Plaignant
Luc Côté
Chantal Blais
Marie-France Sauve
Patrick Laroche
14 plaignants en appui
Mis en cause
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Luc Côté, Chantal Blais, Marie-France Sauve, Patrick Laroche et 14 plaignants en appui déposent une plainte les 30 et 31 décembre 2020 au sujet de deux articles signés par Clara Loiseau et publiés par Le Journal de Montréal, les 28 et 29 décembre 2020, intitulés « Au pays des touristatas » et « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud ». Les plaignants déplorent des titres partiaux, des photographies ne reflétant pas l’information à laquelle elles se rattachent et l’utilisation injustifiée de procédés clandestins.
CONTEXTE
Au moment des faits, en décembre 2020, le Québec est dans la deuxième vague de COVID-19. La vaccination vient de commencer pour les aînés et les travailleurs en CHSLD. Les rassemblements étant interdits en zone rouge, la majorité des Québécois passent les Fêtes à la maison, avec leur « bulle » familiale.
Les voyages sont fortement déconseillés par le gouvernement fédéral. Les voyageurs doivent s’inscrire sur une application appelée ArriveCAN avant de monter à bord de leur vol vers le Canada et respecter la période de quarantaine obligatoire de 14 jours à leur retour au pays.
La journaliste Clara Loiseau se rend à Playa del Carmen, au Mexique, pendant la période des Fêtes pour suivre les touristes québécois qui choisissent, malgré la controverse, de s’envoler vers le Sud. L’article indique que « Le Journal a décidé de s’y rendre incognito ». La journaliste relève que « l’impression que le virus n’existe pas [au Mexique] est très forte » et donne l’exemple que seuls les employés de l’hôtel sont masqués en tout temps. Elle rapporte que les clients de l’hôtel ne se lavent pas les mains, ne portent pas de masque, ne respectent pas la distanciation sociale, partagent des cigarettes, etc. Elle relate plusieurs situations où elle a constaté des manquements au respect des règles sanitaires (à l’aéroport, dans l’avion, à la plage, à la piscine, lors de la soirée spéciale de Noël, au buffet et dans une rue commerçante). La journaliste soulève enfin qu’en portant le masque et en se désinfectant les mains, elle s’est attiré plusieurs regards désapprobateurs et des commentaires. Le Journal intitule l’article « Au pays des touristatas » et le publie le 28 décembre 2020.
La même journaliste signe un deuxième article, publié le lendemain, le 29 décembre, dans lequel elle rapporte que le gouvernement du Québec veut qu’Ottawa augmente les mesures de contrôle pour les voyageurs. Québec demande « des suivis plus stricts aux quarantaines, ainsi que des tests de dépistages au départ et à l’arrivée » des voyageurs. Le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, est « choqué par les images, publiées la veille par Le Journal de Montréal, de Québécois qui font la fête dans des tout-inclus au Mexique [et] réitère que la situation est déjà inquiétante, car le nombre de nouvelles infections ne baisse pas depuis plusieurs semaines ». M. Dubé ne veut pas que les voyageurs revenant de l’étranger ramènent le virus avec eux. Ce deuxième article s’intitule « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud ». Les deux articles visés par les plaintes comportent la même photo, légèrement recadrée. On y voit une vingtaine de personnes, à la plage, qui ne respectent pas la distanciation sociale.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME FACTUEL
Journalisme factuel : « (1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte. (2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.1 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DES PLAIGNANTS
Grief 1 : Partialité dans le titre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 c) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
1.1 « Au pays des touristatas »
Le Conseil doit déterminer si le média a fait preuve de partialité en utilisant le mot « touristatas » dans le titre « Au pays des touristatas ». La journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mise en cause, parce que les titres et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de partialité sur ce point, car il juge que le média a contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Luc Côté considère que le terme « touristatas » est partial et déplore que Le Journal de Montréal « utilise à répétition depuis plusieurs mois un langage dégradant et méprisant à l’égard d’une partie de la population identifiable. Ils décrivent [les gens] pour les rendre identifiables : ceux qui ne portent pas de masque, ceux qui manifestent, ceux qui vont dans le Sud, etc. Leur description est habituellement biaisée pour amalgamer faussement une partie de la population sous ces étiquettes. Dans le cas de cet article, ce serait tous les voyageurs qui auraient un comportement irresponsable. Ensuite, on les dénigre : covidiots, complotistes, touristatas… L’impact sur le climat social est extrêmement important et négatif ».
