Québec, le 11 février 1987 – En tant qu’organisme crée et financé par les médias et les journalistes québécois dans une optique d’autocritique et d’autodiscipline de la presse, le Conseil de presse du Québec a pris connaissance avec intérêt de l’avis du CRTC proposant des lignes directrices applicables à l’élaboration de normes d’autoréglementation de l’industrie de la radiodiffusion.
Conscient à la fois des avantages et des limites de l’autoréglementation, le Conseil de presse s’empresse donc de répondre à l’invitation du CRTC et de formuler quelques commentaires sur les propositions mises de l’avant par cet organisme.
Lignes directrices :
1. « L’industrie devrait veiller à ce que la norme proposée traite de façon adéquate des préoccupations qui ont amené le Conseil à demander l’élaboration d’une norme. »
Il s’agit là d’une condition aussi évidente qu’essentielle. Toute norme, qu’elle soit imposée de l’extérieur ou qu’elle provienne du milieu même qui se la donne, n’a de sens que dans la mesure où elle répond de façon précise aux besoins et aux préoccupations qui ont été à l’origine de sa conception.
Le Conseil ne peut donc qu’approuver cette condition préalable tout en soulignant que les « préoccupations » dont il est question doivent être clairement énoncées et largement publicisées; ouvertes au débat préalable en somme.
2. « L’industrie devrait définir le genre de normes à élaborer (ligne directrice, code d’éthique, code de conduite, etc.) et préciser à qui la norme devrait s’appliquer. »
Deux réserves ici.
D’abord, le processus de définition du genre de normes à élaborer devrait intégrer certains principes directeurs minimaux applicables à l’ensemble de l’industrie et définis d’abord au niveau du CRTC, en consultation avec les intervenants du milieu (industrie et consommateurs). Il est en effet douteux que celle de la radiodiffusion soit en mesure de définir des normes et des balises dont la nature et la portée puissent répondre adéquatement aux besoins et attentes à l’égard de l’industrie elle-même. Ceci est particulièrement vrai en matière d’éthique, domaine où il y a souvent autant d’éthiques personnelles que d’intervenants.
La seconde réserve a trait au champ d’applicabilité de la norme. Déterminer « à qui la norme devrait s’appliquer » laisse à penser qu’elle ne s’applique pas nécessairement à ses concepteurs mêmes (ce qui tiendrait presque du non-sens), ou encore qu’elle serait une norme de portée tellement générale que ceux à qui elle s’adresse seraient libres d’y adhérer ou pas.
Il serait donc souhaitable de préciser le sens de cet énoncé, car tel que rédigé, il est difficile d’y voir autre chose qu’une porte ouverte à l’auto-exclusion plutôt qu’à l’autoréglementation. Ce que le Conseil de presse verrait d’un bon œil, à cet égard, pourrait se libeller ainsi : « […] et préciser que cette norme s’applique à toutes les composantes de l’industrie oeuvrant dans le champ d’activités concerné (information, par exemple) ».
3. « Le Conseil voudra être assuré que la norme de l’industrie est élaborée à la suite d’un processus de consultation adéquat. »
Le Conseil de presse renvoie ici aux réserves exprimées plus haut quant au processus de définition de « genre de normes ».
4. « L’industrie devrait décrire en détail comment la norme sera appliquée, et quelle mesure sera prise advenant le non-respect. »
Cette mesure est valable, mais incomplète parce qu’on n’y fait pas état de la nature des mécanismes à prévoir eu égard aux mesures à prendre en cas de non-respect.
Outre de prévoir quelle mesure sera prise, il est donc essentiel de prévoir qui prendra ladite mesure (industrie, organisme de contrôle, composantes de l’industrie, etc.).
5. « Les modifications apportées à la norme de l’industrie devraient être soumises au Conseil pour fins d’approbation. »
Cette condition apparaît fort adéquate au Conseil de presse en ce qu’elle participe d’une logique voulant que le CRTC soit impliqué dans le processus de normalisation (voir nos remarques au point 2 ci-devant).
6. « Un rapport annuel traitant des progrès des titulaires relativement à la mise en œuvre de la norme de l’industrie, y compris le règlement de toute plainte, devrait être soumis au Conseil. »
Encore là, le Conseil de presse adhère à cette mesure tout en souhaitant y voir préciser un quelconque processus de règlement des plaintes. Cette remarque rejoint en fait celle qui a été faite au point 4 au sujet de l’identification des mécanismes de traitement des plaintes.
Voilà donc en quoi consistent les remarques et commentaires du Conseil de presse concernant chacune des lignes directrices proposées par le CRTC.
Ces quelques remarques ont en commun, croyons-nous, de souligner le double danger de l’angélisme d’une part, et de la réglementation d’autre part.
Ce serait en effet s’adonner à l’angélisme vain que de croire en l’utilisation et en la pertinence d’un cadre normatif que l’industrie se serait donnée seule, qu’elle interpréterait seule, et dont elle sanctionnerait seule l’application.
Le défi de l’autoréglementation serait par contre dénaturé et vidé de son sens s’il ne devait que servir de façade à une réglementation tatillonne prévoyant et contrôlant tout en lieu et place de l’industrie.
Le Conseil de presse dit donc oui à l’autoréglementation, mais il invite le CRTC à préciser ses lignes directrices de façon à ce que tout ne dépende pas du seul bon vouloir de l’industrie.
Cette préoccupation est d’ailleurs présente dans l’avis du CRTC lorsqu’il y est signalé (page 2) que les normes « pourraient également être élaborées et gérées en collaboration avec des organismes dont les membres représentent divers groupes publics, sociaux, professionnels, de l’industrie et des consommateurs… »
Le Conseil de presse va plus loin en énonçant que ces normes devraient être ainsi élaborées et gérées, si tant est qu’elles doivent constituer autre chose qu’un alibi ou un outil devant donner bonne conscience à peu de frais à une industrie invitée à s’autodiscipliner.
Le Conseil espère que ces quelques remarques sauront être utiles au CRTC et il demeure réceptif à tout échange en la matière.
Le Secrétaire général,
André Beaudet