Le premier de quatre débats des chefs de la campagne électorale 2012 a été diffusé sur les ondes de Radio-Canada et de Télé-Québec, dimanche soir (19 août). Pour une rare fois au cours des dernières années, l’exercice a reçu de nombreuses critiques favorables, tandis que le premier face-à-face au réseau TVA a quant à lui reçu un accueil plus mitigé. Au-delà de la forme retenue, que nous apprennent les débats des chefs? Nous aident-ils vraiment à éclairer notre vote?
Emmanuelle Latraverse, journaliste politique à la SRC, croit que oui. Celle qui coanimait le débat des chefs de dimanche, diffusé à Radio-Canada et Télé-Québec, estime que les gens « ont eu un bon éventail des propositions des 4 candidats ». « On avait deux objectifs en préparant le débat. On voulait d’abord forcer les participants à prendre position sur le développement de l’économie, la gouvernance, les enjeux sociaux et la question de l’identité. On voulait aussi les amener à expliquer leur position. Notre deuxième objectif était de forcer les politiciens à rendre des comptes. Tout le monde propose la vertu. Tout le monde se présente comme les garants de l’intégrité en politique. C’est bien. Mais comment allez-vous vous assurer que ça fonctionne votre proposition? » Pour Emmanuelle Latraverse, un téléspectateur attentif pouvait se faire une idée assez juste des positions des différents candidats au cours des deux heures du débat. « Il faut comprendre que le débat des chefs, c’est leur débat, pas celui des journalistes. Nous, on prépare des questions qui nous semblent préoccuper les citoyens, et c’est aux politiciens d’expliquer comment ils répondront aux attentes des électeurs. Le plan de François Legault de doter chaque Québécois d’un médecin de famille dans la première année de son mandant est-il crédible, par exemple? Ou encore, celui de Pauline Marois d’arriver au même résultat, mais dans un délai de 4 ans plutôt que d’une année est-il plus réaliste? Je crois que le débat a permis d’éclairer les électeurs sur de nombreuses questions. »
Journaliste affectée à la couverture des médias au quotidien La Presse, Nathalie Collard estime pour sa part que les débats, bien que critiqués, restent utiles. « Pour plusieurs électeurs, les débats permettent de mieux connaître la personnalité des chefs, leur attitude. Mine de rien, il y a beaucoup d’information qui ressort de ça. Ces affrontements nous en disent plus long qu’on ne l’imagine. Nous, comme journalistes qui côtoient les politiciens régulièrement, on croit que tout le monde les connaît. Ce n’est pas le cas. Ce n’est pas pour rien qu’autant de gens suivent les débats à la télé. 1,6 million de téléspectateurs ont écouté le débat de dimanche soir [à Radio-Canada et Télé-Québec]. Pour un dimanche soir d’été, je trouve que c’est beaucoup. »
Un exercice critiqué
Il reste que les débats télévisés reçoivent un accueil variable. Si celui présenté par le consortium formé de Radio-Canada et Télé-Québec dimanche a reçu des critiques généralement favorables, le premier face-à-face entre Jean Charest et Pauline Marois présenté le lendemain a laissé bien des gens sur leur appétit. Sur son blogue au Journal de Montréal, Joanne Marcotte qualifie le duel entre Pauline Marois et Jean Charest d’insupportable. « Quel gâchis! Il faut être maladivement partisan pour y voir un quelconque gagnant dans le débat qui opposait hier [lundi], Jean Charest du Parti libéral du Québec à Pauline Marois du Parti québécois. Deux “adversaires de carrière”, oui, deux politiciens qui ont miné le climat politique depuis des décennies au Québec, deux chats de ruelle quoi. » Pour elle, « on n’a rien appris (…), mis à part que cette formule nous a permis d’être témoins de la haine viscérale qui anime ces deux politiciens de carrière qui ont de toute évidence fait leur temps. »
Mêmes réserves du côté du chroniqueur de La Presse, Vincent Marissal, qui avance dans sa chronique du 21 août que « ceux qui espéraient une répétition, ici, des duels très civilisés que les Français ont pu voir au cours de la présidentielle avec la formule adoptée par TVA seront sans doute déçus. Par moment, ce débat ressemblait plus à une discussion animée entre chums dans un camp de pêche après quelques bières. Pour le fond, on repassera. »
La chroniqueuse Chantal Hébert propose une variation sur le même thème dans son blogue à L’Actualité. « De cette heure peu constructive, j’ai retenu: a) L’extrême pauvreté de la conversation politique québécoise telle qu’elle a été animée par ses principaux protagonistes à l’Assemblée nationale au cours du dernier mandat. (…) b) La dette que l’on doit aux Françoise David/Amir Khadir, François Legault et Jean-Martin Aussant pour avoir mis fin au huis clos PLQ/PQ. En démocratie, un auditoire captif n’est pas la condition gagnante de sains débats de société. c) Le fait que malgré le succès boeuf de Jack Layton en 2011 et celui de Françoise David dimanche soir, les principaux chefs de parti du Québec semblent continuer de croire que parler plus fort que son adversaire est finalement préférable à parler mieux. »
Les citoyens de la twittosphère ne sont pas demeurés en reste. Les commentaires ont déferlé tout au long du débat de lundi, la plupart pour déplorer le manque de contenu et l’absence de modération qui aurait permis un débat plus intelligible. Voici, parmi d’autres, le tweet de l’humoriste et animateur Dany Turcotte : « Le duel Charest-Marois, insupportable! Une chicane cacophonique d’un vieux couple sans plus aucun amour!» Puis cet autre de Geneviève Lavoie : « Avec ce qu’on a vu hier [lundi] entre Marois/Charest, on ne peut blâmer les jeunes de ne pas s’intéresser à la politique. C’était gênant! »
Quant à elle, Vicky Fagasso y est allée d’une analyse plus étoffée sur son blogue : « C’était censé être un débat différent, un duel entre deux chefs qui se regardent droit dans les yeux. C’était différent. Mais c’était pénible, sans contenu et ponctué d’attaques. Le gagnant? Je ne sais pas encore… Charest semble avoir marqué le plus de points, mais Marois est restée calme. Le perdant? Nous tous. »
La meilleure formule ?
