Plaignant
Fernando Belton
Marcus Delisle
Annie Vendredi
Mis en cause
Le Journal de Montréal
TVA Nouvelles
Agence QMI
Québecor Média
Résumé de la plainte
Fernando Belton, Marcus Delisle et Annie Vendredi déposent une plainte les 17 et 18 janvier 2021 au sujet de l’article « Deux vols en provenance d’Haïti bourrés de cas de COVID-19 » rédigé par l’agence QMI et publié par Le Journal de Montréal et sur le site Internet de TVA Nouvelles, le 16 janvier 2021. Les plaignants déplorent de l’information inexacte, des informations incomplètes, du sensationnalisme, de la discrimination, une absence de rétractation. Le grief de demande d’excuses ne sera pas traité (voir « Grief non traité : demande d’excuses » à la fin de cette décision).
CONTEXTE
L’article rapporte que les vols des 10 et 13 janvier 2021 d’Air Transat en provenance de Port-au-Prince « étaient infestés de cas de COVID-19.
Dans toutes les rangées, au moins un passager a été déclaré positif. » Le texte s’appuie sur des données publiées sur un site du gouvernement du Canada destiné aux voyageurs afin qu’ils puissent évaluer leur exposition au virus.
Au moment de la publication de l’article, le gouvernement fédéral exigeait que les passagers à destination du Canada aient en main un test de dépistage négatif pour embarquer. Cette mesure n’était pas en vigueur pour les voyageurs en provenance d’Haïti, en raison de la difficulté à y passer un test.
L’article mis en cause a été retiré des sites Internet de TVA Nouvelles et du Journal de Montréal pour être remplacé par un texte intitulé « Rectificatif concernant deux vols d’Air Transat avec des cas de COVID-19 à bord », dans lequel on explique qu’il y a eu une « interprétation erronée » de l’indication « toutes rangées » présentée sur le site gouvernemental. Le rectificatif indique : « Nous avons retiré le texte peu après sa publication lorsque nous avons été informés que “toutes rangées” ne voulait pas dire que des passagers positifs à la COVID-19 se trouvaient dans chaque rangée, mais bien que les passagers de chaque rangée de ces deux vols ont pu être exposés au virus. »
Analyse
GRIEFS DES PLAIGNANTS
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte en affirmant : « Dans toutes les rangées, au moins un passager a été déclaré positif. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information inexacte, car il constate un manquement à l’article 9 a) du Guide. Cependant, il absout les mis en cause qui ont retiré l’article puis publié un rectificatif adéquat. L’information inexacte a été corrigée pleinement et avec diligence.
Analyse
Marcus Delisle considère que l’information transmise est « fausse ». De son côté, Annie Vendredi reprend le texte d’excuses publié le 18 janvier par Le Journal de Montréal comme preuve de l’inexactitude initiale : « [C]ette affirmation s’est avérée inexacte, car elle était basée sur une interprétation erronée des données publiques de Transports Canada qui indiquaient ‘‘toutes rangées’’ dans sa section ‘‘Vols internationaux avec cas COVID-19 confirmés’’. »
L’article produit par l’Agence QMI est basé sur des données publiées par le gouvernement du Canada à l’intention des voyageurs entrant au pays afin qu’ils soient informés de leur risque d’exposition à la COVID-19. Le tableau dresse la liste des vols arrivés au Canada au cours des 14 derniers jours qui comptaient des cas confirmés de COVID-19. Pour chacun de ces vols, on indique le numéro des rangées où les passagers ont été exposés au virus. Les passagers concernés sont invités à porter davantage attention à l’apparition de symptômes. On précise que dans le cas où aucune rangée n’est indiquée, la consigne s’adresse à tous les voyageurs.
La page du site web du gouvernement du Canada indique bien qu’il s’agit d’informations concernant le risque d’avoir été exposé à la COVID-19 et non d’une recension des cas présents à bord de l’appareil. Le titre et le sous-titre de la page (« Maladie à coronavirus (COVID-19) : Endroits où vous pourriez avoir été exposé à la COVID-19 – Exposition potentielle à la COVID-19 ») tout comme le début du texte sont clairs à ce sujet : « Il se peut que vous ayez été exposé à la COVID-19 au cours d’un voyage récent, par exemple en avion, en navire de croisière ou en train (tout moyen de transport public). Être conscient de votre risque d’exposition peut vous aider à prendre les mesures nécessaires pour protéger votre santé et celle des personnes qui vous entourent. »
À la lumière de l’information qui précède le tableau, on ne pouvait pas conclure qu’il y avait des cas confirmés de COVID-19 dans toutes les rangées de l’avion, comme on l’a fait dans l’article. On devait seulement comprendre que les passagers de chaque rangée de l’avion avaient été potentiellement exposés au virus.
Deux jours après la publication de cet article, les mis en cause l’ont retiré et remplacé par un rectificatif dans lequel ils s’excusent et reconnaissent que les données du site gouvernemental avaient été mal interprétées :
« Samedi dernier, l’Agence QMI a publié un texte dans lequel il était affirmé que deux vols d’Air Transat en provenance de Port-au-Prince à destination de Montréal la semaine précédente transportaient des passagers déclarés positifs à la COVID-19 dans toutes les rangées.
Or, cette affirmation s’est avérée inexacte, car elle était basée sur une interprétation erronée des données publiques de Transports Canada qui indiquaient “toutes rangées” dans sa section “Vols internationaux avec cas COVID-19 confirmés”.
Nous avons retiré le texte peu après sa publication lorsque nous avons été informés que “toutes rangées” ne voulait pas dire que des passagers positifs à la COVID-19 se trouvaient dans chaque rangée, mais bien que les passagers de chaque rangée de ces deux vols ont pu être exposés au virus. Notons que l’erreur a été reproduite de manière identique par d’autres médias à travers le pays, et que la grande majorité ont corrigé le tir par la suite.
Toutes nos excuses. »
En publiant ce rectificatif, les mis en cause ont respecté l’article 27.1 du Guide sur la correction des erreurs.
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
2.1 Sièges vides
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause omettent de l’information essentielle à la compréhension du sujet concernant le nombre de sièges libres dans l’avion.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Fernando Belton déplore que l’article ne mentionne pas le « fait qu’il y avait une centaine de bancs vides dans l’avion ».
Le plaignant ne soumet pas de preuve appuyant son affirmation et n’explique pas en quoi, si elle était avérée, cette information était essentielle à la compréhension du sujet. Or, comme l’indique la décision antérieure D2020-07-093, pour déterminer s’il y a eu incomplétude, il faut démontrer que l’information souhaitée était essentielle à la compréhension du sujet. Dans ce dossier, tout comme dans le cas présent, le Conseil a rejeté le grief parce que le plaignant n’avait pas démontré de quelle façon l’information aurait changé la compréhension du sujet.
Par ailleurs, bien que le passage suivant de l’article n’indique ni le nombre de passagers à bord de ces vols ni le nombre de sièges vides, on y précise qu’en raison des mesures sanitaires, les vols n’étaient peut-être pas au maximum de sa capacité :
« Au total, l’avion pouvait donc transporter entre 332 et 345 passagers. Cependant, en raison des restrictions sanitaires, il est possible que la densité de ces vols ait été moindre. »
Le site du gouvernement du Canada mentionné au grief précédent ne précisait pas le nombre de passagers à bord des vols répertoriés.
2.2 Nombre de cas
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause omettent de l’information essentielle à la compréhension du sujet concernant le nombre de personnes infectées.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Fernando Belton déplore que l’information soit incomplète puisque « nulle part, il ne fait mention du nombre de personnes infectées ».
Bien que le plaignant aurait souhaité que l’article mentionne le nombre de cas confirmés de COVID-19 à bord de ces vols, cette information n’était pas indiquée sur le site Internet du gouvernement du Canada sur lequel se base l’article mis en cause et le plaignant n’apporte pas la preuve que cette information était disponible au moment de la rédaction de l’article.
Dans un cas semblable (la décision D2019-09-128), où il n’avait pas la preuve que l’information était disponible au moment de la rédaction de l’article, le Conseil a rejeté le grief d’information incomplète. Il a souligné que l’information que le plaignant aurait souhaité voir dans l’article n’était pas disponible au moment de la rédaction de l’article et qu’« on n’aurait donc pas pu exiger de la journaliste de faire état du lien entre les maladies pulmonaires et l’acétate de vitamine E puisque ce lien n’avait pas été établi de manière officielle au moment de la publication de l’article visé par la plainte. »
De la même façon, dans le cas présent, en l’absence de preuve concernant la disponibilité de l’information souhaitée, on ne saurait reprocher aux mis en cause de ne pas en avoir fait état dans l’article.
2.3 Autres vols problématiques
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause omettent de l’information essentielle à la compréhension du sujet concernant la présence de cas de COVID-19 à bord d’autres vols internationaux.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information incomplète sur ce point.
Analyse
Annie Vendredi et Fernando Belton déplorent que l’article évoque la présence de cas de COVID-19 uniquement sur deux vols entre Port-au-Prince et Montréal. Mme Vendredi indique que des articles du Devoir, de La Presse et de Radio-Canada ont permis de « constater qu’il y a eu plusieurs vols problématiques provenant de divers pays, dont le Mexique, Cuba, la France et même les États-Unis ». De son côté, M. Belton déplore que « cet article ne fa[sse] aucune mention des centaines de vols venant des destinations du Sud dans la même période. »
Plusieurs décisions antérieures du Conseil, notamment les décisions D2018-07-078 et D2016-07-013, rappellent que la déontologie « n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur ». Les informations souhaitées par les plaignants n’étant pas essentielles dans le contexte de l’angle choisi par les journalistes, ces deux décisions ont rejeté les griefs d’information incomplète.
Dans le cas présent, l’article s’attarde à ces deux vols en provenance d’Haïti. Les données concernant les rangées touchées se démarquent des autres vols, comme l’explique d’emblée ce passage de l’article :
« Deux avions d’Air Transat, qui faisaient la liaison entre Port-au-Prince et Montréal, étaient infestés de cas de COVID-19. Dans toutes les rangées, au moins un passager a été déclaré positif.
Il s’agit des deux seuls cas du genre depuis que le Canada a commencé à publier ces données, le 2 janvier. »
De plus, comme le rappelle l’article, les voyageurs en provenance d’Haïti sont à ce moment exemptés de l’obligation de présenter un résultat négatif à un test de COVID-19, une mesure entrée en vigueur 10 jours plus tôt. Le Canada a permis cette exception « en raison de la difficulté à y passer un test », lit-on dans l’article.
L’Agence QMI ayant choisi de traiter uniquement de ces deux vols en provenance d’Haïti, un choix éditorial qui lui revient, les informations concernant d’autres vols en provenance de l’étranger n’étaient pas essentielles à la compréhension du sujet de l’article en question.
Grief 3 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
3.1 « Bourrés »
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause déforment la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements en utilisant le terme « bourrés » dans le titre : « Deux vols en provenance d’Haïti bourrés de cas de COVID ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Analyse
Annie Vendredi déplore l’utilisation du terme « bourrés […] pour dépeindre la situation ».
L’étude de ce grief doit se faire en considérant qu’au moment d’écrire le titre, les mis en cause croyaient que l’information « toutes rangées » signifiait qu’il y avait des cas positifs de COVID-19 dans chacune des rangées de ces deux vols. Avant qu’ils ne constatent que cette information était erronée et qu’ils publient un rectificatif, il n’était pas sensationnaliste d’utiliser le verbe « bourrer » à la forme passive. Le dictionnaire Larousse définit « être bourré » ainsi : « Être plein jusqu’à déborder, avoir quelque chose en abondance » et lui donne comme synonymes « rempli » et « bondé ». Par conséquent, si le média croyait à ce moment que la COVID-19 était présente dans toutes les rangées de l’avion, comme il était écrit dans l’article initial, le terme « bourré », pouvait décrire un avion où la maladie était présente partout, sans faire preuve de sensationnalisme. Le choix des mots relève de la liberté éditoriale du média, comme le Conseil l’a souligné à plusieurs reprises, dont dans la décision D2020-03-043.
Le fait qu’une information puisse être inexacte sans être sensationnaliste est expliqué dans la décision antérieure D2020-06-085. Dans cette décision, le Conseil a fait valoir que « bien que l’emploi du terme “meurtre” soit inexact, il ne démontre pas d’interprétation abusive de la part des mis en cause […] Il s’agit d’une erreur de traduction au sein d’un article pondéré au sujet de l’homicide d’un homme noir par un policier blanc dans le contexte du mouvement “Black Lives Matter”. » De la même façon, dans le cas présent, l’information est inexacte, mais il n’y a pas d’exagération abusive puisque le titre se rattache à un article rapportant la présence de cas confirmés de COVID-19 dans chacune des rangées de ces deux avions.
De plus, comme le rappelle la décision antérieure D2018-01-004, il est « important de distinguer un titre accrocheur d’un titre sensationnaliste, en termes de déontologie journalistique.
