Plaignant
Mireille Dufour
Mis en cause
Olivier Boisvert-Magnen, chroniqueur
Urbania
Résumé de la plainte
Mireille Dufour dépose une plainte le 3 avril 2019 contre le chroniqueur Olivier Boisvert-Magnen et Urbania concernant l’article « La taverne du mois : la Caserne 40 (À Québec) », publié le 31 mars 2019. La plaignante déplore de l’information inexacte, une atteinte à la vie privée, un correctif inadéquat, un manque d’équilibre et de la diffamation.
CONTEXTE
Dans le cadre de la rubrique humoristique « La taverne du mois », le chroniqueur rapporte son expérience dans le bar La Caserne 40, à Québec, et lui accorde une note finale de 71 % en se basant sur des critères comme la propreté, le rapport à la technologie, la clientèle, la nourriture, etc.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a produit de l’information inexacte dans les extraits suivants :
« Ainsi placardée dans la fenêtre, cette affiche anti-drogues ne dénonce que le cannabis et l’héroïne, alors qu’au même moment, les cigarettes et les pilules vivent leurs vies respectives bien tranquillement sans avoir peur d’être barrées. Cette discrimination inquiète autant qu’elle rassure »;
« Absent de la toilette des hommes, l’avertissement anti-drogues est en vedette dans le cabinet des femmes. Tirez-en vos propres conclusions. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’informations inexactes.
Analyse
La plaignante déplore qu’on « sous-entende » dans ces extraits que la « consommation de drogue serait chose commune à l’intérieur du bar et que même les femmes en seraient plus adeptes » et qu’on y mentionne « que les “pilules” seraient légion autant que la cigarette ». Le Conseil constate que le chroniqueur n’a pas écrit ce que la plaignante avance et que les sous-entendus avancés relèvent de son interprétation.
Comme l’indiquent les mis en cause, l’article « en est un à saveur humoristique » qu’il faut lire au deuxième degré : le chroniqueur, Olivier Boisvert-Magnen, partage d’un ton satirique ses critiques des tavernes québécoises. L’auteur est d’ailleurs décrit sur le site d’Urbania comme un « explorateur urbain à tendance CONdescendante. Rédacteur comico-insolite aux effluves caramélisés. Photographe louche peu accompli ».
Le lecteur ne peut donc s’attendre qu’à un texte satirique, d’autant plus que la présentation qui précède tous les articles de la rubrique « La taverne du mois » donne le ton à ce qui suit dans la chronique : « Décidés à trouver la plus authentique taverne qui soit, nous poursuivons cette évaluation approximative des plus prodigieux débits de boisson […] »
Comme le précise le Guide, le journaliste d’opinion dispose d’une « grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte ».
Grief 2 : atteinte à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. » (article 18 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a atteint à la vie privée de la plaignante en publiant une photo de la taverne où celle-ci s’est reconnue.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’atteinte à la vie privée.
Analyse
Bien que Mireille Dufour déplore qu’une photo d’elle ait été « prise à son insu » et que « personne ne l’ait consultée avant de la publier », le Conseil estime que la plaignante n’est pas identifiable sur la photo.
La chronique est accompagnée d’une quarantaine de photos sombres et d’assez mauvaise qualité, certainement prises avec un téléphone cellulaire pour montrer au lecteur à quoi ressemble la taverne en question. Dans cette photo en particulier, granuleuse et très sombre, on voit un grand mur avec des panneaux de bois. Le crâne d’un animal figure sur ce mur, au centre de la photo, près de publicités de bières et d’une télévision allumée. Au bas de la photo, on aperçoit une banquette rouge. On discerne que cinq personnes sont attablées, dans le coin en bas et à gauche de la photo. Le peu de contraste permet à peine de voir ces personnes, mais la plaignante s’est reconnue comme étant l’une d’entre elles.
