Plaignant
Mme Diane Matte
Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES)
Mis en cause
Mme Mélodie Nelson, journaliste
Le site Internet Vice Québec
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
CONTEXTE
Mélodie Nelson écrit un article qui traite des liens entre une église évangéliste et le projet d’aide aux victimes d’exploitation sexuelle d’un organisme de bienfaisance, La Sortie, subventionné par le gouvernement fédéral. La journaliste aborde en détail la position de La Sortie vis-à-vis de la prostitution et rapporte les critiques relatives à son projet. Dans un paragraphe de son article, elle remet aussi en question la proximité entre certains groupes religieux et le mouvement féministe abolitionniste, dont la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) se revendique.
RÉSUMÉ DE LA PLAINTE
Le 21 novembre 2017, Mme Diane Matte dépose une plainte devant le Conseil de presse du Québec, au nom de la CLES, contre la journaliste Mélodie Nelson et le site Internet Vice Québec. Elle vise l’article intitulé « Le Canada finance une campagne religieuse contre la prostitution », publié le 6 octobre 2017. La plaignante reproche de l’information inexacte, un manque de rigueur de raisonnement, du sensationnalisme, un manque d’équité, de l’incitation au mépris et de l’entretien des préjugés ainsi qu’un refus d’apporter un correctif et/ou d’accorder un droit de réplique.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme d’opinion – « Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. » (article 10.2 (1) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir d’exactitude dans le passage suivant de l’article : « La pensée anti-travailleuses du sexe s’inscrit dans une logique de sacralisation de la sexualité ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte.
Analyse
La plaignante reproche aux mis en cause de laisser entendre que la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) défend la « sacralisation de la sexualité ». Or, « nulle ne défend à la CLES » cette idée, affirme-t-elle.
Le Conseil de presse analyse cette plainte sous l’angle du journalisme d’opinion.
Le Conseil constate que le passage en cause est situé dans un paragraphe au sein duquel la journaliste développe son point de vue concernant les liens entre des groupes féministes abolitionnistes comme la CLES et des mouvements religieux.
Dans une décision antérieure (D2010-01-053), le Conseil a établi que le jugement de valeur « implique une évaluation et une appréciation subjective » alors que « le jugement de faits implique ou vise une observation neutre et objective ». « Le journalisme d’information (contrairement au journalisme d’opinion) rapporte les faits sans porter de jugement de valeur », a précisé le Conseil.
Dans un contexte de journalisme d’opinion, le Conseil estime que le passage en cause dans le cas présent ne constitue pas une inexactitude de fait, mais relève du jugement de valeur.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. ». (article 9 b du Guide)
2.1 « Pensée anti-travailleuse du sexe »
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué de rigueur de raisonnement en associant la CLES à une « pensée anti-travailleuse du sexe ».
Décision
Le Conseil retient le grief de manque de rigueur de raisonnement sur ce point.
Analyse
Mme Matte considère que la journaliste en cause « mélange ici sa propre position politique et la réalité : s’opposer à l’idée que la prostitution soit un travail ne rend pas “anti-travailleuse du sexe” loin de là. Nous travaillons en solidarité et en collaboration avec les femmes qui sont dans l’industrie du sexe ou qui en sont sorties, peu importe comment on les appelle. »
Dans une décision antérieure (D2016-05-145), le Conseil a blâmé une chroniqueuse en vertu de l’article 9 b du Guide, car son raisonnement se fondait « sur deux énoncés dont elle ne démontre jamais la véracité, ce qui mène conséquemment à une conclusion tout à fait fallacieuse. » En l’occurrence, le Conseil estime qu’associer la CLES à une « pensée anti-travailleuse du sexe » n’est pas soutenu par les faits.
Contrairement à ce qu’avancent les mis en cause dans le cas présent, le Conseil estime que l’amalgame n’est pas banal. Le Conseil considère qu’il y a une nuance importante entre s’opposer à la prostitution et s’opposer aux prostituées, car on peut être contre une activité, sans être contre les personnes qui la pratiquent. Le Conseil juge donc que la journaliste a manqué de rigueur de raisonnement en concluant faussement que la CLES avait une pensée “anti-travailleuse du sexe”.
2.2 Alliance avec des instances religieuses
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué de rigueur de raisonnement en affirmant que les groupes comme la CLES « s’allient souvent à des instances religieuses ».
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement sur ce point, car il juge que le passage en cause rapporte un fait.
Analyse
Mme Matte affirme que la CLES « est radicalement non religieuse » et qu’elle « ne s’associe jamais à quelque position ou action à vocation religieuse. » Elle estime donc que la journaliste n’a pas fait preuve d’un raisonnement rigoureux en affirmant que la CLES s’allie souvent à des instances religieuses.
