Déclaration du Conseil de presse du Québec concernant l’éthique de la presse (Extrait du Rapport annuel 1978-1979)

En avril 1975, le Conseil de presse du Québec annonçait qu’il se mettait à l’œuvre pour réaliser sinon la rédaction d’un code d’éthique du moins celle d’un ensemble de principes directeurs devant servir de guide à l’ensemble de la presse au Québec. Il voulait, par là, donner suite au mandat qui lui avaient assigné ses fondateurs dans ses lettres patentes de promouvoir les plus hautes normes d’éthique professionnelle dans la recherche, la préparation et la diffusion de l’information et de la publicité; des règles, précisait-il, qui seraient à la fois réalistes, efficaces et propres à garantir l’exercice d’une presse responsable au Québec.

Le Conseil a étudié les différents codes de déontologie et les pratiques particulières liées aux diverses traditions et circonstances locales qui régissent le comportement de la presse et il s’est interrogé sur la meilleure façon d’exprimer l’éthique pour la presse du Québec. À cet égard, il a demandé à des spécialistes en la matière de lui fournir un état de la question1 dont la présente position s’inspire.

 

Il est apparu en effet au Conseil que si les règles qui doivent servir à guider le comportement de la presse peuvent s’exprimer sous la forme d’un code formel, elles peuvent aussi peut-être, avec avantage, se présenter sous d’autres formes toutes aussi utiles et qui n’en comportent pas les inconvénients.

 

L’éthique professionnelle en matière d’information dépasse le cadre des grands principes qui en constituent cependant la base. Et, pour le Conseil, s’interroger sur l’éthique journalistique c’est aussi évaluer la valeur normative de ses propres décisions, étudier les conventions collectives liant les journalistes et les entreprises de presse, évaluer les règles de régie interne des entreprises et, d’une façon plus générale encore, s’interroger sur les pratiques, les usages et les coutumes du milieu, en tenant compte du caractère évolutif du monde de l’information.

 

Il ne suffit pas, en effet, en cette matière, d’énumérer des principes pour développer et garantir une pratique qui y soit conforme. Des règlements rigides et statiques n’apportent pas non plus de solutions efficaces aux difficultés d’ordre déontologique. Dans ce domaine peut-être plus qu’en tout autre, l’élaboration et l’application de normes éthiques ne se limitent pas aux seuls  » grands commandements  » qu’on retrouve le plus souvent quand on fait l’histoire de la déontologie journalistique, au Québec2 comme ailleurs. Elles dépassent aussi les strictes règles de conduite professionnelle auxquelles sont soumis les membres des professions traditionnelles.

 

S’il est en effet un domaine qui, en vertu même de son champ d’action, doit être libre d’autant de contraintes que possible, c’est bien celui-ci! D’autre part, ceux qui y œuvrent ne sont pas regroupés dans un ordre professionnel et n’ont donc pas à s’astreindre au contrôle d’un tel ordre. Ces circonstances établissent déjà une distinction fondamentale entre la déontologie journalistique et celle des autres professions. En matière d’information en effet, il s’agit essentiellement d’une éthique librement consentie dont les règles dépassent le cadre strict de l’exercice d’une profession puisqu’il est ici question de droits fondamentaux, de liberté de presse et du droit du public à l’information. Enfin, la déontologie en ce domaine n’intéresse pas que les journalistes mais aussi les entreprises de presse. Les règles, en cette matière, doivent s’appliquer à l’ensemble de la presse!

Ainsi donc, à la nécessité d’un fondement théorique sur les règles applicables en matière d’information, correspond aussi un besoin de directives souples d’application. Bien sûr, il n’est pas question d’élaborer, en ce domaine, un  » droit  » si vague qu’il risque d’aboutir à l’érosion des principes, les exceptions à ces derniers devenant, en fin de compte, la règle. Cependant, il est apparu au Conseil que l’on se prononce beaucoup plus, en ce domaine, en fonction de l’idée qu’une société se fait du rôle et de la liberté de la presse, et de son droit à l’information, que sur la base de dispositions trop juridiques qui correspondent finalement peu à l’éthique de la profession.

 

De là certaine difficulté de l’élaboration d’un code déontologique formel qui soit autre chose qu’un résumé de vœux pieux tout en étant un instrument pratique et efficace pour la solution des problèmes que soulève l’éthique de l’information.