Le terme « touristata » est apparu au Québec au courant de la période des Fêtes, en 2020. Il est utilisé afin de désigner les touristes qui ont fait fi de l’avis défavorable du gouvernement canadien de voyager, et qui ont défié les mesures sanitaires en vigueur. Le terme est ce qu’on appelle un mot-valise, un mot qui fusionne d’autres mots.
Il est formé des vocables « touriste » et « tata ». Comme l’indique le dictionnaire québécois Usito, le terme familier « tata » signifie au Québec une personne « niaise, imbécile, sotte, insignifiante ».
Le terme « touristatas » n’est donc pas neutre, car il exprime un jugement de valeur selon lequel les touristes québécois qui sont partis au Mexique durant les Fêtes sont des imbéciles. Qualifier des personnes de « tatas » ou d’« imbéciles » est une question de point de vue. C’est pourquoi Le Journal de Montréal a fait preuve de partialité en qualifiant ces voyageurs de « touristatas » dans le titre de l’article.
Le plaignant estime que Le Journal de Montréal choisit une « description […] habituellement biaisée pour amalgamer faussement une partie de la population sous ces étiquettes ». Il est important de spécifier ici que ce n’est pas parce que ce mot est connoté qu’il ne peut pas être utilisé par les médias. Le terme « touristatas » pourrait être rapporté, par exemple, entre guillemets s’il est utilisé par un intervenant cité dans le même article, afin qu’il soit clair pour le lecteur que l’emploi du mot représente l’opinion de la personne interviewée. Dans le cas présent, aucun intervenant cité dans le texte n’utilise le terme « touristatas ».
Par ailleurs, « touritatas » pourrait légitimement être utilisé dans une chronique, puisque les journalistes d’opinion disposent d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’ils adoptent pour exprimer leur point de vue.
Cependant, l’article en cause n’est pas une chronique d’opinion, mais un reportage factuel. Le média devait donc être impartial dans son titre. L’article pour sa part comprend des termes neutres pour désigner ces touristes québécois au Mexique, comme « les Québécois en vacances dans le sud », « les vacanciers », « les clients », « les touristes québécois » et « les voyageurs ».
Le Conseil retient un grief de partialité lorsqu’un média emploie des termes qui témoignent d’un parti pris. Par exemple, dans le dossier D2020-11-156, le grief de titre partial a été retenu, parce qu’il a jugé que le mot « imbécile » n’était soutenu par aucun élément de faits au sujet de l’intelligence de la personne. Le Conseil a constaté que « ce mot exprime un jugement négatif sur la personne qui a posé le geste, alors qu’il y avait peu d’informations concernant l’instigateur de la fausse prise d’otages au moment où l’article a été publié. Le mot “imbécile” n’est pas impartial : il s’agit d’une qualification subjective de cette personne, qui témoigne d’un point de vue du média […] D’ailleurs, le corps de l’article ne contient aucune information concernant l’intelligence de l’auteur de l’appel, son raisonnement ou ses motivations. On ne laisse pas entendre que c’est un “imbécile” ».
De la même manière, dans le cas présent, le mot « touristatas » témoigne d’un parti pris de la part du média concernant les touristes dont il est question dans l’article. Bien que le titre d’un article factuel puisse être accrocheur et coloré, il doit demeurer impartial et ne doit pas véhiculer un jugement de valeur.
1.2 « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud »
Le Conseil doit déterminer si le média a fait preuve de partialité en utilisant le mot « touristatas » dans le titre « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud ». La journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mise en cause, parce que les titres et les autres éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de partialité sur ce point, car il juge que le média a contrevenu à l’article 9 c) du Guide.
