Plaignant
Ghislain Lejeune
Vincent Plourde-Lavoie
Mis en cause
Mario Dumont, chroniqueur
Émission Le Québec matin
LCN / Groupe TVA
Résumé de la plainte
Ghislain Lejeune et Vincent Plourde-Lavoie déposent une plainte les 2 février et 23 mars 2020 contre les propos du chroniqueur Mario Dumont intitulée « QS contre les motoneiges : “pauvre” Émilise! », diffusés à l’antenne de LCN le 29 janvier 2020 dans le cadre de l’émission Le Québec matin. Les plaignants reprochent des informations inexactes, du sensationnalisme et une absence de correction des erreurs.
CONTEXTE
Les deux plaintes visent l’intervention de Mario Dumont durant l’émission Le Québec matin du 29 janvier 2020. Le chroniqueur s’exprime au sujet d’une conférence de presse tenue la veille par les députés de Québec solidaire (QS) Manon Massé, Gabriel Nadeau-Dubois et Ruba Ghazal au sujet, entre autres, de la lutte aux changements climatiques. Lors de son intervention, Mario Dumont indique que QS est « contre les motoneiges » et « contre les armes à feu » et que ces positions doivent être bien inconfortables pour la députée solidaire de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 alinéa a du Guide)
1.1 QS contre les motoneiges
Le Conseil doit déterminer si Mario Dumont rapporte une information inexacte en affirmant que Québec solidaire (QS) est « contre les motoneiges ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Dans l’extrait en cause, Mario Dumont s’exprime au sujet des actions préconisées par Québec solidaire pour lutter contre les changements climatiques. Le chroniqueur déclare (soulignements du Conseil) : « Par contre, ce qui est plus difficile pour Québec solidaire…, c’est bon de dire on est contre, on veut une action plus large au niveau des changements climatiques. Mais, hier encore, et ce n’est pas la première fois que ça arrive, les journalistes les amènent dans le détail : “OK changements climatiques, on fait quoi?” Là, ils sont contre les motoneiges, il faut mettre fin aux motoneiges… Je pense à… Bon, peut-être c’est pas si pire sur le Plateau Mont-Royal là, mais je pense à la pauvre députée de Rouyn-Noranda-Temiscamingue. Hier, Québec solidaire, si tu lis les journaux ce matin, il y a deux gros thèmes : ils sont contre les armes à feu, puis contre les motoneiges. Dans Rouyn-Noranda-Temiscamingue, je comprends que ça a beaucoup voté pour elle autour de l’Université du Québec à Rouyn. Mais, je veux dire, quand tu te demandes est-ce que le député est représentatif de l’ensemble de sa population; tu ne satisfais jamais tout le monde. Mais il y a un point de rupture où tu es dans une région comme le Témiscamingue, la grande région de Rouyn-Noranda, toute la ruralité autour, le nombre de chasseurs, le nombre d’adeptes de motoneiges… »
Ghislain Lejeune affirme que « si on regarde ce que propose et affirme QS, en aucun temps, ils n’ont mentionné [qu’ils étaient contre les motoneiges]. L’équipe de Mario Dumont a interprété et porté des intentions sans aucune preuve pour leur permettre d’affirmer ceci. C’est de la construction de nouvelles de toute pièce ». Vincent Plourde-Lavoie renchérit : « Tel que l’atteste la transcription de la conférence de presse du 28 janvier, à aucun moment, Manon Massé ou tout autre député-e élu-e de Québec solidaire n’a mentionné, ni explicitement, ni implicitement, que Québec solidaire “est contre” les motoneiges ou [veut] “mettre fin aux motoneiges”. »
La « conférence de presse du 28 janvier » évoquée par M. Plourde-Lavoie est celle à laquelle Mario Dumont fait référence quand il dit : « Hier encore [soit le 28 janvier 2020], et ce n’est pas la première fois que ça arrive, les journalistes les amènent dans le détail. » La transcription de cette conférence de presse, apportée en preuve par le plaignant, montre que le chroniqueur cite de façon inexacte le contenu des échanges entre les journalistes et la députée, et alors co-cheffe, de Québec solidaire, Manon Massé.
Lors de cette conférence de presse, un premier journaliste lui demande : « Il y a une industrie, au Québec, il y a… en fait, il y a des centaines de milliers de motoneiges au Québec, qui sont des véhicules à moteur deux-temps qui dégagent énormément de pollution, de gaz à effet de serre, beaucoup plus qu’une voiture, que d’autres types de véhicules. Est-ce qu’on ne devrait pas être prudents avec cette industrie-là? Est-ce que… parce que ça a un impact environnemental. » Mme Massé répond : « Oui, tout à fait. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai déposé, l’automne dernier, un projet de loi sur la question des véhicules à essence, véhicules au sens large… bien sûr, on pense toujours voitures, mais véhicules au sens large, et je pense qu’effectivement en matière de… je pense que la population doit aussi faire leur part, mais doivent aussi continuer à faire des pressions sur les fournisseurs pour qu’eux autres arrivent aussi avec de nouveaux modèles des nouvelles choses (…) ».
