Dans le sanctuaire de la vitesse qu’est Twitter, est-il possible de lever le pied et de réfléchir? Il n’en tient qu’aux journalistes de s’approprier le réseau et d’en faire un média qui met en valeur l’information de qualité, fait valoir Alain Théroux, créateur de Québectualité sur Twitter.
« On a besoin de faire une pause, a dit M. Théroux lors d’une rencontre avec le Magazine au début du mois. On n’a pas besoin d’autant de contenus, on a besoin d’articles conséquents. Qu’on arrête de produire comme des camions de vidange qui se déversent [sur les réseaux sociaux]. Il est temps qu’on se concentre, nous la communauté de journalistes, sur la qualité et qu’on rende hommage aux contenus. »
La qualité mise en valeur
Du bon journalisme se fait au Québec, mais la production quotidienne d’information par les journalistes n’est pas suffisamment mise en valeur sur les réseaux sociaux, estime M. Théroux, cofondateur et rédacteur en chef de l’agenda de presse l’Événementiel.
À son avis, Twitter a le potentiel de devenir un média en lui-même et il préconise une utilisation plus stratégique de cet outil par les médias et les journalistes, ne serait-ce qu’en utilisant judicieusement les 140 caractères permis par le populaire service de microblogue.
Mais pendant des années, « on est passé à côté de la carte. Il faut qu’on respecte notre métier : c’est nous les spécialistes de l’information. Autrement, on laisse le public et les « PR » mener le bal ».
Tout le potentiel médiatique du réseau s’est révélé au printemps 2012, avec le mot-clic #manifencours, analyse M. Théroux. Depuis, les médias prennent progressivement leur place sur Twitter, notamment grâce à la fonction RT, qui permet aux abonnés de rediffuser un gazouillis tel quel.
Pour un média, la chose n’est pas anodine. La paternité et l’intégrité de ses messages sont ainsi sauvegardées et leur portée est augmentée. Sans compter que le logo de l’entreprise de presse gagne en visibilité et agit à la manière d’un marqueur pour le public. Dans cette logique, de nombreux grands médias ont fait certifier leur compte par Twitter, fait remarquer Alain Théroux.
Pupitrage virtuel
Il est donc désormais plus facile d’extraire la matière journalistique du magma de Twitter. Alain Théroux a créé son propre système de tamisage, baptisé Québectualité. Dans ce laboratoire Twitter composé d’une famille de comptes, il recense, trie et compile des gazouillis sous la forme de revues de presse ou bulletins thématiques.
Quand on lui demande en quoi son travail se différencie de la curation de contenus effectuée par plusieurs plateformes médiatiques sur le Web, il répond : « C’est du pupitrage. Ne réinventons pas les mots qu’on a déjà. Il y a une réflexion derrière ça, un choix, un écrémage. C’est un état des lieux de ce qu’on a fait aujourd’hui. Et on fait l’inverse du Huffington Post, qui dit : « avez-vous lu le Huffington Post? ». Avec Québectualité, on dit : « avez-vous lu Le Devoir, La Presse, etc? » ».
En consultant les bulletins de Québectualité, on reconnaît que le processus crée une plus-value : chaque élément, ainsi contextualisé, reprend un sens qu’il avait perdu dans la mer tumultueuse d’informations qu’est Twitter.
Alain Théroux est pour le moment seul à la barre de son navire. Il navigue sur le réseau à partir du compte parapluie @quebectualite, qu’il définit comme un « magazine » ou « périodique de sujets porteurs ».
Projet expérimental
Fait inusité, pour un réseau boulimique avalant de l’information 24 h/24 7 j/7, les contenus proposés par Québectualité sont sporadiques ou périodiques. Ils s’inscrivent encore à contre-courant en n’étant disponibles que dans la rubrique « favoris » des comptes. On évite ainsi de polluer la page d’accueil des abonnés.
Au compte mère (@quebectualite) s’ajoutent les volets @journalistiqc, @politwique et @eduqcation, qui offrent des revues de presse spécialisées. La famille Québectualité est complétée par des comptes parallèles volontairement maintenus à zéro abonnés.
« Actuellement, le tout est expérimental [… et] sera certainement un projet pilote pendant un bon moment », peut-on lire sur le site Internet associé au compte @journalistiqc depuis quelques mois.
Ce bulletin et espace de discussion s’intéresse à tout ce qui touche le journalisme, incluant la déontologie et le droit du public à l’information. Il est accessible sur invitation seulement. Son lectorat est constitué très majoritairement de journalistes.
Sa philosophie est résumée ainsi : « parlons-nous d’abord, entre nous, journalistes de formation et de métier; commençons par nous comprendre et tournons-nous vers le monde ensuite avec des idées cohérentes ».