Plaignant
Robin Edgar
Mis en cause
Yves Boisvert, chroniqueur
Le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Robin Edgar dépose une plainte le 12 septembre 2019 contre le chroniqueur Yves Boisvert et le quotidien La Presse concernant l’article intitulé « Un jugement déplorable » publié le 17 juin 2019. Le plaignant reproche des informations inexactes, des informations incomplètes, un manque d’équilibre, de la partialité et une demande de correction.
CONTEXTE
Dans la chronique en cause, Yves Boisvert critique une décision de la juge Flavia Longo qui a acquitté Robin Edgar (le plaignant dans ce dossier) de harcèlement criminel, tout en reconnaissant que ce dernier avait « harcelé » Sue Montgomery, ancienne journaliste au quotidien The Gazette, aujourd’hui mairesse de l’arrondissement de Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce.
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2, Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec)
Analyse
Grief 1 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 du Guide)
1.1 Motif d’expulsion
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert manque à son devoir de complétude dans le passage suivant : « Il a été expulsé de son église il y a plus de 20 ans. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour être expulsé d’une église, mais du moins lui l’a été. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information incomplète, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Robin Edgar considère qu’Yves Boisvert a omis d’indiquer le motif de son expulsion de l’Église unitarienne de Montréal. « Il aurait pu me demander pourquoi j’ai été expulsé de l’Église unitarienne de Montréal et je lui aurais dit pourquoi », indique le plaignant. « Au lieu de cela, il suggère que j’ai dû faire quelque chose de terrible pour mériter d’être expulsé d’une église (…) Ma protestation a en fait commencé un an et demi avant mon expulsion, en mai 1998, pour protester contre l’intolérance et le sectarisme antireligieux dont j’ai été témoin à l’Église unitarienne de Montréal, notamment les inconduites du révérend Ray Drennan. Mais aussi pour protester contre les abus sexuels du clergé unitarien universaliste, et contre la dissimulation et la négation des abus sexuels du clergé par la « religion » unitarienne universaliste. » [traduit de l’anglais]
Les mis en cause soulignent que la « chronique exprimait l’opinion de M. Boisvert au sujet du jugement rendu par la juge Flavia Longo le 13 juin 2019 » et que cette chronique se fondait « à juste titre sur le contenu du jugement Longo. » Or, dans ce jugement, il ne figure aucune information concernant le motif de l’expulsion de M. Edgar de l’Église unitarienne de Montréal, constate le Conseil. On peut simplement y lire : « Il [M. Edgar] a été expulsé de l’Église unitarienne de Montréal et pour faire suite à son expulsion, il a protesté chaque dimanche, devant l’Église qui est située près du domicile de la plaignante [Mme Montgomery]. » [traduit de l’anglais]
Dans une décision antérieure (D2016-07-013), le Conseil a rappelé qu’en matière de complétude, sa jurisprudence « n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. » Dans le cas présent, le Conseil estime que le motif de l’expulsion de M. Edgar n’était pas une information indispensable à rapporter pour permettre aux lecteurs de comprendre l’essence du jugement qui est l’objet de l’article d’Yves Boisvert. Il s’agit d’un détail au regard des faits évoqués par le chroniqueur.
1.2 Vidéos
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert et La Presse ont manqué à leur devoir de complétude en ne diffusant pas les vidéos tournées par le plaignant.
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information incomplète, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Robin Edgar déplore que les mis en cause n’aient pas publié sur le site Internet de La Presse les vidéos montrant ce qu’il considère comme étant « le comportement délibérément provocateur de Sue Montgomery ». Selon lui, « si Yves Boisvert, et La Presse, avaient mis les parties pertinentes de ces vidéos à la disposition de « La cour de l’opinion publique » (…), je suis convaincu que le public serait d’accord avec l’évaluation faite par la juge Flavia Longo de la Cour du Québec concernant la tentative intrépide de Sue Montgomery de me provoquer et de me faire arrêter pour violation des conditions ». [traduit de l’anglais]
Les vidéos en question ont été tournées par le plaignant en mars 2018. L’une d’entre elles constitue l’élément de preuve sur lequel s’est basée la juge Flavia Longo pour acquitter Robin Edgar des accusations de harcèlement criminel envers Sue Montgomery. On y voit M. Edgar manifester devant l’Église unitarienne de Montréal à l’aide de pancartes disposées sur le trottoir. Lorsque Mme Montgomery arrive sur les lieux, elle appelle la police puis en attendant l’arrivée des policiers, elle se déplace sur le trottoir en donnant des coups de pied dans les pancartes de M. Edgar.
