Mémoire du Conseil de presse du Québec présenté à la Commission d’étude sur l’accessibilité à l’information gouvernementale (Extrait du Rapport annuel 1980-1981)

Comme organisme essentiellement voué à la protection du droit du public à l’information et à la sauvegarde de la liberté de la presse, c’est de longue date que le Conseil s’intéresse de près aux recommandations sur lesquelles votre commission sera appelée à faire des recommandations au Gouvernement du Québec. À quelques reprises en effet, comme votre Commission a pu en prendre connaissance, le Conseil a eu l’occasion d’encourager le Gouvernement du Québec à mettre en œuvre une politique de l’information gouvernementale qui répondrait véritablement aux besoins et au droit du citoyen à l’information sur la chose publique.

Aussi le Conseil a-t-il accueilli avec intérêt la décision du gouvernement de créer votre Commission. Cette décision témoigne d’une intention de faciliter concrètement l’accès du citoyen à l’information gouvernementale.

S’il est un champ d’intervention qui, en matière d’information, relève de l’initiative de l’État, c’est bien de rendre son administration transparente. C’est un devoir pour les gouvernements et les institutions publiques d’adopter une politique aussi large et aussi ouverte que possible pour que le citoyen puisse se procurer l’information gouvernementale dont il a besoin.

Une politique d’accès à l’information gouvernementale a comme fondement même le droit inaliénable du citoyen à être pleinement et adéquatement renseigné sur les faits et gestes des responsables de l’administration publique de même que sur les décisions que dans l’exercice de leurs fonctions, ils sont appelés à prendre pour lui.

L’information qui émane des institutions publiques doit donc être publique. Il ne fait aucune doute qu’un système basé sur la confidentialité, l’habitude ou l’abus du secret comporte une négation intrinsèque de l’exercice des droits civiques. Il ne peut aussi que fausser le jeu normal du processus démocratique.

C’est pourquoi, selon le Conseil, une politique de l’information gouvernementale devrait avoir comme source d’inspiration, le respect le plus intégral du droit du public à l’information qu’un gouvernement soucieux d’informer le public comme il se doit, saura concilier avec les égards qui sont dus aux autres droits tout aussi fondamentaux de la personne. Des distinctions s’imposent entre les informations qui concernent les décisions politiques et le processus de ces décisions et les renseignements personnels que l’État détient sur les citoyens. Ces renseignements qui touchent la vie privée des citoyens ne devraient être accessibles qu’aux seuls individus concernés, à moins que l’intérêt public n’exige qu’ils soient rendus publics.

L’intérêt public est le seul critère, justement, qui devrait guider un gouvernement dans l’élaboration d’une politique d’accès à l’information gouvernementale. Le seul aussi qui devrait présider au choix des exceptions à la règle d’ouverture. Les motifs de dérogations, en effet, doivent être extrêmement sérieux et fort peu nombreux. Ces restrictions, limitées et exceptionnelles, doivent être précises et énoncées publiquement de façon à ce que les règles du jeu les concernant soient largement connues de la population. Il importe enfin que, dans la formulation des exceptions à la règle générale, un gouvernement rejette péremptoirement toute disposition vague, discrétionnaire ou d’application arbitraire qui pourrait facilement permettre, chaque fois qu’une autorité aura intérêt à le faire, de restreindre ou d’empêcher la diffusion d’informations d’intérêt public et ainsi invalider le principe de l’accessibilité.

Une autre règle qui devrait inspirer un gouvernement en vue de rendre réel et effectif l’accès du citoyen à l’information gouvernementale est la facilité d’accès. C’est là une condition sine qua non d’une véritable démocratisation de l’information gouvernementale. Le recours à des procédures d’accès tatillonnes, des délais indus à répondre aux demandes de renseignements ou encore le réflexe de considérer ou d’estampiller comme  » confidentiel  » ou  » secret d’État  » à propos de tout et de rien, n’importe quel document d’intérêt public à partir de la note de service la plus simple et la plus routinière jusqu’au document qui, pour des raisons d’intérêt public, peut légitimement justifier la confidentialité ou contenir de véritables secrets d’État, sont autant d’obstacles qui peuvent rendre illusoire, en pratique, l’accès du citoyen à l’information gouvernementale.

