Auteure: Elsa Iskander, journaliste à Québec
Ce texte a été publié à l’origine sur le site de ProjetJ. Nous le reproduisons ici avec l’aimable autorisation de l’auteure.
Veuillez noter que les opinions émises dans ce texte n’engage que l’auteure, et ne sauraient être vues comme une prise de position du Conseil de presse du Québec ou encore du Magazine du CPQ.
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Faut-il agir contre le discours des radios privées parlées à Québec? Voici la question que posait la Ligue des droits et libertés, section de Québec, à la quarantaine d’individus venus assister à la discussion jeudi dernier, qui a eu lieu dans les locaux du Centre de l’environnement. Un débat auquel ont participé les professeures et conférencières Dominique Payette et Lucie Lemonde.
Le terme péjoratif «radio-poubelle» réfère parfois aux radios parlées privées. Ce style radiophonique, dit radio d’opinion ou radio de confrontation, n’est pas sans rappeler la «trash radio» ou la «talk radio» des États-Unis. Dans la Capitale-Nationale, cette étiquette a déjà été accolée aux stations CHOI-FM et FM 93,3, par exemple, en raison de propos controversés de la part de certains animateurs.
Le phénomène n’est pas unique au Québec. Toutefois, il convient de mentionner que le cadre juridique n’est pas le même ici qu’au sud de la frontière. Au Canada, «les libertés d’opinion et d’expression ne sont pas absolues car elles peuvent être restreintes, prévoit la Charte canadienne des droits et libertés», précise une étude du Centre d’études sur les médias de l’Université Laval, intitulée Radios parlées, élections et démocratie.
Le bâillon n’est pas la solution
«Jamais je ne pourrais dire : il faut les faire taire», a affirmé Dominique Payette, professeure au département d’information et de communication de l’Université Laval et ancienne journaliste de la Société Radio-Canada. Sans vouloir brimer leur liberté d’expression, Mme Payette prône un plus grand respect des règles déontologiques régissant les radiodiffuseurs et auxquelles sont soumises les journalistes.
Lucie Lemonde, professeure au département des sciences juridiques de la faculté de science politique et de droit de l’UQÀM, abonde dans le même sens. Pas question de bâillonner les radios d’opinion, selon elle. La voie judiciaire n’est pas la solution, d’après celle qui a déjà été présidente de la Ligue des droits et libertés et de vice-présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme.
En effet, la multiplication des poursuites-bâillon et des actions en diffamation pourrait inciter à la censure et à l’autocensure, prévient Mme Lemonde. D’ailleurs, elle constate un changement de discours à la Cour suprême du Canada, puisque, depuis quelques années, le droit à la liberté d’expression semble prendre le dessus sur les poursuites en diffamation.
Ce n’est pas aux juges de dicter aux journalistes comment pratiquer leur métier, a insisté Mme Payette. Cela dit, ces derniers doivent reprendre en main leur pratique et replacer la déontologie au cœur de celle-ci, signale la professeure. Convenant que «l’autorégulation», ne «fonctionne pas très bien», Mme Payette croit qu’il faut trouver un moyen de la «faire fonctionner» adéquatement.
Rapport Payette
En outre, le rapport du Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information, dont les travaux avaient été pilotés par Mme Payette, proposait certaines solutions. Le document concluait qu’il fallait lier l’aide publique «au respect uniforme des règles déontologiques par des journalistes professionnels et les entreprises qui les emploient». Dans un contexte où la concurrence entre les entreprises de presse est très forte, explique Mme Payette, celles-ci auraient avantage à respecter les règles déontologiques étant donné qu’elles en tireraient un avantage financier.
Par exemple, le rapport recommandait que seuls les membres du Conseil de presse soient admissibles aux subventions étatiques ou en mesure de recevoir de la publicité gouvernementale. Ou encore, la mise en œuvre d’un crédit d’impôt remboursable à l’embauche de journalistes professionnels était suggérée; une mesure qui ne serait pas très dispendieuse, précise Mme Payette. Même si plusieurs recommandations sont restées lettre morte, elle demeure optimiste et souhaite que les recommandations soient mises en application «un jour».