Dans sa chronique, Yves Boisvert critique l’utilisation faite par la juge de ces images pour conclure que Mme Montgomery n’avait pas peur de M. Edgar et que ce dernier ne pouvait donc pas être accusé de harcèlement criminel. Voici ce qu’il écrit à ce sujet :
« Mais une vidéo filmée par l’accusé lui-même a soulevé un doute dans l’esprit de la juge.
Une vidéo où, selon la juge, “son visage et son langage corporel” ne témoignent d’aucune crainte.
Car voyez-vous, une des choses que s’amuse à faire M. Edgar de temps en temps est de filmer Mme Montgomery, dans des débats publics ou dans la rue.Il est assez renversant que pour contredire un témoignage clair, une juge s’appuie sur de simples impressions vidéo de “langage corporel”, une notion particulièrement non fiable.
(…) Comme je l’ai dit, la juge Longo a conclu que toutes les démarches de l’accusé étaient en soi du harcèlement.
Mais une vidéo qu’il a prise a soulevé le doute quant à la crainte de Sue Montgomery.
Que voit-on ? On voit la mairesse arriver à l’église devant M. Edgar et ses pancartes. Exaspérée, elle donne des coups de pied dedans. Un échange verbal a lieu. Elle appelle la police. Et elle attend sur le trottoir.
Voilà une “provocation” de la plaignante, écrit la juge.
Provocation ? Ici est résumée toute la perversité du harcèlement : le harceleur emmerde, emmerde, emmerde sa victime. Si elle a le malheur de perdre patience… c’est de la provocation ! »
Comme le soulignent les mis en cause, le Conseil constate qu’Yves Boisvert résume le contenu des vidéos en question en se basant sur la description qui en est faite dans la décision rendue par la juge Flavia Longo. Ce faisant, il ne prive les lecteurs d’aucune information essentielle à la compréhension du sujet. La publication desdites vidéos sur le site Internet de La Presse n’était donc pas nécessaire et relevait du choix éditorial du média, conclut le Conseil.
Grief 2 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 du Guide)
2.1 Raison des manifestations de M. Edgar
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte concernant les manifestations de M. Edgar devant l’église dans le passage suivant : « Il [M. Edgar] a été expulsé de son église il y a plus de 20 ans. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour être expulsé d’une église, mais du moins lui l’a été. Depuis, il n’a eu de cesse de manifester devant l’église pour dénoncer cette “injustice”. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Selon Robin Edgar, sa « protestation publique pacifique devant l’Église unitarienne de Montréal ne concerne pas l’ »injustice » d’avoir été expulsé par les Unitariens de Montréal le 22 novembre 1999. » Il indique ainsi que sa « protestation a en fait commencé un an et demi avant mon expulsion, en mai 1998, pour protester contre l’intolérance et le sectarisme antireligieux dont j’ai été témoin à l’Église unitarienne de Montréal, notamment les inconduites à caractère non sexuelles du révérend Ray Drennan. Mais aussi pour protester contre les abus sexuels du clergé unitarien universaliste, et contre la dissimulation et le déni des abus sexuels du clergé par la « religion » unitarienne universaliste. » [traduit de l’anglais]
Cependant, comme le signalent les mis en cause, la décision rendue par la juge Flavia Longo établit clairement un lien de cause à conséquence entre l’expulsion du plaignant et ses manifestations. Il est en effet écrit dans le jugement que M. Edgar « a été expulsé de l’Église unitarienne de Montréal et [que] pour faire suite à son expulsion, il a protesté chaque dimanche, devant l’Église. » [traduit de l’anglais] Le chroniqueur n’a donc pas commis d’inexactitude en rapportant que Robin Edgar manifestait devant l’église pour dénoncer son expulsion de cette dernière puisque cette information figurait dans le jugement en question.
