Avis du Conseil de presse sur la protection de l’anonymat des jeunes contrevenants et des mineurs impliqués dans des drames humains et annexe sur les dispositions légales pertinentes

En octobre 1995, le Conseil de presse du Québec émettait un avis intitulé NOMMER OU NE PAS NOMMER. Dans cet avis, le Conseil rappelait certains principes susceptibles de maintenir l’équilibre entre la liberté de la presse et le respect des personnes victimes de drames humains ou de leurs proches, touchés par ces événements. Parmi les balises alors proposées aux médias, certaines apparaissent particulièrement adaptées au contexte de la protection de la jeunesse et méritent d’être soulignées.

  1. La loi stipule que chaque personne, dans notre société, a droit au respect de sa vie privée et de son intimité. Elle accorde une attention et, pourrait-on dire, une protection spéciale à cet égard aux jeunes.
  2. La déontologie journalistique ou la déontologie en matière d’information […] offre elle aussi des balises relativement claires sur la collecte, le traitement et la diffusion de l’information, et plus spécifiquement sur l’identification des personnes qui sont victimes d’accident ou d’agression. […]

    Dans les cas où l’intérêt public n’est pas mis en cause par la non-identification de la victime, la règle générale devrait être celle de la discrétion.

  3. Par delà la déontologie et ses règles, l’éthique pose d’autres questions et propose d’autres balises. Tout ce qui est permis (ou non interdit) n’est pas automatiquement opportun ou souhaitable. […]

Nous évoquerons, à cet égard, le devoir de compassion qui poussera à tout le moins à ne pas harceler les victimes et leurs proches et à ne pas contribuer à ce qu’elles soient harcelées.

Si le Conseil de presse juge important d’attirer l’attention sur ces déclarations, c’est d’abord que les médias, cherchant à donner une information complète sur des drames humains et des délits impliquant des jeunes, sont souvent amenés à s’interroger sur l’attitude à adopter en ce qui a trait à leur identification. Également, la Commission de protection des droits de la jeunesse (maintenant Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) a informé le Conseil qu’elle « est souvent interpellée suite à l’identification des jeunes par les médias. » D’ailleurs, la Commission a saisi le Conseil de presse de plaintes formelles à ce sujet, à quelques reprises au cours des dernières années, allant même jusqu’à souhaiter que ce dernier émette un avis afin de guider les médias. Dans un tel contexte, le Conseil de presse juge donc utile de préciser et de compléter son avis NOMMER OU NE PAS NOMMER.

NOMMER OU NE PAS NOMMER LES JEUNES

Pour les fins du sujet, il convient d’identifier les difficultés vécues par les jeunes suivant trois perspectives différentes. La première réfère aux conduites que les jeunes adoptent et qui transgressent les lois ou qui peuvent causer du tort à autrui. La seconde a trait aux comportements des parents ou des adultes qui menacent le développement et la sécurité de l’enfant. Dans ces cas, les enfants sont davantage perçus comme les victimes ou les cibles de conduites dommageables. Cette catégorie peut s’étendre aussi aux enfants qui, sans être directement visés par un geste répréhensible, deviennent des tiers innocents. Cela arrive, par exemple, lorsqu’un parent meurt assassiné. Enfin, la dernière catégorie porte sur les conduites de retrait que des jeunes adoptent devant les difficultés qu’ils rencontrent : abandon scolaire très hâtif, vie d’itinérant, suicide, etc. C’est alors le comportement du jeune qui fait craindre pour son propre développement et sa sécurité.

Évidemment, on ne saurait réduire toute la réalité à ces quelques catégories. L’exercice permet toutefois de mieux comprendre les situations pénibles dans lesquelles les jeunes peuvent être plongés. Il devient ainsi plus facile d’évaluer, suivant les circonstances, l’ampleur des responsabilités qui incombent aux médias lorsque des jeunes en difficulté sont en cause. C’est au regard de l’identification de ces jeunes que se posent d’ailleurs les plus épineuses questions. L’exposé qui suit, à cet égard, représente les positions que le Conseil de presse a développées au fil des ans et qu’il continue de promouvoir, estimant qu’elles sont en accord avec la pratique d’une presse libre et responsable.

  1. Lorsque la presse juge pertinent d’informer le public sur les problèmes judiciaires des personnes mineures, elle devrait s’abstenir de publier toute mention propre à permettre leur identification. Les pouvoirs publics à cet égard ont adopté des mesures visant la protection de l’anonymat de ceux qui en raison de leur âge ne doivent pas être désignés à l’attention du public, de crainte que leurs chances de réhabilitation soient amoindries. La transgression de ces règles est d’ailleurs susceptible d’entraîner des conséquences pénales aux contrevenants.

    Le Conseil de presse est même d’avis qu’en l’absence de l’intervention des pouvoirs publics en la matière, une presse responsable devrait d’elle-même respecter l’anonymat des mineurs judiciarisés, et ce pour les mêmes motifs qui inspirent les pouvoirs publics.