Le langage de l’argent
Si leur seule langue, c’est argent, parlons argent, fait valoir la professeure au sujet des radios parlées privées, qui ont des visées commerciales. Mme Payette croit qu’avec des conséquences financières associées au non-respect des règles déontologiques, elles seraient plus enclines à respecter celles-ci. Par ailleurs, si certains empires médiatiques sont hors de portée, il faudrait au moins préserver les «villages gaulois» qui font de l’information de qualité.
Afin de retrouver une certaine «civilité» dans le discours des radios d’opinion, les citoyens peuvent également faire valoir leur point de vue ou déposer des plaintes au CRTC ou au Conseil de presse par exemple. Aux personnes concernées par la qualité de l’information transmise via la radio d’opinion, Mme Payette a indiqué que la force est dans le nombre. «Ne capitulez pas», a-t-elle lancé à l’auditoire. Mentionnons que la section locale de la Ligue des droits et libertés songe à rejoindre la Coalition Sortons les radio-poubelles de Québec, sans toutefois avoir fait son choix.
Complète, juste et appropriée
«C’est un fait reconnu que la tâche première et fondamentale de chaque radiotélédiffuseur est de présenter des nouvelles, des points de vue, des commentaires ou des textes éditoriaux d’une manière complète, juste et appropriée», indique le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs.
Un code auquel ont souscrit CHOI et le 93,3, précise l’étude Radios parlées, élections et démocratie (2007) qui porte sur le traitement médiatique entourant la campagne électorale à la mairie de Québec. En période électorale, les radiodiffuseurs doivent aussi assurer un traitement équitable des questions, selon le CRTC. Or, «les deux stations de Québec n’ont pas respecté les consignes du CRTC ni les normes qu’on retrouve dans le Code de déontologie de l’Association canadienne des radiodiffuseurs», conclue l’étude mentionnée ci-dessus.
«Les fréquences de radio ne sont pas disponibles à tous. Pour cette raison, il est fait obligation à ceux qui ont le privilège d’utiliser les ondes publiques de se comporter comme des fiduciaires du public. La liberté qu’ont les animateurs d’exprimer leur opinion ne leur permet pas de transformer leur micro en un outil partisan», soulignent les chercheurs.
S’appuyant sur l’étude en question, Mme Payette, qui y a contribué, a relevé plusieurs problèmes reliés aux radios parlés privées. Le mélange des genres journalistiques est pointé du doigt, ainsi que le non-respect de règles journalistiques, comme l’équité ou la neutralité par exemple. Une rhétorique qui relève parfois du «rouleau compresseur», s’observe également selon la professeure.
Aussi, il est intéressant de constater que les nouvelles constituaient seulement 2 % de la couverture consacrée à la campagne électorale à la mairie par les deux stations de radio. Les nouvelles commentées étaient plus présentes. «Les deux stations donnent fortement dans le commentaire et l’opinion personnelle puisque ce genre atteint 20 % au 93,3, et 35 % à CHOI», mentionne également l’étude.
Mystère Québec
Fait intéressant, les chercheurs font un lien entre le «mystère Québec» ou «le soutien plus grand qu’ailleurs au Québec qu’obtiennent dans la capitale le Parti conservateur sur la scène fédérale et l’Action démocratique sur la scène provincial» et «l’appui fervent que leur accordent certains animateurs de CHOI et du 93,3». Questionnée à ce sujet, Mme Payette estime qu’il n’est pas possible d’établir une causalité directe, mais qu’il faudrait examiner cette corrélation de plus près. Enfin, la popularité de la radio d’opinion à Québec ne relève pas du hasard selon la professeure qui évoque les inégalités sociales présentes dans la Vieille Capitale.
«Nous avions affaire à des jeunes hommes participant de la lower middle class, caractérisée entre autres par un emploi précaire dans le secteur privé inférieur, situation qui laisse peu de place à une mobilité sociale ascendante, a fortiori dans une ville comme Québec où prédomine le secteur public», observe l’étude intitulée Le néopopulisme de CHOI-FM : de l’expansion de la logique consumériste, Profil socioéconomique et sociopolitique des auditeurs mobilisés. La recherche publiée par le Centre d’études sur les médias se penche sur la mobilisation qui avait eu lieu afin d’éviter la fermeture de la station CHOI-FM par le CRTC. Le profil économique et culturel des auditeurs «permettait déjà de constater les conditions objectives d’un certain ressentiment partagé par ce groupe de la population», notent les chercheurs.