Dans un dossier antérieur (D2017-04-060), il était question de la fiabilité d’une information qui provenait d’un document policier. Le Conseil devait déterminer si le journaliste avait transmis de l’information inexacte en qualifiant le plaignant de vendeur d’appareils ménagers. Le Conseil a constaté que « les informations transmises dans l’article sont fidèles à la réalité décrite dans la Dénonciation en vue d’obtenir un mandat de perquisition qu’un enquêteur de l’ARC a présentée à un juge de paix (…) À la lecture de ce document et de la description de l’entreprise [du plaignant] sur le site du Registraire des entreprises, le Conseil juge qu’il est exact d’affirmer que [le plaignant] est ‘“un vendeur d’appareils ménagers” puisqu’il dirige une entreprise dont l’activité est le commerce d’électroménagers. » Pareillement, dans le cas présent, Yves Boisvert pouvait légitimement se fier à la décision rendue par la juge Longo.
2.2 Entrée en contact entre M. Edgar et Mme Montgomery
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte au sujet des circonstances de l’entrée en contact du plaignant avec Sue Montgomery dans le passage suivant : « Sue Montgomery n’est pas la seule à avoir des problèmes avec M. Edgar. Il a été expulsé de son église il y a plus de 20 ans. Je ne sais pas ce qu’il faut faire pour être expulsé d’une église, mais du moins lui l’a été. Depuis, il n’a eu de cesse de manifester devant l’église pour dénoncer cette “injustice”. C’est d’ailleurs comme ça qu’il est entré en contact avec Sue Montgomery, qui est devenue membre de cette église protestante peu de temps après l’expulsion de M. Edgar. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Selon Robin Edgar, l’information rapportée dans le passage en cause est « trompeuse et partiellement fausse, bien qu’il s’agisse probablement d’une information trompeuse que Sue Montgomery a donnée à Yves Boisvert. Pour autant que je me souvienne, j’ai pris contact pour la première fois avec Sue Montgomery lorsque j’ai appelé la section actualités municipales de The Gazette le premier dimanche de décembre 2000 pour demander à The Gazette de rapporter le fait que j’avais été arrêté par le SPVM pour une prétendue « nuisance publique » alors que je protestais devant l’église unitarienne de Montréal. La personne qui a répondu à mon appel téléphonique a plutôt déclaré à plusieurs reprises que cette arrestation ne « méritait pas de faire la une des journaux ». En raison de l’affirmation répétée de cette personne selon laquelle mon arrestation n’était « pas digne d’intérêt », j’ai demandé son nom. Elle a répondu « Sue Montgomery ». Je ne savais pas que Sue Montgomery était membre de l’Église unitarienne de Montréal à l’époque, mais selon le rapport d’Yves Boisvert, et selon le témoignage sous serment de Sue Montgomery au tribunal que j’ai entendu seulement au début de cette année, la journaliste de la Gazette, Sue Montgomery, a rejoint l’Église unitarienne de Montréal au début de l’année 2000, c’est-à-dire « peu de temps après l’expulsion de M. Edgar ». Je n’ai appris que Sue Montgomery assistait à des services à l’Église unitarienne de Montréal qu’au milieu des années 2000. » [Traduit de l’anglais].
Dans la décision de la juge Flavia Longo, on peut toutefois lire :
« [2] La plaignante [Mme Montgomery] a rencontré l’accusé [M. Edgar] pour la première fois il y a environ 20 ans. Il a été expulsé de l’Église unitarienne de Montréal et pour faire suite à son expulsion, il protestait chaque dimanche devant l’Église qui est située près du domicile de la plaignante.