Le journaliste relance alors la députée : « Mais est-ce qu’on a trop de motoneiges au Québec? Est-ce qu’on en fait trop, est-ce que… Parce que ça pollue quand même assez… » Elle lui répond : « Écoutez, là, ce que je veux vous dire, là, c’est que vous me demandez : Les choix individuels ont un impact? Je vous dis oui, vous avez raison. Ceci étant dit, il va falloir aussi qu’on mette la pression sur les concepteurs, les producteurs, et c’est clair que ça ne peut pas se multiplier à l’infini, ces choses-là. Ça ne consomme pas juste parce que ça brûle du pétrole, mais construire des voitures, des motoneiges, des… ça consomme beaucoup. Mais il y a des gens qui en ont besoin pour leur travail, et c’est toujours cet équilibre-là… À Québec solidaire, on ne veut pas… On souhaite profondément que cette transition-là ne se fasse pas sur le dos des gens les plus pauvres, sur le dos des travailleurs, travailleuses. Je pense que, collectivement, il y a un réalignement même de l’économie qu’il faut faire. »
Plus tard durant cette même conférence de presse, un autre journaliste revient sur la question : « J’ai l’impression que vous ne voulez pas vraiment dire quels changements les Québécois devront faire dans leurs comportements à eux. Parce qu’il va y avoir… Vous le dites, là, il faut des changements rapides, puis je comprends, bon, l[a] main dans la main, je comprends l’efficacité énergétique et tout, mais, en ce moment, on comprend que, par exemple, il s’achète trop de VUS au Québec, c’est-à-dire qu’on en achète trop comme Québécois. Puis je reprends l’exemple de la motoneige, là. Il y a plein de gens, leur loisir, c’est de brûler du gaz en partant de Labelle, pour aller à Saint-Michel-des-Saints, pour aller au Lac-Saint-Jean en VTT ou en motoneige. Ça, est-ce que c’est bon pour l’environnement? » Mme Massé lui répond : « Entre moi et vous, est-ce que c’est bon, brûler du gaz, pour l’environnement? La réponse est non. Qu’est-ce qu’on offre comme alternative? Je ne suis pas certaine qu’on offre grand-chose. » La discussion entre la députée et les journalistes se poursuit ensuite sur d’autres sujets.
Ainsi, comme l’ont constaté les plaignants, Mario Dumont fait une affirmation fausse lorsqu’il dit que QS est « contre les motoneiges ». Lors de la conférence de presse, Manon Massé ne dit pas qu’elle et son parti « sont contre les motoneiges ». Au contraire, la députée de Québec solidaire fait preuve de prudence en essayant de ne pas se positionner sur la question spécifique des motoneiges, mais en expliquant que les choix individuels ont des impacts sur l’environnement puis en élargissant le débat sur des enjeux plus généraux de la transition énergétique. En avançant sans nuance que les députés de Québec solidaire s’opposent aux motoneiges, le chroniqueur a rapporté une information inexacte en leur faisant porter une position politique qui n’est pas la leur.
1.2 QS contre les armes à feu
Le Conseil doit déterminer si Mario Dumont rapporte une information inexacte en affirmant que Québec solidaire (QS) est « contre les armes à feu ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Dans l’extrait en cause, Mario Dumont déclare : « Hier, Québec solidaire, si tu lis les journaux ce matin, il y a deux gros thèmes : ils sont contre les armes à feu, puis contre les motoneiges. » Selon Vincent Plourde-Lavoie, « affirmer que Québec solidaire est “contre les motoneiges” ou “contre les armes à feu” contribue à entretenir chez les auditeurs une vision inexacte de la réalité et à les induire en erreur quant aux réelles prises de position de Québec solidaire sur ces enjeux. »
Concernant les armes à feu, le plaignant indique que le chroniqueur fait référence à un article intitulé « QS demande un certificat médical avant l’enregistrement d’une arme à feu » publié la veille au soir sur les sites Internet du Journal de Québec et du Journal de Montréal. On peut y lire :
« Le parti considère qu’il n’y a pas assez de vérifications effectuées pour le moment et demande que le contrôleur des armes à feu réclame un certificat médical avant l’enregistrement.