Analyse
Chantal Blais soutient que le terme « touristatas » dans le titre est partial. Selon la plaignante, « la journaliste poursuit clairement les citoyens québécois qui ont décidé de quitter le Québec et de se prévaloir de leur droit de prendre des vacances à l’extérieur de la province. Elle dénigre les gens qui sont en vacances en les traitant d’imbéciles. Son travail n’est pas de donner son opinion, mais de rapporter des faits ».
Comme pour le titre de la veille, le Conseil observe que Le Journal de Montréal a fait preuve de partialité en employant le terme « touristatas » dans le titre « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud ». Il s’agit d’une qualification subjective des personnes qui sont parties en voyage durant la période des Fêtes et qui ne respectent pas les consignes sanitaires. En employant ce mot, le média a adopté un point de vue selon lequel ces touristes québécois sont des personnes imbéciles.
De plus, le corps de l’article ne contient pas d’information au sujet de l’intelligence de ces touristes et aucun intervenant cité dans le texte ne qualifie ces personnes de « touristatas ». Il importe de noter que, même si le titre qu’a choisi le média témoigne de partialité, la journaliste, dans son texte, opte pour des mots neutres pour identifier les voyageurs, comme « Québécois qui font la fête » et « citoyens qui sont de retour au pays ».
Grief 2 : photographie qui ne reflète pas l’information à laquelle elle se rattache
Principe déontologique applicable
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
2.1 « Aux pays des touristatas »
Le Conseil doit déterminer si la photographie accompagnant l’article reflète l’information à laquelle elle se rattache. La journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mise en cause, parce que les éléments d’habillage d’un texte, comme les titres et les photographies, relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse rejette ce sous-grief de photographie ne reflétant pas l’information à laquelle elle se rattache.
Analyse
Patrick Laroche indique que « la première photo de la section à la plage est fausse et mensongère ». Il avance que les personnes sur la photo ne sont pas des Canadiens. Une autre plaignante, Marie-France Sauve, soutient que le média a utilisé une « photo d’archive non représentative de la réalité » pour accompagner son article. Les deux plaignants affirment que la photo n’a pas été prise à la plage de l’hôtel dans lequel séjourne la journaliste, mais plutôt à une plage publique.
L’image en question figure sous l’intertitre « À la plage », mais l’endroit précis de la plage photographiée n’est pas mentionné dans le texte. Une vingtaine de personnes, dont les visages ont été floutés, qui ne respectent pas la distanciation sociale à la plage y figurent. On peut constater que les personnes photographiées de dos ne portent pas de masque, car il n’y a pas d’élastiques derrière leurs oreilles. Certaines d’entre elles portent un chapeau de père Noël. Au bas de l’image, on peut lire que Clara Loiseau a elle-même photographié la scène. La photographie ne comporte pas de légende, mais le texte juste en dessous se lit comme suit :
« À la plage de l’hôtel, des groupes se rassemblent près de la piscine qui avoisine l’océan et s’enlacent, alors que l’alcool coule à flots. Personne ne porte le masque, personne ne respecte la distanciation. Il n’y a pas de désinfectant pour se laver les mains à proximité. Dans la ville de Playa del Carmen, la plage publique est remplie à craquer. Touristes et résidents locaux se côtoient en respectant très difficilement le 1,5 mètre de distanciation réclamé par les autorités mexicaines. Plusieurs groupes d’étrangers vêtus de maillots de bain et de chapeaux de père Noël font la fête sans porter de couvre-visage et en ne respectant aucune mesure sécuritaire. »
Contrairement à ce que suggèrent les plaignants, il n’est pas écrit que la photographie a été prise à la plage de l’hôtel. L’article aborde à la fois les rassemblements à la plage de l’hôtel (qui n’est pas nommé dans le texte), et à la plage publique de Playa del Carmen. Les personnes qui se trouvent sur la photo ne sont pas identifiées et on n’indique pas les origines de chacune d’entre elles.