L’absence de contenu est une critique récurrente des débats télévisés. Pour de nombreux observateurs, l’exercice se résume trop souvent à du crêpage de chignons qui offre de bons spectacles, certes, mais où la qualité de l’information sort perdante. La démocratie est-elle bien servie dans ce genre d’exercice? Pour favoriser le jeu démocratique, les grands réseaux de télévision devraient-ils s’entendre sur une formule qui forcerait les candidats à s’éloigner des formules toutes faites, des lignes de communication écrites par leurs stratèges et des attaques faciles? Par exemple, en réalisant des entrevues de fond, menées par un interviewer aguerri, qui permettrait de dévoiler autant la personne derrière le politicien que ce qu’il a à offrir? « Ce genre d’entrevue existe déjà », rappelle Emmanuelle Latraverse. « Nous, aux Coulisses du pouvoir, on fait des entrevues avec chacun des chefs et avec d’autres candidats. Céline Galipeau fait la même chose au Téléjournal. » Nathalie Collard ajoute que « les débats télévisés font partie de l’offre globale d’information disponible en campagne électorale. Les médias font des efforts considérables actuellement pour diversifier l’offre d’information. Nous, à La Presse par exemple, on a organisé des débats [qui sortaient du plan de campagne des partis]. On a tenu des débats avec les candidats médecins, avec les jeunes. Anne-Marie Dussault, à 24/60 à RDI, fait la même chose. La démocratie est servie par une offre globale d’information dans laquelle les électeurs pigent. »
Selon la professeure à l’École de politiques appliquées de l’Université de Sherbrooke, Isabelle Lacroix, « les électeurs perdraient beaucoup s’il n’y avait pas de débat télévisé. » Selon elle, « c’est une occasion pour les électeurs de comparer les chefs avec un filtre minimal. Le débat de dimanche est un bel exemple. Personne, après avoir regardé ce débat, ne peut affirmer que ces quatre politiciens sont du pareil au même. C’est impossible. (…) Beaucoup d’information émerge généralement de ces débats. Ça a été le cas dimanche, mais pas nécessairement le cas du face-à-face Charest-Marois de lundi sur TVA. Mais je ne crois pas que ce soit en raison de la formule, qui me semble intéressante. Est-ce que c’est parce que ce sont deux vieux politiciens qui se détestent? Les débats de mardi et mercredi nous le diront peut-être. Mais si ce face-à-face ne nous a pas appris grand-chose sur le fond, il reste que sur l’attitude, nous en avons appris beaucoup. » Parce qu’un débat télévisé c’est aussi ça, estime la professeure. C’est une façon d’en savoir plus sur « la capacité d’un leader de supporter la pression, de réagir à l’adversité. » Les électeurs, soutient Mme Lacroix, ne déterminent pas leur choix uniquement à partir du programme d’un parti. L’attitude du chef compte aussi pour beaucoup. « Est-ce qu’il est combatif? Est-ce qu’il est capable de se relever après avoir reçu un coup ou est-ce qu’il s’écrase? Est-ce qu’il écoute ses adversaires? S’il ne les écoute pas, écoutera-t-il ses collègues une fois au pouvoir. Cette information est importante pour les électeurs. Je pense que le débat, c’est le moment le plus authentique d’une campagne électorale, celui où le comportement des chefs se rapproche le plus de ce qu’ils sont dans la vie. »
Un regard même rapide de l’actualité permet de constater que les médias abattent un travail considérable pour informer les électeurs en campagne électorale. « C’est certain que les citoyens ont aussi leur part de travail à faire », précise toutefois Emmanuelle Latraverse. « Nous, on fouille pour mettre de l’information à la disposition des citoyens. L’électeur a le devoir d’aller plus loin. » Aller plus loin, c’est entre autres aller au-delà du débat télévisé pour éclairer son vote. Car peut-être qu’au final, comme le soulevait le professeur de journalisme à l’Université d’Ottawa, Marc-François Bernier, lors d’une entrevue récente : « un débat télévisé, c’est avant tout un show de télé où informer le public n’est pas nécessairement la priorité des diffuseurs. »