[3] La plaignante est devenue une paroissienne de l’Église après l’expulsion de l’accusé. À cette époque, elle travaillait à la Gazette de Montréal en tant que journaliste. L’accusé l’a contactée parce qu’il voulait qu’elle écrive un article sur son expulsion. Elle n’a jamais écrit d’article parce qu’elle avait le sentiment qu’il n’y avait pas matière à article. » [traduit de l’anglais]
Bien que le plaignant fasse une interprétation différente du contexte dans lequel il a rencontré Mme Montgomery, l’information rapportée par Yves Boisvert est fidèle à la réalité présentée dans la décision de la juge Longo. Immédiatement après le passage en cause, le chroniqueur précise d’ailleurs que « à l’époque, [Mme Montgomery] était journaliste à The Gazette et l’homme insistait pour qu’elle écrive un article au sujet de son expulsion. Jugeant qu’il n’y avait là aucune histoire d’intérêt public, elle ne l’a pas fait. »
Dans un dossier antérieur (D2015-11-063), le Conseil avait statué qu’il ne pouvait « conclure à un manquement déontologique [du journaliste en cause], puisque comme le rappelle le préambule du Guide, les journalistes sont tenus à une obligation de moyens davantage qu’à une obligation de résultat ». Le Conseil avait donc jugé que « le journaliste pouvait légitimement se fier à une source aussi crédible qu’un sergent policier, et rapporter au public les informations que celui-ci lui a transmises. » Pareillement, dans le cas présent, Yves Boisvert pouvait se fier à la décision de la juge Longo, une source crédible, pour décrire les circonstances de l’entrée en contact entre M. Edgar et Mme Montgomery.
2.3 Accusation gratuite
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte en qualifiant de gratuites les accusations du plaignant dans le passage suivant : « M. Edgar est revenu à la charge et l’a accusée (gratuitement) de faire un “cover-up” des agressions sexuelles dans sa propre église, parce qu’elle ne s’intéressait pas à son histoire. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il manque de preuve pour se prononcer.
Analyse
Robin Edgar soutient qu’il « n’y a rien de « gratuit » ou de faux dans [ses] accusations selon lesquelles Sue Montgomery est complice, et même participe aux efforts de dissimulation des abus sexuels du clergé unitarien universaliste. Sue Montgomery a non seulement refusé à plusieurs reprises de rendre compte des abus sexuels du clergé de l’Association universaliste unitarienne (AUU), et des efforts de l’AUU pour dissimuler et nier les abus du clergé, comme en m’accusant faussement de diffamation blasphématoire dans le cadre d’une intimidation légale destinée à dissimuler la pédophilie et le viol au public, mais elle a également fait preuve d’ingérence en trompant d’autres journalistes de Montréal avec de fausses affirmations selon lesquelles il n’y a pas d’abus sexuels dans l’Église unitarienne. Elle le fait maintenant très publiquement. » [traduit de l’anglais]
Cependant, comme le soulignent les mis en cause, le plaignant ne soumet aucune preuve d’une manœuvre de dissimulation intentionnelle de la part de Mme Montgomery. Dans un dossier antérieur (D2018-04-037), le Conseil a expliqué qu’il ne peut retenir un grief dont il n’a pas de preuves : « Lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée. Comme l’a souligné le Conseil dans la décision D2004-07-006, “il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule”. Devant des versions contradictoires, le Conseil se voit dans l’obligation de rejeter le grief d’information inexacte, ce qui signifie qu’il n’a pas les preuves nécessaires pour trancher à propos de l’inexactitude alléguée. » Pareillement, dans le cas présent, le Conseil se trouve devant deux versions contradictoires et il n’est pas en mesure de déterminer s’il y a eu inexactitude en raison d’un manque de preuve.
2.4 Église protestante
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte en qualifiant l’Église unitarienne de Montréal d’église protestante dans le passage suivant : « C’est d’ailleurs comme ça qu’il est entré en contact avec Sue Montgomery, qui est devenue membre de cette église protestante peu de temps après l’expulsion de M. Edgar. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Bien que Robin Edgar affirme que « l’Église unitarienne de Montréal n’est pas une « église protestante » », que « la plupart de ses membres sont athées ou agnostiques » et que « les unitariens ont toujours refusé de croire à la doctrine chrétienne de la Trinité » [traduit de l’anglais], le Conseil estime que le fait de qualifier l’Église unitarienne de Montréal d’église protestante est certes imprécis, mais n’est pas inexact. Il aurait été plus juste d’écrire que cette église a des racines protestantes, puisque l’Église unitarienne francophone se décrit, par exemple, de la manière suivante sur son site web : « Le courant unitarien est né au XVI° siècle et a été la « benjamine » des Réformes protestantes. Il se caractérise par une approche libérale, non dogmatique, du christianisme en particulier et des religions en général. » Toutefois, Yves Boisvert n’avait pas non plus à disséquer les origines de l’Église unitarienne de Montréal, souligne le Conseil en concluant que le chroniqueur n’a commis aucun manquement déontologique.