Comme le relève le rédacteur en chef de Vice Québec, Philippe Gohier, le Conseil constate que la CLES compte des organismes religieux parmi ses membres et qu’elle a mené des actions, organisé des événements, ou cosigné des études et des déclarations publiques avec un groupe qui se décrit comme un regroupement « des communautés religieuses catholiques féminines du Québec ».
Le Conseil observe également que, dans un mémoire présenté à la Ville de Montréal, la CLES se décrivait comme un regroupement composé, entre autres, de « représentantes et représentants d’organisations féministes, communautaires et religieuses » et que plusieurs groupes religieux mettent de l’avant leurs liens avec la CLES.
Le Conseil estime que le verbe « s’allier » décrit de manière appropriée le fait que la CLES participe à des campagnes concertées avec des groupes religieux. Le Conseil souligne par ailleurs que ce verbe ne signifie pas que la CLES est un organisme religieux.
Grief 3 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme – « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent ». (article 14.1 du Guide)
3.1 « Se faire aller colliers de perles et chapelets »
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont fait preuve de sensationnalisme en employant, au sujet de la CLES, l’expression « se faire aller colliers de perles et chapelets ».
Décision
Le Conseil de presse juge que cette expression ne déforme pas la réalité et rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
Mme Matte considère que cette expression est sensationnaliste pour « parler d’un organisme ouvertement anticapitaliste et non religieux ».
Soulignant que le journalisme d’opinion accorde une grande liberté dans le style et le ton, le Conseil estime que l’expression en cause représente une figure de style inventée par la journaliste et que cette dernière est cohérente dans son écriture et n’exagère pas les faits.
Dans la décision D2017-06-085, le Conseil a rejeté un grief pour titre imprudent, car il a jugé que la figure de style qu’il contenait, « basée sur l’expression biblique “qui vit par le glaive périra par le glaive”, reflétait l’opinion du chroniqueur au sujet de la démission de M. Têtu, le sujet de l’article. »
Par ailleurs, le Conseil souligne, comme il a maintes fois statué, notamment dans la décision D2017-03-051, « qu’il n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. Les médias et les journalistes doivent cependant peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. »
Similairement, dans le cas présent, le Conseil estime que la figure de style utilisée reflétait l’opinion de la journaliste et qu’elle ne déformait pas, par ailleurs, les faits de façon abusive.
3.2 « Sauvetage de personnes à qui on nie toute autonomie »
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont fait preuve de sensationnalisme en décrivant l’action de la CLES comme le « sauvetage de personnes à qui on nie toute autonomie ».
Décision
Le Conseil de presse juge que les mis en cause n’ont pas interprété abusivement la portée réelle des faits qu’ils rapportent et rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
Mme Matte considère que ce propos est sensationnaliste quand il s’agit de « parler d’un organisme qui ne fait aucun “outreach” et compte parmi ses travailleuses, ses administratrices, ses militantes et ses alliées de nombreuses survivantes de la prostitution et groupes de survivantes ».
Comme le fait valoir M. Gohier, le Conseil estime que le passage en cause constitue une critique de la « déclaration de la CLES » selon laquelle « la prostitution n’est pas un travail, encore moins une liberté ou un droit de disposer de son corps, mais qu’elle est une aliénation et un rapport de pouvoir. » Pour le Conseil, il s’agit d’une interprétation que fait la journaliste, que l’on ne peut qualifier d’abusive.
Le Conseil constate qu’on peut être d’accord ou pas avec l’affirmation de Mme Nelson, mais il n’en demeure pas moins que le passage en cause est mesuré et cohérent avec l’angle d’analyse choisi par la journaliste ainsi que l’opinion qu’elle défend.
Grief 4 : manque d’équité
Principe déontologique applicable
Équité – « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction ». (article 17 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste ou le média ont manqué d’équité à l’endroit des féministes abolitionnistes de la CLES.
Décision
Le Conseil de presse juge que les mis en cause ont respecté le principe d’équité et rejette le grief de manque d’équité.
Analyse
Sans citer de passage précis, la plaignante considère que l’article en cause « manque cruellement d’équité à l’égard des féministes abolitionnistes de la CLES ».
Le Conseil note que la critique ne constitue pas un manquement professionnel quand elle s’appuie sur des faits établis.
Bien que la critique puisse être perçue comme sévère, la journaliste a le droit d’émettre son opinion et n’a pas manqué d’équité à l’endroit des membres de la CLES.