Un autre obstacle à l’accès du citoyen à l’information gouvernementale est lié à l’envie que pourrait avoir un gouvernement de recouvrer en bonne partie, sinon en totalité, les coûts de diffusion de l’information publique en imposant des charges qui deviennent une barrière pour le citoyen. À cet égard, le Conseil est d’avis qu’un gouvernement devrait avoir une politique nettement libérale qui ne soit point guidée par un souci de rentabilité, mais plutôt par un réel désir de prendre les moyens les plus efficaces pour inciter les citoyens à s’informer sur les multiples aspects de l’administration publique afin qu’ils puissent porter des jugements éclairés et intelligents sur la conduite de l’État et des gouvernants.

Nul n’est besoin pour le Conseil d’insister aussi auprès de votre Commission sur l’importance du rôle de la presse en matière d’information gouvernementale. Une politique d’ouverture ne saurait en effet que faciliter la tâche des professionnels de l’information dont c’est le métier et la responsabilité première d’informer. La presse, bénéficiant des effets d’une politique de transparence, sera ainsi mieux à même d’informer la population de la meilleure façon qui soit sur l’administration publique et, mieux en mesure, d’éviter les pratiques qu’encourage inévitablement une politique de vase clos et qui sont peu conformes à l’éthique de la profession dans la recherche et la diffusion de l’information.

Le Conseil de presse attire ici particulièrement l’attention de votre Commission sur les difficultés que semblent éprouver, d’une façon générale, les médias autres que les moyens de grande information qui, soit en vertu de leurs ressources restreintes ou de leur éloignement, voient réduites leurs possibilités d’accès à l’information gouvernementale. Ces difficultés ne devraient qu’inciter un gouvernement à trouver les moyens nécessaires pour permettre aux professionnels de l’information qui œuvrent dans ces médias, qu’il s’agisse de la presse locale ou régionale, communautaire ou ethnique, de s’acquitter de leur fonction d’informateurs publics aussi adéquatement qu’ils le voudraient.

D’autre part, la notion d’intérêt public que le Conseil voit comme fondement d’une politique d’accessibilité à l’information gouvernementale incite également à certaines autres précautions et garanties. Bien sûr, un gouvernement a le droit et le devoir, pour des raisons d’intérêt public, d’interdire ou de retarder la publication de certaines informations. Il importe cependant, à cet égard, qu’un gouvernement s’abstienne de s’ériger en juge suprême de la notion d’intérêt public ou de s’octroyer le monopole des pouvoirs qui lui permettrait d’identifier comme confidentielle, dans  » l’intérêt public « , l’information qu’il détient. Le risque est trop grand et la tentation trop prochaine que, doté de pouvoirs absolus, un gouvernement vienne, en dépit d’intentions louables, à confondre l’information d’intérêt public avec ce qu’il a intérêt à faire connaître.

De tels pouvoirs, outre qu’ils comportent le danger que le droit du public à l’information gouvernementale soit défini selon la conception que pourrait s’en faire un gouvernement, risqueraient, au sens du Conseil, d’invalider les intentions d’une politique d’ouverture et d’empêcher le citoyen d’exercer son droit de regard sur l’administration publique. De là, l’importance de contrôles indépendants sur lesquels votre Commission devrait aussi se pencher. Il importerait, dès lors, que l’organisme qu’on chargerait de l’application de la politique d’accès à l’information gouvernementale soit pleinement en mesure d’évaluer le caractère de confidentialité des informations, sans être lui-même entravé par la loi du secret ou de cette même confidentialité et qu’il soit doté des pouvoirs nécessaires à une mise en œuvre concrète de l’accessibilité du citoyen aux renseignements public.

Enfin, le Conseil voudrait aussi attirer votre attention sur une réserve qu’il a déjà exprimée au Gouvernement du Québec quant au caractère d’une éventuelle loi sur l’accessibilité à l’information gouvernementale dont votre Commission a aussi comme mandat d’étudier la possibilité. Le Conseil avait fait valoir qu’une loi cadre ou qu’une loi générale se prêtait mal à des mesures visant à favoriser l’accès à l’information gouvernementale et qu’il vaudrait mieux recourir à une loi spécifique dans laquelle seraient définis, d’une façon précise, critères et garanties.

Voilà les quelques considérations qui ont retenu l’attention des membres du Conseil de presse du Québec au moment où la Commission s’apprête à définir et recommander au gouvernement  » les principes, les exemptions et leurs justifications de même que les modalités d’application et d’administration d’une éventuelle loi d’accessibilité à l’information gouvernementale, y incluant les renseignements personnels que le gouvernement détient sur les citoyens « .