Une publicitaire, voyeurisme et équilibre des points de vue

On retrouve parmi celles-ci un cas tout à fait inédit : celui de la plainte déposée contre la direction des quotidiens de Gesca pour avoir enveloppé certaines éditions de leurs quotidiens de « unes » ou de « jaquettes » publicitaires. Ce cas a soulevé plusieurs questions tout à fait fondamentales. Le droit du public à l’information impose-t-il que l’information occupe une place prépondérante en une? Si oui, où doit-on tracer la ligne entre une utilisation légitime et une utilisation abusive de l’espace publicitaire? Quel genre de précautions doit prendre un éditeur lorsqu’il utilise, à des fins publicitaires, un espace normalement réservé à de l’information?

La une publicitaire : une prérogative de l’éditeur qui doit être jugée par le public

D2010-08-015 : M. Baptiste Ricard-Châtelain, président du Syndicat de la rédaction du Soleil et al. c. les quotidiens de Gesca

À la suite de la publication d’une publicité occupant la presque totalité de la une du quotidien Le Soleil, dans les éditions du 26 juillet et du 16 août 2010, M. Baptiste Ricard-Châtelain, président du syndicat de la rédaction, reprochait au quotidien d’avoir fait fi de l’étanchéité de la rédaction, d’avoir berné les lecteurs et d’avoir porté atteinte à la réputation et à la crédibilité des employés de l’information du journal. Gesca, pour sa part, avançait que dans le cas présent, on ne peut parler de véritable une, et préfère plutôt l’expression « jaquette », définie comme une enveloppe extérieure du quotidien.

Le Conseil, quant à lui, estime qu’il importe peu de déterminer si la page contestée est une véritable « une » formée essentiellement d’une publicité, ou plutôt d’une « jaquette publicitaire » chapeautée par un segment journalistique. Un fait demeure : la première page – ce que tous considèrent être la une d’un journal – est occupée, pour l’essentiel, par une publicité. Or, selon le Conseil, cette question relève de la politique commerciale de l’éditeur, et c’est bien davantage au public qu’au Conseil de juger si le désagrément qui peut en découler doit être sanctionné.

Force est de remarquer également que l’éditeur a respecté ses obligations en distinguant clairement le contenu publicitaire du contenu journalistique. Il n’y avait donc pas matière à confusion entre les deux.

Le Conseil a donc rejeté la plainte du Syndicat de la rédaction du Soleil contre la direction du quotidien, et cette décision est valable pour tous les autres plaignants dans ce dossier.

Une diffusion qui s’apparente du voyeurisme

D2010-10-031 : Mme Geneviève Morand c. M. Andrew McIntosh, journaliste; Mme Kina Adamczyk, journaliste; M. Pierre Tremblay, rédacteur en chef; L’Agence QMI; M. Patrick White, rédacteur en chef; Le portail Internet Canöe; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction; Le Journal de Montréal; M. Éric Cliche, directeur de l’information; Le Journal de Québec

Dans cette affaire, Mme Geneviève Morand a porté plainte contre M. Andrew McIntosh et Mme Kina Adamczyk, tous deux journalistes à l’Agence QMI, relativement à un article paru dans Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, le 7 septembre 2010 et sur le site Canöe. Elle leur reproche d’avoir diffusé, sans son consentement, des extraits des moments les plus critiques de sa conversation avec le 911 de l’État américain, dans l’attente de secours pour lui sauver la vie, elle et son conjoint. Selon elle, « c’est notre détresse profonde vécue alors que nous combattions la mort qui est étalée au grand public. »

Dans sa décision, le Conseil juge qu’il n’y avait pas d’intérêt public à publier ni à diffuser, a fortiori sans consentement, ces extraits de conversation puisqu’il n’y avait pas lieu de démontrer de faute ni de la part du personnel du 911, ni de la part des Rangers venus porter secours à Mme Morand. La diffusion de ces extraits visaient plutôt à satisfaire une curiosité qui, dans les circonstances, était déplacée. Le Conseil a donc retenu la plainte de Mme Morand pour atteinte à la vie privée, a reproché au mis en cause son manque de collaboration et l’a intimé de retirer immédiatement l’article et les enregistrements audio qui font l’objet de la plainte de ses différents sites Internet.

De l’importance de traiter les sujets controversés de manière équilibrée

D2010-11-044 : M. Pierre-Alain Cotnoir c. M. Joël Le Bigot, animateur; Mme Claudette Desjardins, réalisatrice; M. James Selfe, directeur des communications; L’émission « Samedi et rien d’autre »; La Première Chaîne de Radio-Canada

Dans cette affaire, M. Pierre-Alain Cotnoir a porté plainte contre M. Joël Le Bigot, animateur de l’émission « Samedi et rien d’autre » à la radio de Radio-Canada, pour information inexacte, manque d’objectivité et partialité lors de l’entrevue avec un commerçant de l’avenue Mont-Royal, diffusée le 27 novembre dernier. M. Cotnoir s’offusque de ce que l’entrevue avec le commerçant véhiculait des faussetés criantes concernant la nouvelle politique de stationnement de l’arrondissement. Après vérifications, le Conseil conclut que des informations inexactes se sont effectivement introduites durant l’entrevue contestée.

M. Cotnoir reprochait en outre à l’animateur d’avoir offert un traitement déséquilibré, acquiesçant à toutes les critiques que formulait son invité à l’endroit du maire Luc Ferrandez. Selon les observations de l’ombudsman de Radio-Canada, la programmation radiophonique dans son ensemble avait présenté un traitement équilibré du sujet jusqu’à la diffusion de l’émission contestée. Le Conseil considère donc que M. Le Bigot est venu rompre cet équilibre en n’exposant pas d’autre point de vue que celui de son invité.

Le troisième grief de M. Cotnoir, pour partialité, a quant à lui été rejeté. S’il est vrai que les remarques de M. Le Bigot étaient souvent caricaturales, voire irrévérencieuses, il n’en demeure pas moins que le style de journalisme qu’il pratique – à savoir, du journalisme d’opinion – lui permet cette latitude.

La plainte de M. Cotnoir est donc partiellement retenue.

Le ton polémique : un droit des chroniqueurs

D2010-10-036 : M. Ahmed Zitouni c. M. Richard Martineau, journaliste; M. Serge Labrosse, directeur général de la rédaction; Le quotidien Le Journal de Montréal

Cette plainte, déposée par M. Ahmed Zitouni, visait le journaliste, Richard Martineau, du Journal de Montréal, relativement à un article paru le 13 octobre 2010 intitulé, « C’est une exception… ». M. Zitouni estimait que les propos du mis-en-cause étaient racistes et discriminatoires envers l’islam.

Dans sa chronique, M. Martineau relate une série de douze crimes commis ici, en Europe et aux États-Unis, par des proches de jeunes femmes musulmanes que l’on considère avoir désobéi à la loi ou aux traditions musulmanes. En conclusion, le journaliste écrit : « je ne dirais pas que l’islam est la religion la plus dangereuse au monde… Mais on ne peut pas se mettre la tête dans le sable et affirmer qu’il n’y a AUCUN problème avec l’islam ».

Le Conseil a vérifié la véracité de chacun des incidents cités, et conclut que les informations factuelles sont fidèles à la réalité. En ce qui concerne la conclusion du chroniqueur, le Conseil juge qu’elle s’inscrit à l’intérieur des limites prescrites par le genre pratiqué par l’auteur, qui permet une grande latitude, et estime qu’on ne peut assimiler ces propos à des formes de racisme ou de discrimination.

Le Conseil de presse rejette donc la plainte de M. Ahmed Zitouni, mais, pour son manque de collaboration, blâme Le Journal de Montréal.

Sources fiables, opinion mesurée : dans le plein respect des règles de l’art

D2010-10-038 : M. Victor Levant c. M. François Cardinal, journaliste; M. Mario Girard, directeur de l’information; Le quotidien La Presse

Dans un éditorial portant sur le décès d’un poupon à la suite d’une attaque par un chien Husky, le plaignant reproche au journaliste, François Cardinal, de n’avoir cité qu’une seule source concernant la dangerosité des chiens Husky, l’association américaine des victimes de chiens, DogsBite, un organisme qu’il estime peu fiable. Il considère que les propos du journaliste sont tendancieux et irresponsables.

Après vérification, le Conseil a trouvé plusieurs sources d’information sérieuses et crédibles qui allaient dans le même sens que les études présentées par DogsBite, et a même remarqué que certaines des références envoyées au Conseil par le plaignant se retrouvaient également le site web de DogsBite. Le grief à l’endroit de la fiabilité des sources est donc rejeté.

Après analyse, le Conseil estime également que l’opinion qu’exprime le journaliste s’inscrit très clairement à l’intérieur des limites permises par le genre pratiqué par l’auteur, soit l’éditorial.

La plainte de M. Levant est donc rejetée.

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Le texte intégral des décisions ainsi qu’un résumé des arguments des parties en cause peuvent être consultés dans la section « Les décisions rendues par le Conseil ».

Ces décisions sont toutes susceptibles d’être portées en appel dans les 30 jours de leur réception par les parties.

Le Conseil rappelle que « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. » (Règlement No 3, article 8.2)

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SOURCE :   
Julien Acosta, directeur des communications
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818

RENSEIGNEMENTS :  
Guy Amyot, secrétaire général 
Conseil de presse du Québec
Tél. : (514) 529-2818