Le Conseil rappelle que le principe déontologique énoncé à l’article 17 de son Guide vise les personnes qui font l’objet d’une information ou avec qui les journalistes ont interagi.
Par exemple, dans la décision D2017-01-003, le manque d’équité est caractérisé par la mise en péril de la sûreté ou de la sécurité des personnes visées. Le Conseil a retenu un grief de manque d’équité contre une journaliste qui avait réalisé un reportage en caméra cachée sur la sécurité dans les résidences étudiantes. Le Conseil « souligne qu’au moment où la journaliste réalise son reportage, il y avait un contexte sensible puisque des agressions avaient eu lieu dans les résidences d’un autre établissement universitaire. Il considère que la mise en cause aurait dû, une fois sa démarche clandestine complétée, révéler qu’elle était journaliste dans les moments qui suivaient afin de rassurer les résidents. En ne le faisant pas, elle a inutilement mis des jeunes en stress psychologique, créant une commotion chez certains d’entre eux qui ont cru que des intrus circulaient dans l’immeuble. »
Dans le cas présent, une critique d’un groupe dans le cadre d’un reportage d’opinion ne saurait représenter un manque d’équité, dans la mesure où le journaliste d’opinion peut critiquer, même vertement, les personnes qui font l’objet de son texte.
Grief 5 : incitation au mépris et entretien des préjugés
Principe déontologique applicable
Discrimination – « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si, en affirmant que dans des organisations féministes comme la CLES « les travailleuses du sexe sont représentées comme des brebis égarées écervelées ou des femmes brainwashées au patriarcat et droguées au dissolvant à vernis à ongles », les mis en cause ont, sur la base d’un motif discriminatoire, suscité ou attisé le mépris ou entretenu les préjugés à l’endroit de la CLES et de ses membres.
Décision
Le Conseil de presse juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 17 du Guide et rejette à l’unanimité le grief d’incitation au mépris et entretien des préjugés.
Analyse
Mme Matte affirme que le passage en cause est « sans fondement » et qu’il « ne semble avoir aucune autre raison d’être que d’attiser le mépris et maintenir les préjugés à l’égard des féministes abolitionnistes. »
Le Conseil considère que le passage en question vise les travailleuses du sexe, et non pas la CLES et ses membres. Même si la critique peut paraître acerbe aux yeux de certains, le Conseil constate une nouvelle fois que la journaliste exprime son opinion, sans faire de discrimination et sans entretenir de préjugés envers la CLES et ses membres.
Grief 6 : refus d’apporter un correctif et/ou d’accorder un droit de réplique
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs – « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont corrigé avec diligence leurs manquements et erreurs, s’il y a eu lieu, en rectifiant leur texte, en se rétractant ou en accordant un droit de réplique à la plaignante.
Décision
Le Conseil de presse juge que les mis en cause n’ont pas corrigé avec diligence leur manquement et retient le grief de refus d’apporter un correctif et/ou d’accorder un droit de réplique.
Analyse
À la suite de la publication de l’article en cause, Mme Matte indique avoir envoyé une lettre au rédacteur en chef de Vice Québec, Philippe Gohier, pour lui demander « un erratum ou à tout le moins un droit de réplique ainsi que des explications ».
Le Conseil constate que le mis en cause a été informé par la plaignante qu’elle jugeait que la journaliste faisait un amalgame en associant la CLES à une « pensée anti-travailleuse du sexe ». Le Conseil relève que le mis en cause a lui-même reconnu cet amalgame en estimant qu’il n’était « certainement pas injurieux ni incendiaire », mais « somme toute, assez banal, de la même manière que le serait une affirmation que les campagnes antitabac sont anti-fumeurs. »
Étant donné que le Conseil a retenu le grief de manque de rigueur de raisonnement sur ce point, il estime que le mis en cause aurait dû apporter un correctif.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Mme Diane Matte contre la journaliste Mélanie Nelson et le site Internet Vice Québec en ce qui concerne les griefs de manque de rigueur de raisonnement – sur le premier des deux points soulevés par la plaignante – et de refus d’apporter un correctif et/ou d’accorder un droit de réplique. Le Conseil blâme les mis en cause, car si le journaliste d’opinion a une grande liberté, il ne peut se servir de cette liberté pour aboutir à une conclusion fallacieuse.