Un titre rédigé pour attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits. Le sensationnalisme implique une exagération abusive ou une interprétation qui ne représente pas la réalité. » Dans le présent dossier, le titre visé par la plaignante attire certainement l’attention des lecteurs, mais il ne déforme pas la réalité présentée dans l’article.
Une fois que le média a constaté que « toutes rangées » signifiait que les passagers avaient pu être en contact avec une personne atteinte de la COVID-19, et non pas que des passagers étaient atteints de la COVID-19 dans toutes les rangées, le terme « bourré » n’était plus du tout approprié et il ne figure d’ailleurs pas dans le rectificatif.
3.2 « Infestés »
Le Conseil doit déterminer si le média déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements en utilisant le terme « infestés » dans la phrase suivante : « Deux avions d’Air Transat qui faisaient la liaison entre Port-au-Prince et Montréal étaient infestés de cas de COVID-19 ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme sur ce point.
Analyse
Annie Vendredi déplore l’utilisation du terme « infestés pour dépeindre la situation ». Elle observe que « tout au long de la pandémie, il y a toujours été question d’éclosion et non d’infestation. Il y a plusieurs mots qu’un vrai journaliste, chargé de rapporter les faits, aurait pu utiliser pour décrire la situation, [comme] ‘‘contaminer’’, ‘‘infecter’’ ».
Tout comme au sous-grief précédent, l’utilisation du verbe « infester » doit être analysée en fonction de ce que les mis en cause croyaient exact au moment de la rédaction de l’article. Ainsi, si le virus avait effectivement été présent dans toutes les rangées de ces deux vols, il n’aurait pas été sensationnalisme d’écrire que ces avions « étaient infestés de cas de COVID-19 ».
Bien qu’un autre terme aurait pu être plus juste et précis, l’utilisation quelque peu bancale d’« infesté » ne va pas jusqu’à représenter une faute déontologique de sensationnalisme. Le dictionnaire Larousse donne notamment la définition suivante pour le verbe « infester » : « ravager un lieu ». Le même dictionnaire propose le verbe « envahir » comme un synonyme.
Utilisé dans le sens d’envahir, le verbe « infester » n’exagère pas ni n’interprète abusivement la portée réelle des faits puisque l’interprétation des données pouvait laisser croire que le virus avait envahi ces vols si des cas positifs se trouvaient dans toutes les rangées de ces avions.
Grief 4 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le terme « infestation » attise la haine à l’endroit de la communauté haïtienne dans le passage suivant : « Deux avions d’Air Transat qui faisaient la liaison entre Port-au-Prince et Montréal étaient infestés de cas de COVID-19. Dans toutes les rangées, au moins un passager a été déclaré positif ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de discrimination.
Analyse
Fernando Belton juge que le terme « infestation » est « discriminatoire et xénophobe à l’égard de la communauté haïtienne » et qu’il attise la haine. Selon lui, « l’utilisation même de ce terme a comme conséquence de comparer les Haïtiens à des souris, des rats. C’est hautement dégradant. » Il note que le terme « éclosion » est « toujours utilisé […] pour parler du virus ». Il conclut que « l’impression qui en ressort est que les Haïtiens sont ceux qui viennent répandre la COVID-19 au Québec. Dans un contexte social déjà exacerbé, le but de cet article est d’attiser la haine de la population québécoise envers une communauté. »
De son côté, Annie Vendredi déplore qu’« une fois de plus, les Haïtiens deviennent le bouc émissaire des médias québécois, plus particulièrement du JDM [Le Journal de Montréal], pour expliquer la hausse des cas de COVID, alors que de nombreux voyageurs provenant de la France, des États-Unis, du Mexique, etc… ont été recensés. Or, le JDM ne fait mention nulle part de ces voyageurs, exacerbant ainsi le mépris, la haine de la population contre les Haïtiens. »
Cependant, malgré ce qu’ont perçu les plaignants, il n’est pas question d’Haïtiens dans l’article. Il est plutôt question de vols en provenance d’Haïti. L’article ne fait pas mention de la nationalité des personnes à bord des avions. Les passagers pouvaient être de toutes origines et les vols pouvaient tout aussi bien transporter des personnes qui étaient en visite ou en affectation en Haïti. À la lecture de l’article, nous ne savons pas qui était à bord. Or, pour qu’un grief de discrimination soit traité, il faut que des personnes ou des groupes soient directement visés, sur la base d’un motif discriminatoire. Comme l’article parle de « vols » en provenance de Port-au-Prince et de « voyageurs » sans référence à leur origine, et jamais d’Haïtiens, on ne saurait y voir de la discrimination envers les Haïtiens.