Loin d’être le sujet principal de la photo, les personnes qui y figurent semblent presque faire partie du décor. La photo ne vise manifestement pas à présenter les clients de la Caserne 40, mais plutôt à illustrer le décor de l’endroit, comme en témoigne le paragraphe précédant la photo : « Échafaudée à partir de ce qui semble être des planches rescapées d’usines incendiées, la déco rustique de la Caserne est magnifiée par plusieurs objets métalliques de grandes circonstances. »
Des clients qui passent un moment dans un lieu ouvert au public peuvent d’ailleurs s’attendre à être vus par d’autres personnes. La photo représente une tranche de vie dans cette taverne, un lieu social que le journaliste illustre par ces photos pour informer le public.
En aucun cas, Mme Dufour n’est nommée ou citée, ni dans le texte ni dans la légende de la photo.
Il est possible qu’une personne se reconnaisse elle-même sur une photo, reconnaissant le lieu où elle se trouvait, ou que l’un de ses proches la reconnaisse. Cela n’est pas considéré comme une atteinte à sa vie privée au regard de la déontologie journalistique.
À cet effet, plusieurs décisions antérieures du Conseil précisent que pour conclure qu’un média a identifié une personne, elle doit être reconnaissable aux yeux du lecteur de l’article, le grand public. C’est le cas, par exemple, dans la décision D2018-03-026, dans laquelle les plaignants déploraient l’atteinte à la vie privée d’une personne transgenre, dans une chronique où l’auteur relatait son passage dans une quincaillerie, alors qu’une caissière demeurait perplexe devant une cliente blonde et maquillée qui disait s’appeler Jacques. Le Conseil a estimé « qu’aucun élément du texte ne permet d’identifier cette personne aux yeux du grand public. Ni le nom du quartier ni celui de la ville ne sont mentionnés dans cet article qui relate une situation qui s’est, par ailleurs, déroulée dix ans plus tôt ».
Dans le même ordre d’idée, le conseil a jugé, dans la décision D2016-06-175 qu’il était très difficile, à partir de la photo mise en cause qui ne montrait que le profil du lieutenant pompier en question, d’identifier celui-ci, sans compter que d’autres éléments distinctifs comme son grade ou encore son matricule n’apparaissaient pas non plus. La photographie visée par la plainte ne pouvait constituer une atteinte à la vie privée du sujet, n’étant pas suffisamment reconnaissable, avait tranché le Conseil.
De la même façon dans le cas qui nous occupe, la plaignante, même si elle s’est reconnue dans cette photo, ne peut être identifiée par le grand public. Sans identification, le Conseil ne peut voir de manquement en matière de respect de la vie privée.
Il est important de préciser que la version de la photo que le Conseil a analysée est la photo originale qui accompagnait le texte sur le site web. La plaignante s’étant plainte au média, celui-ci a choisi de flouter son visage, déjà à peine visible. Le Conseil estime que le média n’avait pas à flouter ce visage puisque la plaignante n’était pas, de prime abord, identifiable aux yeux du public et que la photo originale ne représentait pas un manquement déontologique. Cependant, le choix de la flouter lui revenait. La plaignante a tout de même choisi de porter plainte au Conseil de presse.
Grief 3 : correctif inadéquat
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a manqué à son devoir de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil rejette le grief de correctif inadéquat.
Analyse
Le Conseil n’ayant constaté aucun manquement déontologique au grief précédent, le média n’avait pas à effectuer de correctif à l’article publié.
Grief non traité : diffamation
« La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. » (Règlement No 2, article 13.04)
La plaignante déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas, car la diffamation n’est pas considérée comme étant du ressort de la déontologie journalistique et relève plutôt de la sphère judiciaire.
Grief non traité : manque d’équilibre
La plaignante considère que le chroniqueur manque d’équilibre dans son traitement de l’information. Le Conseil ne traite pas ce grief puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de cette obligation déontologique spécifique au journalisme factuel, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mireille Dufour contre Olivier Boisvert-Magnen et Urbania concernant les griefs d’information inexacte, d’atteinte à la vie privée et de correctif inadéquat.
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Luc Grenier
Renée Lamontagne
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Jeanne Dompierre