L’image révèle plutôt des comportements de gens qui contreviennent aux mesures sanitaires. On y voit d’ailleurs une pancarte rappelant les mesures de distanciation sociale à respecter. L’allégation de Marie-France Sauve, selon laquelle la photo à la plage est une photo d’archives, n’est soutenue par aucune preuve. Ainsi, l’ensemble des informations soulevées par les plaignants relèvent de leur interprétation et ne sont appuyées par aucun élément probant.
Le Journal de Montréal n’a commis aucun manquement déontologique en utilisant une photo prise par la journaliste lors de son voyage au Mexique afin de montrer que les mesures sanitaires n’étaient pas respectées.
De la même manière, dans le dossier D2019-06-088, le grief de photo inadéquate a été rejeté, puisque « la photographie accompagnant l’article fai[sai]t référence à l’une des informations qui y [étaient] transmises ». La photo visée par la plainte montrait des demandeurs d’asile franchissant la frontière au chemin Roxham et l’article abordait la question des demandeurs d’asile, notamment ceux empruntant le chemin Roxham. Le Conseil a jugé la photo appropriée, puisqu’elle reflétait les informations rapportées dans l’article.
Dans le cas présent, l’article rapporte plusieurs informations indiquant que les touristes dans le Sud à ce moment-là ne suivent pas les mesures sanitaires en place. Le média a publié une photographie qui reflète l’information à laquelle elle se rattache, sur laquelle on voit un groupe de personnes sur une plage ne respectant pas la distanciation sociale.
2.2 « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud »
Le Conseil doit déterminer si la photographie accompagnant l’article reflète l’information à laquelle elle se rattache. La journaliste qui a rédigé l’article n’est pas mise en cause, parce que les éléments d’habillage d’un texte relèvent de la responsabilité des médias et non des journalistes.
Décision
Le Conseil de presse rejette ce sous-grief de photographie ne reflétant pas l’information à laquelle elle se rattache dans l’article « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud ».
Analyse
Dans ce sous-grief, Chantale Blais vise la même photographie analysée au sous-grief 2.1, qui a été utilisée pour illustrer les articles « Aux pays des touristatas » et « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud ». Il n’y a que le cadrage de l’image qui diffère légèrement dans les deux textes.
La plaignante souligne que la photo est « mensongère » : « Lorsque nous allons dans des tout-inclus, nous n’amenons pas de [glacière] ni de pelle à jardin et les canettes sont interdites sur les plages des resorts. Cette photo n’a pas été prise au Mexique. »
L’article du 29 décembre rapporte que le gouvernement du Québec veut qu’Ottawa augmente les mesures de contrôle pour les voyageurs. Quelques paragraphes avant la photo visée, le ministre québécois de la Santé, Christian Dubé, réagit aux images de touristes québécois dans le Sud : « Choqué par les images rapportées par Le Journal de Québécois qui font la fête dans des tout-inclus au Mexique, [Christian Dubé] a réitéré que la situation est déjà inquiétante, car le nombre de nouvelles infections ne baisse pas depuis plusieurs semaines. »
La photographie est accompagnée de la légende suivante : « Des touristes qui font la fête sans aucune précaution dans le Sud. » Comme au sous-grief 2.1, le crédit photo est attribué à Clara Loiseau. On y voit, tel qu’expliqué précédemment, plusieurs personnes, à la plage, qui ne respectent pas la distanciation sociale. Les visages sont floutés. On peut constater que les personnes photographiées de dos ne portent pas de masque, car il n’y a pas de corde derrière leurs oreilles.
De la même manière qu’au sous-grief précédent, il n’est indiqué nulle part que la photo a été prise à la plage de l’hôtel, comme le soutient la plaignante. Elle n’apporte aucune preuve pour soutenir son allégation selon laquelle « cette photo n’a pas été prise au Mexique ».
Cette photo est un exemple d’images auxquelles réagissait Christian Dubé, inquiet de l’impact du retour des touristes sur le nombre d’infections à la COVID-19. Le média n’a commis aucun manquement déontologique en l’utilisant, car elle reflète le contenu de l’article.