Et qui aurait pour fonction d’appliquer un tel code? L’État? Peut-on concevoir en effet, sans danger pour la liberté de la presse et la liberté d’expression, que l’État intervienne en cette matière! Un conseil de presse possédant des pouvoirs de sanctions? Peut-on même envisager que l’État puisse  » déléguer « , par loi spéciale, des pouvoirs de sanctions à un conseil de presse, auquel l’adhésion deviendrait obligatoire et dont le respect du code d’éthique aurait force exécutoire, sans rencontrer les mêmes risques! Une telle solution serait contraire à la tradition des conseils de presse, organismes essentiellement volontaires qui jouissent de l’autorité strictement morale que leur accordent la presse et le public. D’ailleurs, nulle part a-t-on voulu que l’État ne leur accorde des droits, des privilèges ou des pouvoirs spéciaux. Verrait-on en effet l’État ou un conseil de presse proposer l’arrêt de la publication d’un journal ou interdire l’exercice du métier à un journaliste qui refuserait de se plier à leurs desiderata? Tout cela apparaît incompatible avec la tradition de l’information libre!

 

Que penser d’un code adopté par les seuls organismes à caractère professionnel représentant les journalistes ou les entreprises?

 

Au Québec, d’une part, la plupart des journalistes se sont toujours opposés à la création d’un ordre professionnel, ce qui irait, selon eux, à l’encontre de l’exercice de la liberté de la presse. Réserver la pratique du journalisme à un petit groupe constituant une corporation fermée serait priver les autres de l’exercice d’un droit fondamental qui appartient à tous et non aux seuls journalistes. En outre, bien que se sentant responsables du respect d’une telle éthique, ils se sont toujours opposés à l’élaboration d’un code par les seuls organismes qui les regroupent, étant d’avis, à raison, que ce respect s’impose aussi à l’entreprise de presse à qui il importe, entre autres, de ne pas donner de directives incompatibles avec les principes professionnels.

 

On peut aussi se demander si les syndicats de journalistes chargés en premier lieu de la défense de leurs membres, sont les organismes appropriés à veiller à l’intérêt du public et à la qualité de l’information : objectifs de l’éthique?


Certaines entreprises de presse et leurs syndicats de journalistes ont inscrit des clauses professionnelles dans les conventions qui les lient, s’astreignant ensemble à les respecter. On pourrait pousser plus avant cette façon de faire en attribuant à un code d’éthique-type, inséré dans les conventions collectives, un pouvoir péremptoire qui dépasse la force d’une autorité morale. Cette formule fut proposée en d’autres lieux mais elle se bute à une objection fondamentale : ni l’intérêt syndical ni l’intérêt de l’entreprise ne rejoignent nécessairement toujours celui du public. Pensons en effet, par exemple, à certaines dispositions incluses dans les conventions collectives dont le but est d’assurer, à bon droit, la protection des membres de la profession et qui ont peu à voir avec la protection du public non plus qu’avec la conception qu’on peut se faire de l’éthique en matière d’information3! Ne pourrait-on pas avancer le même raisonnement en ce qui a trait aux entreprises de presse. Lorsque celles-ci, au cours de négociations, conviennent avec leur personnel de certaines normes déontologiques, peuvent-elles vraiment concilier à la fois leurs intérêts avec ceux du public et ceux de leurs employés? Cela serait presque demander l’impossible! On voit que dans ce cadre, la solution des problèmes de l’éthique professionnelle devient difficile parce qu’à ce moment-là chacune des parties doit sauvegarder ses propres droits et prérogatives.

 

Ce n’est peut-être pas, dès lors, la solution idéale de faire des questions déontologiques un objet de négociations entre journalistes et entreprises de presse. Toute tentative de définition la moindrement précise d’une éthique journalistique établie de concert par les journalistes et leurs employeurs risque, d’une part, de vite conduire à l’affrontement. D’autre part, même si au-delà de leurs intérêts divergents, journalistes et entreprises pouvaient s’entendre sur une conception minimale d’une éthique toute dirigée vers l’intérêt public, il serait extrêmement difficile de l’exprimer dès qu’ils voudraient dépasser les quelques règles élémentaires actuellement retenues par la plupart des codes existants.

 

Car l’éthique, c’est plus que quelques idées généreuses :  » Une éthique personnelle et collective est plus qu’une déclaration universelle de principes : elle se doit d’être plus concrète, plus près de la vie d’un milieu donné et de son évolution.  » 4 Dans cet esprit, poser la question de l’éthique de l’information, c’est non seulement poser le problème de la pratique journalistique et des diverses façons de concevoir l’exercice du métier, mais aussi s’interroger sur le rôle de la presse, les objectifs que lui assigne une société, les conceptions qu’on peut avoir du journalisme et de l’information.