2.5 Emploi du verbe « harceler »
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte en employant le verbe harceler dans le passage suivant : « Puis, quand elle s’est lancée en politique municipale, en 2017, il a continué à la harceler en personne (en s’assoyant en première rangée d’une assemblée publique et en la filmant ostensiblement) sur Twitter (17 fois), sur YouTube (dans six vidéos), sur son blogue… »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Robin Edgar s’interroge : « Est-ce du « harcèlement » de filmer des politiciens lors d’événements politiques? Les journalistes, et même les citoyens ordinaires qui ne sont pas journalistes, ne font-ils pas cela? Sans parler des « journalistes citoyens »? 17 Tweets s’étendant sur plusieurs mois, est-ce du « harcèlement » d’un politicien? La plupart de mes vidéos ne font que documenter mes protestations publiques pacifiques qui ont tenté d’exposer la complicité de Sue Montgomery dans les efforts de dissimulation des abus du clergé unitarien universaliste avant son élection comme maire de CDN-NDG. Une telle critique publique légitime d’une politicienne « peu éthique » est-elle du « harcèlement », sans parler de « harcèlement criminel »? » [traduit de l’anglais] Le Conseil n’a cependant pas à statuer si le plaignant a « harcelé » Sue Montgomery. Son rôle est en effet de décider si Yves Boisvert pouvait utiliser le terme « harceler » dans le passage visé.
Le Conseil constate qu’en faisant référence aux tweets envoyés par Robin Edgar, aux vidéos qu’il a tournées, et à une publication sur son blogue, la juge Flavia Longo conclut que M. Edgard a harcelé Mme Montgomery. Dans son jugement, elle écrit ainsi : « La combinaison de tous ces éléments convainc la Cour, au-delà d’un doute raisonnable, que la plaignante a été harcelée et que l’accusé savait que la plaignante se sentait harcelée ou ne se souciait pas de savoir si la plaignante était harcelée. » [traduit de l’anglais] M. Edgar peut être en désaccord avec ce jugement, mais Yves Boisvert pouvait légitimement s’y fier et ce faisant, il n’a commis aucune inexactitude.
2.6 Expression erronée
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert manque à son devoir d’exactitude en rapportant la citation du plaignant dans le passage suivant : « Il lui disait aussi des choses étranges comme “the tougher the cookie, the harder the crumbles”, maxime intraduisible qui veut dire littéralement le plus dur le biscuit, le plus fort les miettes… »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Le plaignant considère qu’il a été mal cité, car il aurait plutôt déclaré : « The tougher the cookie, the harder it crumbles » [« Plus le biscuit est dur, plus il s’effrite »] Le Conseil constate que la citation rapportée par Yves Boisvert provient de la décision rendue par la juge Flavio Longo. On peut ainsi y lire : « La Cour estime que le ministère public a établi au-delà de tout doute raisonnable que l’accusé a communiqué à plusieurs reprises avec la plaignante, directement ou indirectement. Cette affirmation se fonde sur les éléments de preuve suivants : (…) x La présence de l’accusé devant le Café Caravane en novembre 2017, juste avant l’élection, et le fait qu’il ait prononcé les mots suivants à la plaignante à son arrivée sur les lieux : « plus le biscuit est dur, plus les miettes sont dures »; [the tougher the cookie, the harder the crumble] » [traduit de l’anglais]. Le plaignant peut certes être en désaccord avec ce jugement, mais, une fois de plus, Yves Boisvert pouvait légitimement se fier à cette décision de justice et il n’a commis aucune inexactitude en reproduisant une citation y figurant.
