1. Commentaires d’ordre général
Le Conseil soutient depuis longtemps qu’une protection réelle et effective doit être accordée aux journalistes et aux médias en matière de :
– protection des sources d’information [confidentialité];
– saisie de matériel journalistique;
– témoignage des journalistes.
En ces domaines, en effet, la liberté de la presse et, partant, le droit du public à l’information, ne s’exercent que dans la mesure où les professionnels de l’information ne sont pas perçus ni utilisés comme auxiliaires du pouvoir judiciaire ou des forces policières.
Démonstration est depuis longtemps faite que la presse se voit bloquer l’accès à plusieurs événements par des « acteurs » qui en viennent, souvent à juste titre dans ce contexte, à se méfier de la présence de journalistes et d’équipes de tournage qui seront éventuellement considérés comme délateurs par une justice et une police qui ont tendance à ne voir en eux que des auxiliaires facilement et commodément contraignables à fournir leur matériel, à témoigner de ce qu’ils ont vu et entendu et à divulguer l’identité de leurs sources d’information.
Il y a derrière cette façon de voir et de faire une perception viciée du travail de la presse dans une société démocratique. Alors que celle-ci a pour rôle d’informer, on lui impose de n’informer que dans la stricte mesure où elle est prête à accepter soit les conséquences judiciaires de son refus d’être délatrice (emprisonnement, amendes, etc.), soit les conséquences professionnelles de l’obligation qui lui est faite de collaborer avec la police et les tribunaux (accès aux sources bloqué, entraves à l’exercice du métier par les acteurs de certains événements, etc.).
En ce sens, la proposition de modification de la Loi sur la presse marque à la fois un progrès par rapport au vide actuel, et une insuffisance par rapport à l’énoncé de la nature de la protection dont doivent jouir les professionnels de l’information.
Progrès d’abord dans la mesure où sont reconnus certains des dangers qui menacent le libre exercice de la profession d’informer, notamment en matière d’enquête, d’inspection et de perquisition. Progrès également au niveau du fardeau de la preuve, lequel serait dorénavant à la charge de la partie qui considère qu’il doit y avoir examen, saisie ou production de matériel, ou qu’une information ou sa source doivent être divulguées.
Mais le projet souffre également d’une insuffisance importante en ce que la loi ne définit nulle part clairement son objet, ses prémices, son sens, lesquels devraient, sans équivoque aucune, établir que la presse doit être libre d’informer sans entraves, ni menaces, parce qu’elle joue un rôle essentiel dont les autorités doivent faciliter l’accomplissement. Le messager n’étant ainsi plus la cible à atteindre, un journaliste ou un média ne devraient pas être pénalisés pour avoir divulgué des informations d’intérêt public. Il ne faudrait donc plus s’empresser de tomber sur eux à bras raccourcis (interrogatoires, saisies, sources, etc.) dès qu’une primeur ou un résultat d’enquête journalistique dérange quelque pouvoir établi ou officiel.
Le fait d’énoncer clairement ces principes dans la loi elle-même, en préambule ou autrement, donnerait un outil d’interprétation susceptible de corriger des perceptions et des pratiques qui ont malheureusement toujours eu cours, et selon lesquelles le travail de la presse constitue presque « de facto » un élément de preuve potentiel ou réel.
Cela dit, certains autres correctifs spécifiques devraient être apportés au projet. Ceux-ci sont énoncés à la section suivante.
2. Remarques particulières
Article 13.1 « La présente section s’applique aux informations recueillies par un journaliste qui agit, en vertu d’un contrat, […] »
Il faut ici prévoir le cas des pigistes qui sont souvent appelés à travailler à la couverture d’événements ou à la recherche d’informations sans avoir conclu de contrat ou d’entente préalable avec les médias.
Cet article devrait donc inclure également les journalistes autonomes qui agissent à leur compte, en vue d’une vente ultérieure et de leur production aux médias.
Article 13.2 « Tout agent de la paix ou toute personnes chargée de l’application d’une loi […] doit, s’il s’agit de matériel journalistique, donner au journaliste, à l’entre prise de presse ou au possesseur de ce matériel une occasion raisonnable de s’opposer […] »
La notion d’occasion raisonnable est trop peu précise et ouvre la porte à d’éventuels problèmes d’interprétation et de mise en pratique.
Il faut donc resserrer ce passage en disant plutôt :
« […] doit permettre au journaliste, à l’entreprise de presse ou au possesseur de ce matériel de s’opposer […] ».
Article 13.3 « En cas d’opposition, celui qui peur procéder à l’examen ou à la saisie doit, sans examiner le matériel journalistique ni en faire de copie. Le placer […] »
Il faut encore ici resserrer le principe afin de prévenir les abus dans toute la mesure du possible.
En plus de ne pas examiner le matériel et de ne pas en faire de copie, l’article devrait prévoir que celui qui peut procéder à l’examen ou à la saisie ne puisse « d’aucune façon, prendre connaissance du contenu du matériel » en cas d’opposition.
Et pour éviter toute espèce de tentation à cet égard de la part d’agents de la paix qui décideraient, malgré une opposition, de consulter le matériel saisi, il faudrait rendre inadmissible toute preuve construite, en tout ou en partie, sur la base dudit matériel. Les éventuels excès de zèle des forces de l’ordre deviendraient alors inutiles et iraient même à l’encontre du but recherché par les auteurs de tels excès.
Article 13.5 « La personne qui a fait l’opposition peut demander à un juge de la cour où a été déposé le colis, l’autorisation d’examiner ou de faire des copies du contenu de ce colis. »
Le fait de « pouvoir demander l’autorisation » impliquant une possibilité de refus, et un tel refus étant contraire à l’esprit même de la démarche ici proposée, le Conseil est d’avis que cet article devrait être libellé de façon à ce que la personne qui a fait l’opposition ait un droit d’accès au colis qui ne puisse être contesté. L’article devrait donc se lire ainsi :
« La personne qui a fait l’opposition peut, en tout temps, examiner ou faire des copies du contenu du colis déposé en informant le juge de la cour où a été déposé ledit colis de son intention de se prévaloir de ce droit. »