    En outre, le Conseil de presse a déjà émis l’avis que cette protection doit s’étendre aux mineurs impliqués dans un débat judiciaire comme victimes ou comme témoins d’événements traumatisants, et cela afin de ne pas compromettre leurs chances de réinsertion sociale et familiale. Encore là, le Conseil de presse estime que cette ligne de conduite devrait être respectée par les médias, même en l’absence de l’intervention de l’État ou des tribunaux.

  2. Hors du contexte judiciaire, le Conseil de presse est d’avis que la presse devrait s’abstenir de donner suffisamment de détails susceptibles de permettre l’identification de jeunes stigmatisés, que ce soit comme victimes, tiers innocents ou parce qu’ils vivent des difficultés personnelles graves. La presse ne peut se retrancher derrière sa liberté pour éviter de répondre aux devoirs que lui impose sa présence dans la vie privée de jeunes personnes vulnérables. Une presse responsable devrait être consciente des effets préjudiciables sur les chances de réinsertion sociale et familiale qu’une publicité nominative peut entraîner chez des jeunes en situation de détresse.

    Le Conseil de presse est d’avis que lorsque la presse juge pertinent d’attirer l’attention du public sur des drames humains ou des événements traumatisants dans lesquels des jeunes sont impliqués, elle doit le faire avec circonspection, en leur évitant toute détresse inutile susceptible de compromettre leur droit et leur aspiration à une existence nouvelle. En somme, le principe du respect de l’anonymat des jeunes dont la sécurité et le développement sont compromis devrait guider le travail des médias.

  3. Toutefois, le Conseil de presse estime que ce principe pourrait être assorti d’exceptions lorsque la presse, dans l’exercice de sa discrétion et de sa responsabilité rédactionnelles, poursuit un objectif légitime supérieur qui commande ou qui justifie la levée de l’anonymat. Cette justification est cependant subordonnée à l’existence de certaines conditions préalables. D’abord, l’intérêt public que les médias cherchent à satisfaire doit être fondé sur des préoccupations ou des considérations majeures. De plus, l’identification du jeune est requise pour répondre à la satisfaction de cet intérêt public. Enfin, il faut qu’il existe un juste équilibre entre les conséquences que le dévoilement de l’identité est susceptible d’engendrer pour un jeune et l’objectif poursuivi par ce dévoilement. Plus les effets potentiels sur un mineur seront graves, plus les motifs justifiant la levée de l’anonymat devront être importants. En somme, avant de lever l’anonymat, les médias devraient soumettre leur décision rédactionnelle à un test de proportionnalité où seront soupesés les différents intérêts en jeu.

    Le Conseil tient donc ainsi à préciser qu’il ne saurait cautionner d’emblée quelque tendance, particulièrement dans les émissions d’information ou dans les reportages, à présenter des jeunes en situation de vulnérabilité à visage découvert. Par contre, la balance des inconvénients pourrait pencher en faveur du dévoilement de l’identité d’un mineur, dans le cas des avis de recherche par exemple, lorsque la protection du public ou la protection même de l’enfance sont en jeu.

    De même, le désir des médias de servir le droit du public à la connaissance des faits essentiels à la vie en société pourra apparaître, dans certaines circonstances exceptionnelles, comme un objectif légitime justifiant la levée de l’anonymat. Dans ces circonstances, lorsque la presse décide de traiter d’un problème social grave impliquant des personnes mineures, tel le suicide ou la toxicomanie, le bris de l’anonymat sera justifié en tenant compte de l’angle de traitement accordé à la problématique et du respect témoigné aux personnes en cause. Le consentement libre et éclairé des mineurs sera alors requis. En outre, la problématique sera traitée sans ingérence indue dans la vie privée des jeunes et de leurs familles, en prenant toutes les précautions nécessaires pour éviter que des torts ne leur soient causés. Dans certains cas, par exemple, le soutien et l’accompagnement constant de personnes responsables de ces jeunes permettra d’atténuer ou de contrer les effets préjudiciables de la publicité médiatique.

  4. Lorsqu’un jeune décède, victime d’un crime ou d’un suicide, le Conseil de presse estime que l’opportunité d’identifier la personne en cause devrait être laissée à la discrétion rédactionnelle des médias. Dans ces cas, en effet, les motifs de réhabilitation et de réinsertion qui militent en faveur du respect de l’anonymat cessent d’exister. Cette liberté rédactionnelle impose tout de même beaucoup de discernement à ceux qui l’exercent.

    Ainsi, la mémoire du défunt et le respect du deuil des proches devraient inciter la presse à aborder ces drames avec humanité et déférence, en évitant de mettre l’accent sur les aspects morbides, spectaculaires ou sensationnels de la situation. De plus, compte tenu de l’incidence élevée du suicide chez les jeunes, il y a lieu d’être particulièrement prudent lorsqu’on décide d’attirer l’attention sur ces événements, en sorte de ne pas donner de détails ou de recettes qui pourraient encourager le mimétisme.