Cette requête va dans le même sens que celles déjà présentées par l’organisme Poly se souvient et les responsables de la grande mosquée de Québec.
“On vise notamment la question de la santé mentale, a expliqué le député d’Hochelaga-Maisonneuve, Alexandre Leduc. [Alexandre Bissonnette] avait menti sur ses antécédents de santé mentale dans le formulaire tel quel et, comme il y a moins de 5 % des demandes qui sont vérifiées, et bien, il était passé dans le système.”
Le député de Québec solidaire a ajouté que l’obligation d’obtenir un certificat médical augmenterait les chances d’avoir “des drapeaux rouges qui sont levés à un moment ou un autre de tout ce processus-là.” »
À la lecture de cet article, ainsi que du programme politique du parti, qui reste évasif sur la question du contrôle des armes, on se rend compte que Québec solidaire n’est pas « contre les armes à feu », comme l’affirme sans équivoque Mario Dumont, mais en faveur d’un encadrement plus strict de leur accès à des fins de sécurité publique. En avançant de manière catégorique que Québec solidaire s’oppose aux armes à feu, le chroniqueur a rapporté une information qui n’est pas fidèle à la réalité.
Grief 2 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Mario Dumont déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’il rapporte, quand il affirme que Québec solidaire est « contre les motoneiges ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de sensationnalisme, car il juge que le journaliste a contrevenu à l’article 14.1 du Guide.
Analyse
Au-delà de l’inexactitude constatée au grief 1.1, Mario Dumont a déformé la réalité en affirmant sans ambages que Québec solidaire et ses députés « sont contre les motoneiges », alors que ceux-ci n’ont jamais exprimé leur opposition à ces engins qui comptent de nombreux adeptes au Québec. En interprétant de façon abusive les propos des représentants de Québec solidaire, le chroniqueur cherche à faire sensation en posant les bases d’une polémique factice qu’il alimente ensuite en « pensant à la pauvre députée de Rouyn-Noranda-Témiscamingue (…) Quand tu te demandes est-ce que le député est représentatif de l’ensemble de sa population, tu ne satisfais jamais tout le monde. Mais il y a un point de rupture où tu es dans une région comme le Témiscamingue, la grande région de Rouyn-Noranda, toute la ruralité autour, le nombre de chasseurs, le nombre d’adeptes de motoneiges… »
Dans le dossier D2018-04-049, le Conseil devait déterminer si une chroniqueuse avait déformé la réalité en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle d’un passage d’une chronique du plaignant. Le plaignant avait écrit : « En 2018, un enfant de 10 ans disparu qui se trouve à être noir ne peut pleinement bénéficier du soutien élémentaire que mérite un enfant de 10 ans disparu. Il doit subir les foudres d’internautes qui formulent à son égard des remarques racistes beaucoup trop violentes pour que je les reproduise ici. » En ondes, la chroniqueuse avait cité la première phrase du plaignant en affirmant que ce dernier, quand il parle de « soutien élémentaire », dénonce un manque de ressources pour retrouver l’enfant. Pourtant, dans la phrase suivante, le plaignant précisait ce qu’il entendait par « soutien élémentaire », à savoir celui de la population. Lorsque la chroniqueuse reprochait au plaignant « de dire que cet enfant-là, on ne met pas les ressources, les mêmes ressources pour le trouver, qu’on mettrait sur un… », elle lui attribuait donc une opinion qu’il n’avait pas émise. Le Conseil a jugé qu’en « déformant le sens de la chronique [du plaignant, la chroniqueuse] exagère la portée réelle de ce qu’avance [le plaignant], faisant ainsi preuve de sensationnalisme. » Pareillement dans le cas présent, Mario Dumont a exagéré la portée réelle des propos tenus la veille en conférence de presse par les députés de Québec solidaire, en leur prêtant une prise de position contre les motoneiges qu’ils n’ont pas formulée.
Grief 3 : absence de correction des erreurs
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer sur les mis en cause ont adéquatement corrigé leurs manquements et erreurs.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’absence de correction des erreurs, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Compte tenu des décisions prises lors de l’examen des griefs précédents, les mis en cause auraient dû corriger leurs erreurs et manquements, dont ils ont été informés par les plaignants les 2 et 5 février 2020, ce qu’ils n’ont pas fait.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de la chaîne LCN et du Groupe TVA qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et qui n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient les plaintes de Ghislain Lejeune et Vincent Plourde-Lavoie et blâme le chroniqueur Mario Dumont, l’émission Le Québec matin, la chaîne LCN et le Groupe TVA pour les griefs d’informations inexactes, de sensationnalisme et d’absence de correction des erreurs.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentant des entreprises de presse :
Jed Kahane