2.7 Emploi du verbe croiser
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte en employant le verbe croiser entre guillemets dans le passage suivant : « Il l’a même “croisée” dans sa propre rue. Elle en a eu assez, elle a appelé la police. L’homme a été accusé de harcèlement criminel. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Robin Edgar déplore « d’autres informations trompeuses qui tentent de [le] dépeindre comme un « harceleur » (…) Comme cela a été clarifié dans mon témoignage au tribunal, j’ai eu une rencontre fortuite avec Sue Montgomery alors que j’attendais un bus sur le boulevard de Maisonneuve, à l’extrémité est de la rue où vit Sue Montgomery, près d’une station de métro que j’utilise fréquemment, le 5 décembre 2017. Je ne savais pas que Sue Montgomery habitait dans cette rue à ce moment-là. Sue Montgomery a profité de cette rencontre fortuite – au cours de laquelle j’en ai profité pour lui rappeler très poliment qu’elle m’avait faussement accusé de diffamation et qu’elle devait « se racheter » -, pour aller à la police en prétendant que je la « traquais » ou que je la harcelais criminellement. Pour moi, cette rencontre fortuite était si inhabituelle que j’ai réalisé une courte vidéo sur la rencontre quelques minutes après qu’elle ait eu lieu. » [traduit de l’anglais]
Dans le jugement rendu par la juge Flavia Longo, on peut lire que M. Edgar a déclaré que ce jour-là, Mme Montgomery « est passée devant lui » alors qu’il discutait avec une autre personne dans la rue et qu’il « considère cette rencontre avec [Mme Montgomery] comme une coïncidence significative et que Carl Jung définirait cela comme de la « synchronicité. » [traduit de l’anglais] La description faite par Yves Boisvert de cet événement est fidèle aux faits rapportés dans le jugement puisque la définition du verbe « croiser », dans ce contexte-ci, implique une notion de hasard.
Par ailleurs, le fait que le chroniqueur ait ajouté des guillemets autour du mot « croisée » indique qu’il doute du caractère hasardeux de cette rencontre. Il exprime par là même son opinion à ce sujet. Le rôle du journaliste d’opinion est d’exprimer son point de vue et de prendre position.
2.8 Échange verbal
Le Conseil doit déterminer si Yves Boisvert rapporte une information inexacte dans le passage suivant : « Un échange verbal a lieu. »
Décision
Le Conseil de presse retient le sous-grief d’information inexacte, car il juge que le chroniqueur a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide. Toutefois, le Conseil estime qu’il s’agit d’un manquement mineur et ne blâme pas les mis en cause.
Analyse
Robin Edgar affirme qu’« il n’y a eu aucun échange verbal entre moi et Sue Montgomery lors de cet incident du dimanche 18 mars 2018, qui est en fait une provocation (oserais-je dire du « harcèlement » ?) de Sue Montgomery, plutôt que moi la harcelant… » [traduit de l’anglais]
Les mis en cause admettent cette erreur, tout en estimant qu’« il s’agit d’une inexactitude mineure qui n’affecte en rien la compréhension du lecteur ni la trame factuelle sur laquelle se base M. Boisvert pour formuler son opinion. » Dans les vidéos apportées en preuve par le plaignant, le Conseil constate qu’il n’y a effectivement pas eu d’échange verbal entre M. Edgar et Mme Montgomery ce jour-là. Dans le jugement rendu par la juge Flavio Longo, il est également écrit qu’« à aucun moment [M. Edgar] ne lui a parlé » [traduit de l’anglais]. Yves Boisvert a ainsi commis une inexactitude en affirmant le contraire, conclut le Conseil, soulignant que cette inexactitude est mineure.
Griefs non traités
Robin Edgar reproche à Yves Boisvert d’être partial et de manquer d’équilibre dans son traitement de l’information. Le Conseil ne traite pas ces deux griefs puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de ces obligations déontologiques, comme le stipule l’article 10.2 (3) du Guide.
Robin Edgar demande également au Conseil de veiller à ce qu’un correctif soit publié par les mis en cause. Cependant, le rôle du Conseil se limite à déterminer si les journalistes et les médias ont commis des fautes déontologiques. Il ne se prononce pas sur les mesures à prendre si une faute est constatée.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Robin Edgar contre le chroniqueur Yves Boisvert et le quotidien La Presse pour le sous-grief d’information inexacte relatif à l’échange verbal entre M. Edgar et Mme Montgomery. Toutefois, étant donné qu’il s’agit d’une inexactitude mineure qui n’affecte en rien la compréhension du sujet, le Conseil conclut à un manquement mineur, qui n’est pas un blâme. Il rejette par ailleurs les autres sous-griefs d’information inexacte ainsi que les sous-griefs d’information incomplète.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost