Plaignant
Martin Bédard
Mis en cause
Mario Dumont, chroniqueur
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
Martin Bédard dépose une plainte le 20 février 2019 contre Mario Dumont et Le Journal de Montréal concernant la chronique « Les tabous de l’environnement », publiée le même jour. Le plaignant dénonce de l’information incomplète et de la partialité.
CONTEXTE
Dans sa chronique, Mario Dumont avance que « les bonnes nouvelles en matière d’environnement ne sont pas celles qu’on diffuse en priorité » parce que « certains médias ont endossé la cause des changements climatiques comme des militants » qui « se placent dans la posture de héros appelés à réveiller une population de cruches qui ne comprennent rien ».
Il base son propos sur une étude de la NASA publiée dans Nature Sustainability et intitulée « China and India lead in greening of the world through land-use management » (La Chine et l’Inde dominent le verdissement mondial grâce à la gestion de l’utilisation des terres), qui n’a, selon lui, pas obtenu une couverture médiatique suffisante. Le chroniqueur rapporte un des constats de cette étude indiquant que « les superficies vertes se sont accrues de 5 % » sur terre au cours des 20 dernières années.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEF DU PLAIGNANT
Grief 1 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
Le Conseil doit déterminer si le chroniqueur a manqué à son devoir de complétude.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information incomplète, car il juge que le chroniqueur a contrevenu à l’article 9 e) du Guide.
Analyse
Le plaignant déplore que Mario Dumont réfère à « une étude de la NASA expliquant que la terre tend se reverdir » en ne citant « qu’une partie de l’étude, celle qui contribue à entretenir la vision des négationnistes de la crise climatique ».
Le Conseil constate que le chroniqueur n’a utilisé que les extraits de l’étude qui permettaient d’appuyer son propos. Bien que Mario Dumont ait mentionné que l’agriculture, qui contribue au verdissement, a des effets « très positif[s] ou moins positif[s] selon les méthodes culturales utilisées », le Conseil estime que sa chronique demeure incomplète, car le texte de la NASA indiquait aussi que ce gain en verdissement n’était pas suffisant pour compenser les pertes dans les régions tropicales, ce qui nuance de façon importante le sujet et change sa compréhension :
- « […] the researchers point out that the gain in greenness seen around the world and dominated by India and China does not offset the damage from loss of natural vegetation in tropical regions, such as Brazil and Indonesia. The consequences for sustainability and biodiversity in those ecosystems remain » (les chercheurs soulignent que le gain de verdure observé dans le monde et dominé par l’Inde et la Chine ne compense pas les dommages causés par la perte de végétation naturelle dans les régions tropicales, comme le Brésil et l’Indonésie. Les conséquences pour la durabilité et la biodiversité de ces écosystèmes demeurent) »;
- « China’s outsized contribution to the global greening trend comes in large part (42%) from programs to conserve and expand forests. These were developed in an effort to reduce the effects of soil erosion, air pollution and climate change. Another 32% there – and 82% of the greening seen in India – comes from intensive cultivation of food crops (La contribution démesurée de la Chine à la tendance mondiale au verdissement provient en grande partie (42%) de programmes de conservation et d’expansion des forêts. Ceux-ci ont été développés dans le but de réduire les effets de l’érosion des sols, de la pollution de l’air et du changement climatique. Une autre part de 32% – et 82% du verdissement observé en Inde – provient de la culture intensive de cultures vivrières) ».
De plus, le Conseil constate que le chroniqueur tente de révéler un biais « catastrophiste » dans le traitement journalistique de la cause environnementale, mais que pour ce faire, il omet de rapporter deux conclusions qui montrent que les journalistes ont bien couvert la nouvelle.
Dans une décision antérieure qui visait aussi une incomplétude dans une chronique, le dossier D2017-05-078, le Conseil a retenu le grief contre une chroniqueuse qui avait écrit que des chercheurs en climatologie avaient été accusés d’avoir exagéré des données sur l’ampleur du réchauffement climatique. Or, les chercheurs en question avaient été blanchis de cette accusation. Le Conseil a jugé que la chroniqueuse avait « omis une information importante et significative pour la compréhension des faits » et que cette omission « a eu un impact sur les conclusions tirées par la journaliste et constitue une erreur d’incomplétude, car il était essentiel à la compréhension du sujet ». De la même façon, dans le cas présent, l’omission d’une partie de l’étude citée a un impact sur la compréhension du sujet.
Le Conseil rappelle que le journaliste d’opinion n’est pas exempt du devoir de complétude et qu’il ne doit pas omettre des éléments essentiels à la compréhension de son sujet.
Grief non traité : partialité
Le plaignant considère que le chroniqueur fait preuve de partialité dans son traitement de l’information. Le Conseil n’a pas traité ce grief puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de cette obligation déontologique, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient à la majorité (4/6 membres) la plainte de Martin Bédard contre Mario Dumont et Le Journal de Montréal concernant le grief d’information incomplète. Le grief de partialité n’a pas été traité puisque le journaliste d’opinion n’est pas soumis au principe d’impartialité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Luc Grenier
Renée Lamontagne
Richard Nardozza
Représentante des journalistes :
Maxime Bertrand
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Nicole Tardif