Grief 3 : utilisation injustifiée de procédés clandestins
Principe déontologique applicable
Procédés clandestins : « (1) Les journalistes peuvent avoir recours à des procédés clandestins lors de la collecte d’information lorsque ces deux conditions sont réunies :
- l’intérêt public l’exige et
- la probabilité existe qu’une approche ouverte pour recueillir l’information échouerait.
(2) Si la collecte d’information se fait dans un lieu privé, les journalistes doivent en outre disposer d’informations crédibles indiquant la probabilité d’activités illégales ou antisociales ou d’un abus de confiance. (3) Les journalistes et les médias d’information informent le public qu’ils ont eu recours à un procédé clandestin lorsqu’ils présentent de l’information recueillie de cette manière. (4) Lorsque la collecte d’information par un procédé clandestin se fait dans un lieu privé, les journalistes et les médias d’information doivent, par souci d’équité et d’équilibre, permettre aux personnes dont les propos ou les actions ont été ainsi recueillis d’y réagir avant la publication ou la diffusion du reportage. » (article 25 du Guide)
Le Conseil doit d’abord déterminer si la journaliste a eu recours à des procédés clandestins dans l’article « Aux pays des touristatas ». Si c’est le cas, il doit établir si l’intérêt public le justifiait et si une approche ouverte aurait permis de recueillir l’information.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’utilisation injustifiée de procédés clandestins.
Analyse
Patrick Laroche soutient qu’il est « inacceptable » de « filmer des gens à leur insu dans l’aéroport, dans l’avion, sur leur lieu de vacances ».
En début d’article, le média indique aux lecteurs que la journaliste s’est rendue « incognito », c’est-à-dire sans se faire connaître, à Playa del Carmen : « Le Journal a décidé de s’y rendre incognito lorsque de nombreux vacanciers ont fui la Belle Province pendant les Fêtes, suscitant la grogne des autorités et de la population. Ce que nous avons vu nous a scié les jambes. »
La journaliste a donc utilisé ici une forme de procédé clandestin puisqu’elle n’a pas dévoilé aux gens qu’elle a observés et avec qui elle a discuté pour recueillir des informations qu’elle était au Mexique à titre de journaliste pour préparer un reportage sur le comportement des Québécois qui ont choisi de voyager dans le Sud pendant la période des fêtes.
Le sujet du reportage est manifestement d’intérêt public, car la démarche de Clara Loiseau a permis de rendre public le comportement de touristes québécois ne respectant pas les consignes sanitaires à l’étranger, alors que les rassemblements étaient interdits en zone rouge, que la majorité des Québécois passaient les Fêtes à la maison, avec leur bulle familiale et que les voyages étaient fortement déconseillés par le gouvernement fédéral. En décembre 2020, le gouvernement du Québec et le milieu médical étaient inquiets du retour des voyageurs après la période des Fêtes, comme en témoignent d’autres articles de presse comme « COVID-19 : le Dr François Marquis dénonce les “tricheries de Noël” », publié le 20 décembre 2020 par Radio-Canada, et « Front commun des partis pour demander de ne pas se rassembler ni voyager », publié le 22 décembre 2020 par La Presse.
Durant son voyage, la journaliste a pu constater que les inquiétudes des autorités gouvernementales et médicales étaient fondées. Son article rapporte plusieurs comportements contrevenant aux mesures sanitaires en vigueur au Québec : absence de distanciation, pas de port du masque, accolades, partages de cigarettes et échanges de verres, notamment, alors que ces voyageurs devaient revenir au Québec.
De plus, le lendemain de la publication de l’article mis en cause, le 29 décembre 2020, le gouvernement de François Legault a réagi aux « “images choquantes” de Québécois qui ont voyagé dans le Sud en faisant fi des consignes sanitaires au cours des derniers jours […] Il demande à Ottawa de mettre sur pied rapidement une série de mesures pour prévenir la transmission de la COVID-19 au retour des Fêtes » (source : Henri Ouellette-Vézina, « Voyageurs dans le Sud – Québec veut une obligation de dépistage avant leur retour », le 29 décembre 2020, La Presse). Le 30 décembre 2020, le Canada annonce que les voyageurs devront passer un test de dépistage de la COVID-19 trois jours ou moins avant d’entrer au pays et obtenir un test négatif pour pouvoir prendre l’avion ou traverser la frontière. Cette disposition est entrée en vigueur le 7 janvier 2021. Ces mesures mises en place à la suite de la publication de l’article de Clara Loiseau montrent l’intérêt public d’enquêter discrètement sur le comportement des Québécois en voyage dans le Sud en pleine pandémie.
