Les effets vieillots qu’ajoutent à nos photos certaines applications pour téléphone intelligent comme Hipstamatic ou Instagram sont alléchantes pour le commun des mortels. Mais leur utilisation par des photojournalistes professionnels fait jaser, et est carrément discréditée par les puristes.
L’accessibilité des nouveaux outils technologiques que sont les iPhone et autres téléphones intelligents permet à tout un chacun de rendre extraordinaires certaines photos autrement banales. En jouant sur la couleur, les contrastes et la texture, des applications comme Instagram ou Hipstamatic créent des photos frappantes en un seul clic.
Pas mal pour les photographes du dimanche, mais ces outils ont-ils leur place dans la besace du photographe de presse? « Le photojournaliste montre la réalité, il ne la travestit pas. Pour moi, Hipstamatic, c’est très trompeur, ça transforme les couleurs, les ciels, donc c’est une interprétation du réel », explique Jean-François Leroy, Directeur du Festival Visa pour l’image de Perpignan. Ce qu’il dénonce, surtout, c’est qu’avec ces applications, les effets sont systématiques, et que le photographe ne les contrôle plus.
Le photojournaliste québécois François Pesant avoue d’emblée ne pas être très friand de ces gadgets. Il les replace par ailleurs dans un contexte plus large, celui des retouches photographiques: « Est-ce que des applications comme Hipstamatic ou Instagram trompent davantage le lecteur parce que les effets sont déjà établis dans l’appareil ? Je ne sais pas, mais disons que c’est surtout moins intéressant parce que ça donne look préfabriqué. »
Les photos prises par Damon Winter du New York Times en Afghanistan avec l’application Hipstamatic ont soulevé plusieurs critiques, surtout lorsqu’elles lui ont permis de remporter le troisième prix au concours Picture of the Year International (POYI) dans la catégorie Feature Story en 2011. Dans une lettre explicative publiée sur Poynter, le photographe se défend. Il souligne que selon lui, il s’agissait du meilleur outil pour réaliser ce reportage. « Chaque photographe utilise une technique ou un outil qui lui permet de mieux raconter une histoire, et leur travail est reconnu et célébré. Aucune de ces techniques n’est fondée sur l’idée de l’acuité visuelle. Mais elles sont utilisés efficacement pour raconter des histoires, transmettre des idées et éclairer, ce qui, au fond, est la véritable essence de notre travail » (traduction libre).
Comme Winter, certains photographes estiment que les choix esthétiques ont toujours existé en photojournalisme (pellicule, lentille, filtre, etc.) et que les outils d’aujourd’hui permettent simplement d’aller plus loin. François Roy, photographe et vidéaste à La Presse, a réalisé un reportage sur les ventes-débarras avec l’application Hipstamatic; c’était l’un des premiers reportages du genre à être diffusé dans un grand média québécois. Il précise cependant qu’il n’aurait pas fait n’importe quel reportage avec cet outil. « La nouvelle, pour moi ça reste pur. À La Presse, l’information est surtout dans le cahier général; dans les autres cahiers, c’est un peu plus de type “magazine”. Comme mon reportage allait dans une section “magazine”, je me suis permis cette liberté. Mais jamais je n’irais couvrir une manifestation ou un autre sujet “nouvelle” avec une application comme celle-là. »
Cet amoureux d’Hipstamatic a acheté tous les films, lentilles et flashs proposés par l’application, ce qui lui permet de faire ses propres choix, un peu comme à l’époque de la pellicule. « Hipstamatic, ça ressemble beaucoup à ce qu’on faisait à l’époque de la pellicule. Je connais mes films ou mes lentilles et je choisis en fonction de mes préférences. » S’il adore Hipstamatic, François Roy est beaucoup plus critique envers d’autres applications. « Avec Instagram, par exemple, tu vas prendre une photo ordinaire et ensuite, trouver le filtre qui va la rendre extraordinaire. Je trouve que c’est plus du trucage, de la paresse. »
Applications ou téléphone
Pour Jean-François Leroy, le téléphone peut cependant demeurer un outil intéressant pour certains types de reportages. « En Syrie en ce moment, c’est certainement moins dangereux d’utiliser un iPhone que d’utiliser un Canon reflex. Je ne condamne pas l’utilisation du iPhone, je condamne l’utilisation des applications, précise-t-il. Je comprends qu’il y a des endroits où il soit tentant de travailler avec un iPhone, mais il ne faut pas que ça devienne un système, un code esthétique. »
Le président de Visa pour l’image a même projeté quelques images du photographe de renom David Guttenfelder prises avec son iPhone en Afghanistan. « J’en ai projetées 25 qui précédaient une rétrospective sur 10 ans de David en Afghanistan. Je voulais simplement montrer que ça peu importe s’il utilise du 6×6, de l’argentique, du 24×36, du panoramique, du numérique, etc., son regard sur l’Afghanistan reste intéressant. »
Il conclut: « Ce qui m’intéresse, c’est l’œil du photographe. L’outil, on s’en fout! Qui se souvient de l’appareil qu’utilisait Eddie Adams au Vietnam? Qui s’intéresse au boîtier utilisé par Cartier-Bresson au Mexique? On s’en fou! Ce qui est important, c’est le résultat. »
Voir aussi : Photojournalisme : jusqu’où peuvent aller les retouches?