a été d’une aide formidable durant tout ce processus, dit souvent que les règles sont fragiles. Elles ont tendance à s’effondrer dans des situations complexes. Ainsi, pour la plupart des règles que nous avons établies dans ce manuel, nous fait de notre mieux afin de les contextualiser.

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Merci Matt ! Je crois que les mots clés sont ici : « nous avons estimé qu’il était nécessaire de souligner l’importance de ceux pour qui nous faisons ce travail.».  Ce qui est primordial ce n’est pas les journalistes, les sources ou même l’histoire. C’est l’auditoire qui est primordial. Cela peut sembler évident. Mais ce n’était pas évident dans l’ancien code. Et ce n’était pas plus évident lors des controverses qui ont secoué NPR, comme le licenciement de Juan Williams en 2010 ou la démission de Vivian Schiller en 2011.

L’ancien code commençait comme ceci :

 1.    Déclaration d’intention

Crédibilité. 

NPR est principalement un média d’information. Nous testons et questionnons sans cesse la crédibilité des autres. Nous devrons nous soumettre nous-mêmes à cet exercice peu importe si nous sommes journalistes, animateurs, présentateurs, rédacteurs, éditeurs, réalisateurs, photographes, producteurs de nouvelles, de musique ou de tout autre contenu. L’information que nous produisons doit répondre aux normes les plus élevées de crédibilité. 

Le but de notre code est de protéger la crédibilité de NPR en établissant des normes de conduites élevées en matière d’honnêteté, d’intégrité, d’impartialité et de conduite de notre personnel.

Notez le raccord un peu arbitraire entre les termes « déclaration d’intention »  et « crédibilité ». Le but de NPR ne peut pas être de maintenir sa crédibilité. Cela ne fait aucun sens. C’est confus, faible et je dirais que c’est une façon étriquée de présenter NPR.

Maintenant, voici la façon dont le nouveau manuel commence:

Notre mission.

 La mission de NPR, en partenariat avec ses membres, est de créer un public plus averti, capable d’effectuer des remises en question et revigoré par une compréhension et une appréciation plus soutenues des événements, des idées et de la culture des États-Unis et du monde en général. À cette fin, NPR produit, acquiert et distribue des nouvelles, informations et autre contenus qui répondent aux plus hauts standards d’un journalisme au service du public.

Il s’agit d’une tentative de penser en mode « PressThink ». La « grande idée » derrière NPR, la raison pour laquelle nous devons nous soucier des bonnes pratiques journalistiques, ce n’est pas la protection de la réputation de la profession ou de la crédibilité des salles de nouvelles. C’est trop faible ! La création d’un public informé capable de faire face à des questions complexes – voilà la raison d’être de NPR. Bravo.

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Dernier commentaire. Plusieurs personnes se méprennent sur ce que sont réellement les codes d’éthique. Ils ne dictent pas la pratique ; ils distillent une culture existante. Le manuel de NPR est clair sur ce point.

Nous n’avions pas de politique écrite en matière de déontologie avant 2003. Mais bien avant cela, nos journalistes s’arrachaient les yeux sur des documents techniques afin de s’assurer qu’ils avaient décrit chaque menu détail correctement, ou traquaient poliment leurs sources, parce qu’ils savaient que l’équité signifie que l’on ne peut accepter « pas de commentaire » comme réponse.

Une politique ou un manuel, peu importe sa qualité – n’est pas ce qui crée une culture éthique forte. À vrai dire, c’est tout à fait l’inverse. 

Amen. Maintenant, je sais ce que certains d’entre vous pensent. À quoi bon ces déclarations pompeuses si la pratique du « he said, she said » continuait d’être utilisée chez NPR ? Je ne serais d’ailleurs pas surpris que ce soit le cas. Mais si cela arrive, nous avons de meilleurs motifs pour critiquer NPR. Ceux qui, au sein de NPR, veulent changer les choses ont maintenant de nouvelles munitions. La définition de ce qui est légitime, et de ce qui ne l’est pas, a changé. C’est ce qui compte.