L’utilisation d’un procédé clandestin était donc justifiée par l’intérêt public. En ce qui concerne la probabilité qu’une approche ouverte pour recueillir l’information ait échoué, la journaliste explique dans une section de l’article que le seul fait de porter un masque lui a valu plusieurs regards et remarques :
« Pendant les quatre jours de mon voyage dans un tout-inclus, j’ai pu constater que le fait que je porte un masque avait l’air de déranger […] Mais outre ces regards pesants, j’ai aussi reçu de nombreux commentaires de plusieurs Québécois. Le soir du 24 décembre, par exemple, assise avec plusieurs personnes autour d’une table à l’extérieur, je me suis fait achaler pas une, pas deux, pas trois, mais bien quatre fois parce que je portais mon couvre-visage […] Un troisième Québécois, originaire de Montréal, m’a simplement fait une réflexion désobligeante et est parti s’asseoir à une autre place, plus loin de moi.
La faute des médias
Un dernier m’a également souligné que je regardais trop la télé, comme s’il ne fallait pas croire ce que les médias rapportaient… »
Ces éléments permettent de conclure que la probabilité existe qu’une approche ouverte n’aurait pas permis à l’auteure de l’article d’observer les mêmes comportements ni d’obtenir tous ces témoignages si elle s’était présentée en tant que journaliste.
De la même manière, dans le dossier D2017-01-003, le grief d’utilisation injustifiée de procédés clandestins a été rejeté, car la journaliste n’aurait pas pu recueillir l’information recherchée avec une approche ouverte : « Le reportage en question a été réalisé à la suite d’une série d’agressions sexuelles survenues dans des résidences étudiantes de l’Université Laval et après que les directions des établissements universitaires eurent annoncé que la sécurité serait rehaussée autour des résidences étudiantes. Quelques jours après, la journaliste s’est introduit en caméra cachée dans les résidences étudiantes de l’Université de Sherbrooke et du Cégep de Sherbrooke afin d’en tester la sécurité.
Les plaignantes jugeaient que le recours à des procédés clandestins était injustifié […] La majorité des membres a considéré que le recours à un procédé clandestin était justifié et pertinent, car la journaliste n’aurait pas pu recueillir l’information recherchée avec une approche ouverte. Sa démarche lui a permis de tester la sécurité de la résidence étudiante de l’Université de Sherbrooke, dans laquelle elle parvient à s’introduire, car la porte d’entrée est dépourvue de serrure, et où elle circule pendant 5 à 10 minutes avant de s’inviter dans une partie de billard. Le même procédé lui a ensuite permis de tester la sécurité de la résidence étudiante du Cégep de Sherbrooke où après avoir essayé d’entrer en sollicitant des étudiants par l’interphone, un étudiant qui passe par là finit par lui ouvrir la porte depuis l’intérieur. »
Similairement dans le cas présent, la probabilité existe qu’une approche ouverte n’aurait pas permis à ce sujet d’intérêt public de voir le jour si la journaliste ne s’était pas rendue à Playa del Carmen incognito. C’est pourquoi ce procédé était justifié.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse et qui n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient les plaintes de Luc Côté, Chantal Blais, Marie-France Sauve, Patrick Laroche et de 14 plaignants en appui visant les articles « Au pays des touristatas » et « Québec veut serrer la vis aux touristatas du Sud » et blâme Le Journal de Montréal concernant les deux sous-griefs de titres partiaux. Les titres relevant de la responsabilité des médias et non des journalistes, Clara Loiseau n’est pas blâmée. Les griefs de photographies ne reflétant pas l’information à laquelle elles se rattachent et d’utilisation injustifiée de procédés clandestins sont rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau