L’approche grand public du Washington News Council (WNC) ne fait pas l’unanimité. Le 1er juin, l’organisme ajoutait la webdiffusion en direct aux outils déjà disponibles pour la participation citoyenne à son processus de traitement des plaintes, au grand dam du Seattle Times.
Comme il le fait à l’occasion, le conseil de presse de l’État de Washington tenait, il y a deux semaines, une audience publique pour une plainte, formulée cette fois contre le Seattle Times par un psychologue de Vancouver.
Depuis sa création en 1998, le WNC, seul organisme du genre encore effectif aux États-Unis, a traité 29 plaintes. L’invitation lancée à tous le 1er juin était la septième du genre.
« Spectacle »
Cette invitation, le Seattle Times l’a déclinée, pour éviter de cautionner le processus des audiences publiques, à laquelle il dit s’opposer. Le quotidien a expliqué les motifs de sa décision dans une lettre acheminée au WNC, dans laquelle il qualifie l’audience de « spectacle quasi judiciaire ».
Le quotidien considère inacceptable le fait de devoir faire face au vote du public présent dans la salle, en plus du vote des membres du comité d’audience du WNC. Il souligne que le Conseil n’a aucun contrôle sur cet auditoire, qui est « presque certainement dominé par des personnes sympathiques au plaignant ». Le Seattle Times se montre également sceptique quant à la sélection des votants en ligne.
Invité par courriel à répondre à cette critique, John Hamer, président du WNC, a répondu au Magazine du CPQ : « Nous exigeons un nom, une adresse courriel et une affiliation pour tous les bulletins de vote imprimés ou électroniques. […] Peut-on raisonnablement vérifier l’identité de toutes les personnes qui votent? Non, mais nous décourageons l’anonymat et nous croyons que nous avons très peu, voire aucun faux nom. Et comment cela est-il différent des sections de commentaires du Seattle Times et d’autres journaux, où on permet l’anonymat?
« Quant à la participation importante de personnes sympathiques à la cause du plaignant, cela est certainement possible, écrit M. Hamer. Une grande partie du public présent à l’audience était clairement des amis du Dr Wollert [plaignant]. Mais il y avait également une vingtaine d’étudiants en journalisme qui ont semblé voter pour le Seattle Times. Les votes en ligne continuent de nous parvenir, et il semble qu’ils soient également divisés. Nous avons invité tous les employés du Seattle Times à voter en ligne. »
M. Hamer admet qu’il est impossible de s’assurer que les internautes aient consulté la documentation mise à leur disposition avant de voter.
« Comment pourrait-on le faire? Mais d’abord, comment cela est-il si différent de tout autre processus de votation ou d’élection? Est-ce que tous les votants qui élisent des présidents, des sénateurs, des législateurs, des juges, des conseillers municipaux, etc. lisent toute la documentation et comprennent tous les enjeux? Pas dans ce pays! […] Mais les commentaires que nous avons reçus indiquent que la plupart des gens sont très consciencieux et très bien informés.»
Innovations…
Le WNC permettait déjà, dans le passé, le vote du public assistant sur place à une audience et le vote électronique des internautes, sur les mêmes questions que celles soumises au comité d’audience du Conseil. La nouveauté du 1er juin : la webdiffusion en direct sur TVW, un diffuseur local de service public.
« Les audiences passées étaient enregistrées par TVW et diffusées en différé. [La vidéo] était accessible par un lien placé sur notre site », explique John Hamer.
Créé en 1998, le WNC ne fait pas que traiter des plaintes. Avant d’en arriver à cette étape formelle, sa modeste équipe, formée d’une seule personne à temps complet (John Hamer) offre un service d’arbitrage entre les entreprises médiatiques et les plaignants qui s’estiment lésés par le travail de l’une d’elles.
Lorsque cette démarche aboutit à une impasse, le WNC peut tenir une audience formelle à laquelle les deux parties sont conviées. Les 10 membres du comité d’audience du conseil décident alors de retenir ou non différents griefs (questions) formulés dans le cadre de la plainte.
Par exemple, le 1er juin, six des dix membres du comité ont donné raison au plaignant. Les résultats du vote pour chacune des questions sont détaillés sur le site internet du WNC, dans un communiqué.
Parallèlement, le résultat du vote exprimé par les personnes présentes sur place lors de l’audience, sur les mêmes questions, est détaillé dans un second communiqué.
Le WNC donnait aux internautes l’opportunité de voter jusqu’au 16 juin. Les résultats du vote en ligne, ainsi que des commentaires du public seront publiés sous peu sur le site web du WNC, affirmait M. Hamer le 17 juin.
Cette ouverture au public s’inscrit dans un effort visant à « démocratiser » la surveillance des médias et à épouser la tendance du « crowdsourcing », mentionne M. Hamer
« Une autre de nos innovations est l’utilisation extensive des médias sociaux pour publiciser nos audiences, les votes du public sur place ou en ligne et les résultats qui en découlent, ajoute-t-il. Nous invitons le public à voter via Facebook, Twitter et LinkedIn. »
… et critiques
Mais ces initiatives ne réjouissent pas tout le monde. En 2009, le WNC offrait pour la première fois le vote en ligne, dans le contexte particulier d’une « audience virtuelle ».
Cette formule inusitée répondait au contexte précis d’une plainte suspendue par le plaignant. Considérant le dossier important, le WNC a choisi de tenir tout de même une audience s’appuyant uniquement sur le vote en ligne du public. L’initiative a eu un certain succès : une centaine d’internautes se sont prévalus de leur droit de vote et ont laissé leurs commentaires sur le site du Conseil.
Mais la nouvelle pratique a également généré une critique acerbe, de la part du comité d’éthique de la Society of Professional Journalists (SPJ), publiée dans un communiqué de presse.
« Le comité s’objecte fermement à la tenue d’un vote en ligne ou d’une audience virtuelle, sur le sujet de l’éthique journalistique », peut-on y lire.
Le président du comité de l’époque ajoutait : « Le Conseil de presse fait fausse route, en adoptant un modèle de vote de type “American Idol” qui consacre un gagnant. Cette astuce est un sérieux pas en arrière, si le Conseil veut se montrer crédible et professionnel. »
Le comité faisait également valoir que les débats entourant l’éthique journalistique sont souvent complexes et nuancés et que le vote en ligne initié par le WNC n’était pas scientifique et que ses résultats, basés sur une information incomplète, étaient non fiables et trompeurs.
John Hamer avait alors défendu l’initiative avec la même vigueur qu’il l’a fait à l’occasion de l’audience du 1er juin. On peut lire ses réponses au comité du SPJ ici.