    Enfin, il est utile de rappeler que souvent nommer dramatise encore davantage. C’est pourquoi le Conseil indiquait dans sa déclaration d’ensemble NOMMER OU NE PAS NOMMER, que « dans les cas où l’intérêt public n’est pas mis en cause par la non-identification de la victime, la règle générale devrait être celle de la discrétion. »

***

Le Conseil de presse tient à rappeler qu’en traitant d’un sujet, les médias ne sont pas tenus d’épouser le sens que voudrait donner à leurs actions quelque institution privée ou publique. Néanmoins, lorsque la presse décide d’informer la population sur les aspects d’intérêt public que peuvent présenter les situations impliquant des jeunes en difficulté, elle ne peut faire abstraction des raisons qui ont poussé notre société à protéger la jeunesse. C’est d’ailleurs en intervenant dans la vie des jeunes pleinement consciente de ses responsabilités que la presse conservera le respect du public.

Source : Nicole VALLIÈRES, membre du C.P.Q.

Available in English.

ANNEXE

DISPOSITIONS LÉGALES PERTINENTES

  1. 1. Dans les cas des jeunes qui ont besoin de protection.

    LA LOI SUR LA PROTECTION DE LA JEUNESSE (L.R.Q., c. P.-34.1) :

    • 82.       Nonobstant l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12), les audiences se tiennent à huis clos.

      Toutefois, le tribunal doit, en tout temps, admettre à ses audiences un membre de la Commission ainsi que toute autre personne que la Commission autorise par écrit à y assister.

      Le tribunal doit également admettre tout journaliste qui en fait la demande, à moins qu’il ne juge que cette présence cause un préjudice à l’enfant.

    • 83.       Nul ne peut publier ou diffuser une information permettant d’identifier un enfant ou ses parents parties à une instance ou un enfant témoin à une instance dans le cadre de la présente loi, à moins que le tribunal ne l’ordonne ou que la publication ou la diffusion ne soit nécessaire pour permettre l’application de la présente loi ou d’un règlement édicté en vertu de celle-ci.

      En outre, le tribunal peut, dans un cas particulier, interdire ou restreindre, aux conditions qu’il fixe, la publication ou la diffusion d’informations relatives à une audience du tribunal.

    • 135.          Quiconque contrevient à une disposition du premier alinéa de l’article 83 ou omet, refuse ou néglige de protéger un enfant dont il a la garde ou pose des actes de nature à compromettre la sécurité ou le développement d’un enfant commet une infraction et est passible d’une amende de 625 $ à 5 000 $.
  2. Dans les cas d’infractions aux lois du Québec.

    LE CODE DE PROCÉDURE PÉNALE DU QUÉBEC (L.R.Q., c. C-25.1) :

    • 194.1              Nul ne peut publier ou diffuser une information permettant d’identifier une personne âgée de moins de 18 ans contre laquelle une poursuite est intentée ou une telle personne lorsqu’elle agit comme témoin, sauf dans la mesure où la communication de l’information est nécessaire à l’administration de la justice ou à l’application d’une loi au Québec pourvu, dans ce dernier cas, qu’elle ne soit pas divulguée au public.

      En outre, le juge peut, dans un cas particulier, interdire ou restreindre, aux conditions qu’il fixe, la publication ou la diffusion d’informations relatives à l’instruction d’une poursuite intentée contre une personne âgée de moins de 18 ans.

      Quiconque contrevient à une disposition du premier alinéa commet une infraction est passible d’une amende de 625 $ à 5 000 $.

  3. Dans les cas d’infractions aux lois fédérales et au Code criminel.

    LA LOI SUR LES JEUNES CONTREVENANTS (L.R.C., ch. Y-1) :

  • 38. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, il est interdit de diffuser, par quelque moyen que ce soit, le compte rendu

    a) d’une infraction commise par un adolescent ou imputée à celui-ci, à moins qu’une ordonnance n’ait été rendue à cet égard en vertu de l’article 16;

    b) d’une audition, d’un jugement, d’une décision ou d’un appel concernant un adolescent qui a commis une infraction ou à qui elle est imputée.

    La présente interdiction ne s’applique, toutefois, que lorsque le compte rendu fait état du nom de l’adolescent, de celui d’un enfant ou d’un adolescent victime de l’infraction ou appelé à témoigner à l’occasion de celle-ci ou dans lequel est divulgué tout renseignement permettant d’établir l’identité de cet adolescent ou enfant.
    […]

    (2) Quiconque contrevient aux dispositions du paragraphe (1) commet :

    a) soit un acte criminel et est passible d’un emprisonnement maximal de deux ans;

    b) soit une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

4. Dans les cas d’enquêtes du coroner.

LA LOI SUR LA RECHERCHE DES CAUSES ET DES CIRCONSTANCES DES DÉCÈS (L.R.Q., c. R-0.2) :

  • 87.              Nul ne peut publier ou diffuser quoi que ce soit qui révèle le nom ou l’adresse ou qui permet d’identifier une personne âgée de moins de 18 ans impliquée dans les circonstances du décès d’une personne.
  • 89.      Se rend coupable d’outrage au tribunal toute personne qui, par son acte ou son omission, enfreint les articles 86, 87 ou 88.

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