 

On reconnaît universellement que de hautes normes d’éthique sont indispensables à une information de qualité ne serait-ce que pour rappeler aux professionnels de l’information les grands principes moraux auxquels ils doivent se conformer dans la cueillette et la diffusion de l’information. Certaines mesures en ce sens ont été prises par la presse d’ici. Pensons entre autres au code d’éthique élaboré en 1963 par l’Union canadienne des journalistes de langue française (UCJLF) et plus récemment, aux codes qu’ont adoptés l’Association canadienne des éditeurs de quotidiens et les Hebdos régionaux. Pensons à l’initiative qu’ont pris l’ensemble des associations d’entreprises de presse et les journalistes du Québec de créer un conseil de presse témoignant, par là, de leur volonté de donner au public une information d’une aussi grande qualité que possible en se dotant de ce mécanisme d’autodiscipline qu’ils veulent être une conscience vivante.

 

Tout en convenant du mérite indéniable de ces initiatives, FAUT-IL POUR AUTANT CODIFIER L’ÉTHIQUE?

 

Le Conseil de presse britannique, dont se sont inspirés les fondateurs du Conseil de presse du Québec, ne l’a, quant à lui, jamais fait. En effet, dans ses recommandations publiées en 1949, la Commission royale d’enquête, dont les travaux ont conduit, en Angleterre, à la création d’un conseil de presse, estimait que parmi les hommes de bonne réputation au sein de la presse, qu’ils fussent propriétaires, rédacteurs en chef ou journalistes, il existait déjà un assez large accord sur ce qui constitue une saine pratique professionnelle. Elle souhaitait que le Conseil exprime et étende cet accord, qu’il sauvegarde les traditions, qu’il interprète les aspirations de la profession.

 

C’est ce que le Conseil a fait non par le biais d’un code d’éthique, mais selon la technique des précédents et dans l’esprit de la tradition juridique anglo-saxonne, par ses décisions. Il en a d’ailleurs tiré, à l’occasion, certaines grandes règles sous la forme de déclarations de principes, comme sa célèbre  » Declaration on Privacy « . Sans l’expérience acquise dans ses fonctions de tribunal d’honneur, le Conseil de presse britannique ne serait arrivé que difficilement à une telle déclaration qui va bien au-delà des généralités habituelles et prévoit de façon claire la conduite idéale de la presse en cette matière.

 

Le Conseil de presse du Québec en est venu à la conclusion de retenir la formule britannique. Celle-ci lui apparaît en effet comporter plus d’avantages pour assurer le respect d’une éthique de l’information sans les inconvénients ou les difficultés d’un code formel et rigide.

 

Le Conseil de presse du Québec a, depuis sa création en 1973, accumulé une jurisprudence abondante qui, servant au jour le jour à élaborer les plus hautes normes de l’éthique professionnelle de la presse québécoise, pourra, à l’occasion et sur des sujets qu’il sera opportun de développer ou dans des domaines qui nécessiteront certaines précisions, inspirer de telles déclarations de principes. Ces déclarations compléteront d’autres initiatives qui, d’une façon plus souple, plus vivifiante et qui tient mieux compte du caractère évolutif de l’information, contribueront mieux, au sens du Conseil, à développer la vigilance des responsables de l’information au Québec et à accroître l’intérêt du public pour une information complète et authentique, inspirée par un souci constant d’intégrité professionnelle.

 

Ainsi, tous seront de plus en plus conscients, dans une société qui se veut démocratique et libre, du rôle essentiel de la presse et de l’importance de tout ce qui touche les aspects éthiques de l’information.

 

  1. « Un code de déontologie pour la presse : Difficultés d’élaboration et d’application. « Étude préparée par Me Florian Sauvageau, professeur en journalisme et chargé de l’enseignement de la déontologie, et M. Jean De Bonville, conseiller à la documentation en communications, U.L., juillet 1978, reproduite intégralement dans  » Communication et Information « , vol. 3, no. 1, hiver 1979, p. 65 à 83.
  2. Eg. Code d’éthique de l’Association des quotidiens canadiens, des Hebdos régionaux, Charte de l’intégrité professionnelle des journalistes adoptée par l’Union canadienne des journalistes de langue français (UCJLF) en 1963.
  3. Eg. Le droit de réplique reconnu aux journalistes dont un article fait l’objet d’une critique par la plupart des conventions collectives des quotidiens québécois. Ce droit ne risque-t-il pas d’annuler les réponses du public.
  4. Grand’Maison, Jacques, Une société en quête d’éthique, Montréal, Fides, 1977, p. 203-204.