C’est la première fois que le Conseil de presse se voit soumettre semblable requête. Jusqu’à maintenant son comité des cas qui constitue en quelque sorte le tribunal d’honneur du Conseil, a été appelé à juger du bien-fondé de plaintes soumises à son attention par le public, les médias ou les journalistes. Jamais le Conseil n’avait été invité à procéder à une évaluation de l’ensemble des informations présentées au public dans un dossier donné, dossier aussi complexe par ailleurs que celui d’Alliance Québec et de l’incendie de ses locaux, qui occupe la scène de l’actualité depuis déjà la fin de décembre.
Le Conseil de presse reconnaît dans la démarche de la FPJQ à son endroit l’importance qu’elle lui accorde à titre de protecteur et promoteur de la qualité comme de la liberté de l’information et lui en sait gré.
Malheureusement, le Conseil ne dispose ni des ressources financières et humaines ni des pouvoirs légaux nécessaires à la poursuite d’une enquête dont l’envergure serait considérable.
Il ne s’agirait pas, dans cette enquête, de se limiter uniquement à la presse écrite, il faudrait également y englober toute la presse électronique qui a été des plus actives dans ce dossier. Le seul travail de recueillir ce matériel journalistique électronique serait démesuré et peut-être irréalisable.
De plus, une enquête menée par le Conseil de presse serait soumise à la seule bonne volonté des journalistes et des médias concernés qui n’auraient aucune obligation de venir témoigner devant les membres de notre commission d’enquête. Le Conseil ne dispose évidemment d’aucun pouvoir judiciaire ou quasi judiciaire de contrainte lui permettant de forcer qui que ce soit à témoigner, sous serment, devant lui. Son enquête risquerait ainsi d’être incomplète et partant non crédible.
Ajoutons que le Conseil préconise depuis longtemps un statut d’immunité relative pour le journaliste, soustrayant ses sources à toute enquête ou procès, à moins qu’elles ne constituent la seule preuve disponible à l’acquittement ou à la condamnation d’un accusé. Comment le Conseil pourrait-il renier pareille position et se mettre à enquêter lui-même sur le bien-fondé ou non des sources journalistiques qui ont alimenté médias et journalistes dans cette affaire. Le Conseil de presse considère également qu’il ne serait pas opportun d’intervenir à ce stade-ci, dans un processus journalistique et social qui n’a pas encore connu son aboutissement.
Par ailleurs, le principal intéressé dans l’affaire, monsieur Orr, a décidé de poursuivre devant les tribunaux certains médias et journalistes qui auront à y défendre le traitement de l’information qu’ils ont faite sur monsieur Orr lui-même, en portant atteinte gravement, selon lui, à sa réputation.
Le Conseil de presse se trouve ainsi astreint au respect du sub judice qui intervient dans ce cas et se voit interdire toute intervention qui pourrait être considérée comme outrage au tribunal en l’occurrence. Dans un récent jugement par son comité des cas, le Conseil statuait qu’il ne pouvait se saisir d’une plainte ayant un lien direct avec un procès judiciaire en cours. La règle vaut encore davantage, s’il s’agit d’une demande d’enquête qui lui est soumise et dont tous les éléments risquent d’être également portés à l’attention du tribunal.
Cependant, le Conseil de presse juge qu’il n’est pas empêché par là de se prononcer sur les grands principes qu’implique le traitement de l’information dans des dossiers où interviennent à la fois le droit à la réputation des personnes et le droit d’informer et d’être informé.
Dans un PREMIER temps, le Conseil déclare donc ce qui suit :
1. Dans l’intérêt du respect des droits fondamentaux de la personne à la dignité et à la réputation, le Conseil estime que les médias et les journalistes doivent se garder de révéler l’identité ou de laisser deviner l’identité d’une personne contre laquelle aucune accusation formelle n’a été portée à l’occasion d’une enquête spécifique.
Voilà pour le respect du droit à la réputation des personnes.
Dans un DEUXIÈME temps, le Conseil croit de son devoir d’ajouter :
2. Toutefois, il est du devoir des médias et des journalistes de diffuser toute information importante qu’ils détiennent même si celle-ci est potentiellement dommageable à la réputation de quelqu’un à la condition que cette information soit véridique et d’un intérêt public certain.
Voilà pour le droit d’informer et d’être informé.
Dans l’affaire qui nous occupe, il est du ressort des tribunaux de déterminer si d’une part, l’information détenue par les journalistes et les médias était véridique, valable et documentée et si d’autre part, l’intérêt public en commandait la diffusion au point que la sauvegarde d’une réputation ne devait pas y faire obstacle.