Outre la recommandation du Conseil au ministre responsable de l’application du code des professions, concernant la Loi des agronomes (jurisprudence #78-01-08, p. 68), deux questions en particulier, ont fait l’objet d’avis du Conseil.
La première concernait la démarche entreprise par la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie. Celle-ci tentait de rallier l’ensemble des mouvements de pression, pour présenter une requête commune au gouvernement du Québec, lui demandant, comme « responsable de la culture des Québécois », d’émettre un permis de pratique aux seuls journalistes qui auraient passé, entre autres, d’une façon satisfaisante, « une série d’examens très exigeants » portant sur la « qualité de la culture du candidat » et sur ses connaissances de la langue française.
Le Conseil de presse du Québec, à l’instar d’autres groupes, avait été invité à appuyer cette requête.
Ce permis de travail, assimilable à l’autorisation d’enseignement des professionnels de l’éducation, aurait permis, selon la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie, « d’écarter ainsi à tous venants l’accessibilité » à la profession d’autant plus que « d’ici quelques mois, un événement crucial s’amènera au Québec : le référendum ».
En prenant bonne note du contenu de ce projet, le Conseil émettait en substance les réserves suivantes :
– La solution des problèmes qui touchent des questions de compétence professionnelle, d’objectivité de l’information, de responsabilité et d’autorité rédactionnelle, de formation, d’éthique et de morale tant personnelles que professionnelles des artisans de l’information, ne réside pas dans l’encadrement accru de la profession.
Ces problèmes sont délicats, et non moins complexes les solutions propres à améliorer la qualité de l’information, à protéger le droit du public à l’information, à sauvegarder la liberté de la presse dans le respect du pluralisme d’expression et d’opinion, lequel est essentiel à l’existence et à la qualité de la vie démocratique.
Si une société ne peut que tendre vers la réalisation la plus authentique du droit du public à l’information, elle doit, par ailleurs, faire montre d’une grande prudence et de beaucoup de discernement dans la mise en place des moyens propres à y arriver en sorte que ceux-ci, loin, d’une part, d’assurer automatiquement une meilleure qualité de l’information, n’en viennent, d’autre part, à en atténuer et en freiner l’expression en créant de réelles entraves à l’accès du public à l’information.
La fonction d’informer serait compromise et en contradiction même avec la liberté de la presse si l’État avait la possibilité de l’entraver par une quelconque censure, en dictant le contenu de la rédaction ou de la programmation des organes d’information ou en s’immisçant dans leur gestion rédactionnelle, comme en comporte le risque « l’émission d’un permis personnel d’autorisation de diffusion » et « la réglementation pour le respect de la publication intégrale de la nouvelle ». – Qui, par exemple, s’érigera en juge en matière de compétence et en matière d’objectivité?
– Il ne s’agit pas d’écarter l’État dans ce domaine, mais plutôt d’éviter que par ses interventions il n’en vienne à éroder la réalité démocratique par des formes de pouvoir et de contrôle de la presse dont l’effet risque de créer des maux pires que ceux qu’on souhaite voir disparaître.
Par le traitement de l’information qu’ils diffusent, les organes d’information et les journalistes doivent s’assurer, en faisant preuve d’une grande rigueur professionnelle et d’un sens aigu de leur responsabilité sociale, qu’ils ne deviennent pas eux-mêmes une menace au droit du public à l’information en s’appropriant une tribune qui ne leur appartient pas pour faire valoir leurs points de vue.
– Si l’on peut avoir des plaintes sérieuses à formuler contre la presse, la recherche de solutions, si bien intentionnées soient-elles, pour en corriger les défauts, doit éviter la tentation qu’ont beaucoup de sociétés modernes soucieuses du respect du droit à l’information, qu’elles inscrivent, par ailleurs, dans leurs lois fondamentales, de recourir à des moyens qui risquent d’en compromettre la réalisation.
La deuxième question a trait aux modifications à la loi modifiant la Loi des agents de voyages ainsi qu’au Règlement qui lui est relatif.
– Le Conseil a pour tâche de « promouvoir, auprès des entreprises de presse et organismes concernés, la mise en application des plus hautes normes d’éthique professionnelle dans la préparation et la diffusion de la publicité ». Cet objectif lui tient d’autant à cœur lorsque l’élaboration des normes de publicité affecte les organes d’information.
Il va de soi que le ministère du Tourisme, de la Chasse et de la Pêche cherche à assurer une protection aussi complète que possible du consommateur en étendant, par l’adoption de la loi modifiant la Loi des agents de voyages, l’obligation qui est faite à ces derniers de spécifier, dans leur publicité, la mention « détenteur d’un permis du Québec » aux « tiers » qui agissent pour le compte de ces détenteurs.
Le Conseil ne saurait cependant exprimer son accord sur l’intention d’étendre une telle obligation aux organes d’information. Le Conseil considère en effet qu’il appartient au premier chef, aux agents de voyages et à leurs mandataires, et non aux organes d’information qui ne sont qu’un support publicitaire dans tout ce processus, de se conformer aux exigences de la loi.
– Outre qu’une telle obligation ignore les distinctions qui s’imposent entre les véritables mandataires (tiers) des agents de voyages et la presse, elle est susceptible de créer, à l’égard des organes d’information, une présomption statutaire les faisant partie à l’infraction, établissant ainsi, à leur seul endroit, un régime de culpabilité par association contraire aux principes qui régissent notre droit.
Le Conseil considère que ce sont les agents de voyages et leurs véritables mandataires, et non les organes d’information, qui doivent être en mesure de prouver, devant le consommateur, la véracité des indications que contient leur publicité.
– Bien que les organes d’information tombent déjà sous le coup de la loi criminelle qui considère comme un crime spécifique la production d’annonces fallacieuses et de la loi relative aux enquêtes et coalitions, le Conseil, si telle est l’intention du ministère d’être plus explicite dans la loi à ce sujet, trouverait mieux acceptable une rédaction plus précise ou l’introduction d’une disposition nouvelle générale, non destinée à établir un régime d’exception pour les seuls organes d’information. L’article 37 de la Loi des agents de voyages (ch. 53, 1974) devrait se lire :
« commet une infraction toute personne qui, sans être détentrice d’un permis du Québec, utilise quelque titre, désignation ou abréviation susceptible de faire croire qu,elle est effectivement détentrice d’un tel permis ou qui sciemment annonce ou désigne, comme détentrice d’un tel permis, une personne qui ne l’est pas. »
Au cours de l’année, le Conseil de presse s’est intéressé de près à plusieurs grands dossiers de l’information : la concentration des entreprises de presse, le libre accès à l’information provenant des organismes à caractère public, les conditions d’exercice de la profession de journaliste, la protection de la vie privée, la saisie dans les organes d’information, par les forces policières, de documents destinés à l’information, les relations entre les journalistes t le personnel de l’appareil judiciaire, l’impact de la publication des sondages sur le droit du public à l’information et autres questions plus spécifiques telles que l’exercice de la fonction éditoriale et le traitement accordé par la presse anglophone à l’actualité québécoise.
Enfin, comme le soulignait le nouveau président du Conseil, M. Aimé Gagné, devant les membres de la Fédération professionnelle des journalistes le 29 avril dernier, au premier chef des préoccupations du Conseil figurent la responsabilité et la rigueur professionnelles dans l’exercice du journalisme comme conditions fondamentales de l’existence d’une presse libre et intègre.