Le Conseil rejette en revanche cette plainte pour les griefs d’information inexacte, de sensationnalisme, de manque d’équité, d’incitation au mépris et d’entretien des préjugés.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que « lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Michel Loyer
Président du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Mme Ericka Alnéus
M. Michel Loyer
Mme Renée Lamontagne
M. Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
M. Simon Chabot
M. Martin Francoeur
Représentants des entreprises de presse :
M. Pierre-Paul Noreau
Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
16 January 2019
Appelant
Mélodie Nelson, journaliste
Le site Internet Vice Québec
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
Mélodie Nelson a écrit un article qui traite des liens entre une église évangéliste et le projet d’aide aux victimes d’exploitation sexuelle d’un organisme de bienfaisance, La Sortie, subventionné par le gouvernement fédéral. La journaliste y aborde en détail la position de La Sortie vis-à-vis de la prostitution et rapporte les critiques relatives à son projet. Dans un paragraphe de son article, elle remet aussi en question la proximité entre certains groupes religieux et le mouvement féministe abolitionniste, dont la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle (CLES) se revendique.En première instance, le Conseil de presse du Québec a retenu la plainte de Diane Matte contre la journaliste Mélanie Nelson et le site Internet Vice Québec relativement à l’un des deux griefs de manque de rigueur de raisonnement et au refus d’apporter un correctif et/ou d’accorder un droit de réplique. Le Conseil – qui a blâmé les mis en cause – a toutefois rejeté les griefs d’information inexacte, de sensationnalisme, de manque d’équité, d’incitation au mépris et d’entretien des préjugés.
MOTIFS DES APPELANTS
Les appelants contestent la décision de première instance relativement au grief de manque de rigueur de raisonnement.
Grief 1 : manque de rigueur de raisonnement
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement ». (Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, article 9)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si les appelants apportent des éléments qui démontrent que la première instance a mal appliqué le principe déontologique relié au manque de rigueur de raisonnement.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 b) du Guide n’a pas été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel infirme la décision de première instance.
Analyse
Les appelants estiment que « la décision sur laquelle se base le conseil (D2016-05-145) pour appuyer son jugement ne s’apparente pas du tout au grief de rigueur de raisonnement contre Mélodie Nelson ».
Ils avancent également que « le rapprochement entre la pensée anti-travail du sexe et celle anti-travailleuse du sexe que dénonce Mme Nelson dans son texte d’opinion est détaillé dans le paragraphe précédant celui qui fait l’objet de la plainte formulée par la CLES ».
Mélodie Nelson ne présente pas une opinion comme une vérité, mais avance un raisonnement qui est étayé par des faits, constate la commission d’appel.
La première instance s’est appuyée sur une décision antérieure du Conseil qui ne pouvait pas s’appliquer dans le cas présent, tranche la commission d’appel. Dans la décision D2016-05-145, le Conseil avait constaté que la chroniqueuse Denise Bombardier n’avançait aucune source pour conclure fallacieusement que « à part son public composé à 90% de jeunes Maghrébins antisémites auxquels s’agglutinent des faunes de tous les extrêmes, aucun être humain digne de ce nom ne peut être attiré par Dieudonné ». Or, dans le cas présent, la commission constate que la manière dont est construit l’article de Vice amène à sa conclusion. La phrase en cause ne peut être analysée seule, car elle se comprend en la situant dans son contexte.
Bien que certains puissent voir un manque de rigueur de raisonnement dans le fait d’associer la CLES à une « pensée anti-travailleuse du sexe », la commission note qu’il s’agit là de l’opinion de la journaliste qui a consulté d’autres experts dans le domaine pour appuyer sa thèse et rapporte des faits et des citations. La commission estime que l’on ne peut y voir un amalgame.
Le paragraphe précédent le passage contesté détaille et explicite ce dernier, souligne la commission. On peut y lire : « Pour La Sortie, toutes les femmes dans l’industrie du sexe sont des victimes, car “même lorsqu’il y a consentement, il est obtenu par la tromperie, l’enlèvement ou en profitant d’une situation de vulnérabilité”. Les femmes y sont décrites comme “condamnées et valorisées uniquement pour le sexe”, “traumatisées” et comme ayant un style de vie qui “entraîne des problèmes de dépendance, de santé mentale, d’itinérance, d’endettement et de toutes sortes de dysfonctionnement”. Le style de vie en question n’est pas décrit : il fait peut-être référence au fait que les travailleuses du sexe utilisent leur vagin pour payer leur loyer et les cahiers à colorier de leurs enfants. »
Étant donné que la commission d’appel infirme la décision de première instance relativement au grief de manque de rigueur de raisonnement, elle infirme de facto la décision concernant le refus d’apporter un correctif et/ou d’accorder un droit de réplique, puisqu’il n’a plus lieu d’être, et retire le blâme imposé en première instance.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité d’infirmer la décision rendue en première instance relativement au grief de manque de rigueur de raisonnement.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales.
Jacques Gauthier
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier
Représentant des journalistes :
Vincent Larouche
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette