Plaignant
Mme Anne-Marie Noël
Mis en cause
M. Nicolas Lachance, journaliste
Le quotidien Le Journal de Québec
Résumé de la plainte
Mme Anne-Marie Noël dépose une plainte contre le journaliste Nicolas Lachance et le quotidien Le Journal de Québec concernant l’article « Trois suicides en moins d’un an », paru le 10 avril 2016. La plaignante déplore de l’information inexacte et une atteinte à la vie privée.
La plaignante est la soeur de l’ambulancière, dont le journaliste mentionne le suicide dans l’article mis en cause.
Le Journal de Québec a refusé de répondre à la présente plainte.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
La plaignante soutient que l’article transmet de l’information inexacte concernant les demandes d’aide de sa soeur. Elle vise ces deux passages de l’article : « Elle met fin à ses jours sans jamais avoir demandé d’aide » et « une paramédicale de Québec s’est donné la mort sans jamais réclamer d’aide ni avouer sa détresse à qui que ce soit ». La plaignante fait valoir que contrairement à ce qui est écrit, sa soeur avait bénéficié d’un suivi médical, notamment parce que la famille avait découvert ses intentions suicidaires. Les collègues de sa soeur n’étaient pas au courant de cette situation, selon la plaignante.
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, à l’article 9, alinéa a) stipule : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. »
À la lecture de l’article mis en cause, le Conseil observe que le journaliste cite à quelques reprises M. Sylvain Marcotte, présenté comme un « ami de très longue date » de l’ambulancière s’étant enlevé la vie. M. Marcotte affirme dans l’article : « Personne ne l’a vu venir ». À la demande du Conseil, la plaignante précise que M. Marcotte est son ex-mari et qu’il était un ami de sa soeur.
Bien que la source du journaliste ait une certaine valeur, le Conseil juge que le journaliste a manqué de prudence en présentant l’information en des termes aussi affirmatifs, dénués de toutes nuances. Avant de publier le témoignage de M. Marcotte, les mis en cause auraient dû valider l’information. Une seule source n’était pas suffisante pour s’avancer en des termes aussi tranchés sur un sujet aussi sensible.
Le grief d’information inexacte est retenu.
Grief 2 : atteinte au droit à la vie privée
La plaignante considère qu’il n’était pas d’intérêt public de publier dans l’article le nom de sa soeur, son âge, son lieu de résidence et le fait qu’elle avait une fille. Elle estime que ces informations ne relèvent pas du domaine public et que leur publication nuit au processus de deuil de la famille.
L’article 18, alinéa 1) du Guide précise que « [l]es journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité ».
De plus, dans l’avis Nommer ou ne pas nommer?, le Conseil de presse propose quelques balises en ce qui concerne l’identification de personnes qui se sont suicidées ou qui ont été victimes d’accident ou d’agression. On peut lire : « Les faits, même si leur écho médiatique peut être douloureux pour les proches, doivent être révélés publiquement lorsqu’ils sont d’ordre et d’intérêt public,
- soit parce que l’événement – suicide, accident, agression – s’est produit en public ou dans un lieu public,
- soit parce que l’événement met en cause, comme agent ou comme victime, une ou des personnes publiques,
- soit parce que l’événement renvoie à une situation ou à des enjeux d’ordre et d’intérêt public. » (Les soulignements proviennent du document original)
L’avis ajoute : « Dans les cas où l’intérêt public n’est pas mis en cause par la non-identification de la victime, la règle générale devrait être celle de la discrétion. Nous sommes renvoyés, cette fois, au souci des droits des personnes et de leur respect. »
Dans la décision D2002-03-051, le Conseil a jugé qu’en diffusant la photo, le nom ainsi que des informations sur la vie privée d’un homme décédé dans un accident de voiture qui semblait volontaire les mis en cause avaient porté atteinte à la vie privée. Le Conseil a considéré que ces détails n’étaient pas nécessaires à la compréhension du reportage.
Après analyse, la majorité des membres (5/6) considère que le sujet de l’article était d’intérêt public, mais juge qu’il n’était pas nécessaire de nommer la soeur de la plaignante puisque les lecteurs pouvaient tout aussi bien comprendre l’importance de l’enjeu sans connaître son identité. Le Conseil rappelle qu’en matière de couverture du suicide, la discrétion devrait être la règle générale et l’identification, une exception qui ne peut se justifier que par un intérêt public prépondérant.
Un membre dissident fait valoir que l’identité de l’ambulancière faisait partie intégrante de l’histoire et juge qu’il serait hasardeux de traiter de ces questions en recourant à des noms fictifs.
Le grief d’atteinte au droit à la vie privée est retenu à la majorité.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient, à l’unanimité, la plainte de Mme Anne-Marie Noël et blâme le journaliste Nicolas Lachance et le quotidien Le Journal de Québec pour le grief d’information inexacte, et retient, à la majorité (5/6 membres), le grief d’atteinte au droit à la vie privée.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent pour leur part à respecter cette obligation, et à faire parvenir au secrétariat du Conseil une preuve de cette diffusion au maximum 30 jours suivant la date de la décision. » (Règlement No 2, article 9.3)
Jacques Gauthier
Président du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- M. Jacques Gauthier
- M. Luc Grenier
Représentant des journalistes :
- M. Philippe Teisceira-Lessard
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Gilber Paquette