La décision antérieure D2020-07-103 explique la façon dont doit se faire l’analyse d’une allégation de discrimination : « Dans un contexte de déontologie journalistique, des allégations de propos discriminatoires incitant à la haine s’analysent sous deux angles : des personnes ou un groupe sont-ils visés en particulier, sur la base d’un motif discriminatoire? Si oui, quels sont les représentations ou les termes employés qui suscitent ou attisent la haine et le mépris? » Dans cette décision antérieure, le Conseil a constaté que « le chroniqueur donne son point de vue sur une décision politique – redonner le statut de mosquée à l’ex-basilique Sainte-Sophie – qu’il qualifie de nature religieuse. Il associe cette décision à l’islam en tant que religion ou concept, sans viser ses croyants ou ses adeptes, les musulmans ». Le Conseil a rejeté le grief de discrimination en faisant valoir que « le chroniqueur ne cible donc pas les musulmans de manière discriminatoire […] Il donne son opinion au sujet d’un geste politique qu’il analyse à travers le prisme de la religion dans une perspective historique. »
Pareillement, dans le cas présent, le passage « Deux avions d’Air Transat qui faisaient la liaison entre Port-au-Prince et Montréal étaient infestés de cas de COVID-19 » ne cible pas un groupe de personnes. Contrairement à ce que les plaignants font valoir, le participe passé « infestés » fait référence non pas à la communauté haïtienne, mais aux deux vols d’Air Transat et à la présence du virus. Dans l’article, on indique que ces vols revenaient d’Haïti (« Deux vols en provenance d’Haïti », « Deux avions d’Air Transat, qui faisaient la liaison entre Port-au-Prince et Montréal… », « Les personnes revenant d’Haïti… »), mais on ne vise pas les Haïtiens.
Par ailleurs, comme l’indique le lexique du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, le verbe « infester » n’est pas nécessairement lié à un animal ou un parasite : « Abonder (dans un endroit) de façon à incommoder […] La vallée de l’Oise est infestée d’usines, de fabriques et d’installations allemandes (L. Daudet, Av.-guerre,1913, p. 237). »
Dans le passage visé par les plaignants, le verbe « infester » décrit la situation épidémiologique de ces deux vols en provenance d’Haïti et ne fait pas référence à la communauté haïtienne.
Grief 5 : absence de rétractation
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué au principe déontologique concernant la correction des erreurs en ce qui a trait à ce que la plaignante qualifie d’« usage inapproprié de certains mots ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’absence de rétractation.
Analyse
Annie Vendredi vise le rectificatif publié pour corriger l’information inexacte concernant la signification de l’expression « toutes rangées ». Elle déplore qu’on n’y fasse pas « référence à l’usage inapproprié de certains mots ».
En retirant l’article, les mis en cause ont du même coup retiré les termes visés par les griefs de sensationnalisme et de discrimination puisqu’ils n’étaient plus appropriés dans le contexte où l’expression « toutes rangées » était correctement comprise et expliquée.
Grief non traité : demande d’excuses
Dans sa plainte, Fernando Belton demandait que Le Journal de Montréal présente des excuses. Ce grief n’a pas été traité puisque le rôle du Conseil de presse se limite à déterminer si les journalistes et les médias ont commis des fautes déontologiques, il n’impose pas la façon dont un manquement, s’il y en avait un, doit être corrigé. Précisons cependant que le Journal de Montréal a retiré l’article en cause et présenté des excuses.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal et de TVA Nouvelles qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Fernando Belton, Marcus Delisle et Annie Vendredi visant l’article « Deux vols en provenance d’Haïti bourrés de cas de COVID-19 » rédigé par l’agence QMI et publié par Le Journal de Montréal et sur le site Internet de TVA Nouvelles, concernant le grief d’information inexacte. Le manquement déontologique ayant été réparé avec diligence, comme le recommande l’article 27.1 du Guide, le Conseil absout les mis en cause, qui ne reçoivent pas de blâme. Les griefs d’informations incomplètes, de sensationnalisme, de discrimination, d’absence de rétractation et de demande d’excuse sont rejetés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau