Québec 2012: un bilan de la couverture médiatique à la mi-campagne

L’élection provinciale amorce sa dernière étape. Depuis le 1er août, les chefs de partis parcourent le Québec pour convaincre l’électorat de les appuyer en vue du vote du 4 septembre. À leur trousse, les représentants de la presse nationale et régionale rapportent leurs moindres faits et gestes avec l’espoir, peut-être, de publier l’histoire qui marquera. Regard sur la couverture médiatique des 22 premiers jours de campagne.

Les médias mobilisent des ressources colossales pour couvrir la campagne électorale. Au journal La Presse, seulement, une trentaine de personnes sont chargées de rapporter l’information qui alimentera la réflexion d’une partie des électeurs. Une quinzaine de journalistes, recherchistes, vidéoreporters et web-reporters sont mobilisés pour suivre les politiciens sur le terrain. À eux s’ajoutent les pupitreurs, les graphistes et les membres de l’équipe de coordination. La direction du journal de la rue Saint-Jacques estime que le double de personnes, une soixantaine, sera de faction le soir de l’élection.

L’exemple de La Presse illustre les moyens considérables que déploient la majorité des médias généralistes pour informer le public pendant ce moment particulier de notre vie démocratique. La lecture, même distraite, des journaux et des sites internet des entreprises de presse, ou encore, l’écoute des bulletins télévisés ou radiophoniques, témoigne de ces efforts. L’émission matinale de Radio-Canada, par exemple, réserve du temps d’antenne pour présenter un portrait des tiers partis. Le journal Le Devoir a, quant à lui, mis en ligne un outil web qui permet de comparer les programmes des partis sur 40 enjeux électoraux alors que Radio-Canada dispose toujours de sa boussole électorale dont l’objectif est d’aider l’électeur à se situer idéologiquement pour, éventuellement, déterminer le parti qu’il appuiera. L’observation de la couverture médiatique semble également illustrer que jamais autant d’énergie n’a été déployée par les médias d’information pour vérifier certaines des allégations présentées par les politiciens. La promesse de la Coalition Avenir Québec de François Legault de doter chaque Québécois d’un médecin de famille dans la première année d’un éventuel mandat a ainsi été scrutée par Radio-Canada et La Presse avec des conclusions qui s’éloignent de l’optimisme du chef de la CAQ. Ce genre de travail, plus fouillé, a également permis d’apporter des nuances importantes aux propos du premier ministre Jean Charest quant à la performance économique de la province depuis la fin de la crise financière de 2008. De la même façon, les vérifications des journalistes ont révélé la tâche herculéenne que représenterait le rapatriement, du fédéral, du programme de l’assurance-emploi que promet le Parti Québécois.

 Avec les moyens du bord

 Malgré l’importance apparente des moyens déployés par les médias pour couvrir la campagne électorale, beaucoup de zones restent inexplorées estiment le professeur de journalisme à l’Université Laval, Florian Sauvageau. « Moi, je suis agacé qu’on cherche constamment la petite bête noire. Je sais bien que la corruption est au cœur de la campagne actuelle, mais qu’on cherche à ce point toutes les petites affaires en remontant dans le passé des gens… Je sais que Duchesneau se prête à ça en se présentant comme un incorruptible, mais bon. Je lis quatre journaux tous les matins, j’épluche je ne sais plus combien de sites internet par jour puis, toutes les promesses, la valse des milliards, je n’ai pas le sentiment que les journalistes ont encore fouillé ça parfaitement. Est-ce que c’est réaliste tout ce que raconte Legault, par exemple? Tout ça reste à vérifier. » Pour Florian Sauvageau, l’information d’intérêt public reste très fragmentaire dans nos médias. Selon lui, la faute n’appartient pas exclusivement aux journalistes. « Il y a plusieurs facteurs qui expliquent ça. D’une part, les médias vivent une crise financière évidente. Ça fait qu’on a moins de ressources, il y a moins de journalistes spécialisés : ce qu’on appelle des beat, il y en a bien moins qu’avant. Quand un journaliste fait un truc sur la santé le matin et un autre sur l’éducation l’après-midi, il n’a pas grand temps pour fouiller ses dossiers. Il devient une machine qui reproduit ce que lui disent ses sources ou ce qu’on lui dit en conférence de presse. Le monde est aussi de plus en plus compliqué et je crois aussi que les journalistes devraient être plus solidement formés. Le temps, c’est aussi un élément important. Quand il faut que vous alimentiez RDI ou LCN, bien, vous l’alimentez avec les moyens du bord… »  Bien que le travail demeure imparfait, le professeur de l’Université Laval refuse de condamner les médias et les journalistes. « Dans les circonstances, ils font de leur mieux. S’il y a moins de journalistes, qui disposent de moins de temps, on ne peut pas changer ça à moins que les propriétaires de médias choisissent d’abandonner des choses pour en privilégier d’autres. »

 Sondage, sondage : dis-moi qui va gagner…

 La multiplication des sondages introduit par ailleurs un biais dans la couverture médiatique, avance la politologue de l’Université de Sherbrooke, Catherine Côté. Selon cette spécialiste des médias, plusieurs facteurs déterminent l’espace qu’un journal ou une chaîne télévisée décident d’accorder aux différents partis. Un de ces facteurs est la place occupée dans les sondages. Plus un parti sera élevé dans les sondages, plus les médias lui consacreront du temps ou de l’espace. « On observe une sorte de principe de la saucisse Hygrade [plus elles sont fraîches, plus j’en mange, plus j’en mange, plus elles sont fraîches]. Contrairement à la France, où le temps accordé à chaque candidat dans les médias est égal [NDLR : en vertu des règles du Conseil supérieur de l’audiovisuel], ici, plus un parti progresse dans les sondages, plus on parle de lui et plus on parle de lui, plus il progresse dans les sondages. » Il y a donc un phénomène d’amplification par les médias qui n’est pas forcément en phase avec la réalité, soutient Catherine Côté, qui précise également que la stratégie des partis contribue aussi à déformer la réalité. « La Coalition Avenir Québec a été habile dans ce jeu. Elle a profité de l’intérêt des médias pour les déclarations juteuses pour faire parler d’elle. On l’a constaté avec les déclarations de M. Legault sur les jeunes et sur les Asiatiques, par exemple. Les médias ont largement rapporté ces propos, la CAQ a fait parler d’elle, et la formation de M. Legault progresse dans les sondages… » 

 Rappeler que faire parler de soi est fondamental pour les formations politiques est d’une évidence presque naïve. Or, une analyse du courtier en information Influence Communication montre cependant, sans nécessairement établir une causalité entre ces deux observations, que depuis l’élection de 2003, la formation politique qui a reçu le plus d’attention de la part des médias au cours d’une campagne, en bien ou en mal, a toujours remporté l’élection. La firme a mesuré le poids média de chacun des partis pour la première moitié de la campagne actuelle. En date du 19 août 2012, Influence communication évaluait le poids médias du Parti Québécois à 34 %, deux points devant le Parti libéral et 8 points devant la Coalition Avenir Québec. Les jeux sont-ils faits? Réponse le 4 septembre…