Plaignant
Ghislaine Gendron
Mis en cause
Vincent Larouche, journaliste
La Presse
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
Ghislaine Gendron dépose une plainte le 6 août 2019 contre le journaliste Vincent Larouche, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant l’article intitulé « Comment “Erratic” s’y est prise pour pirater Capital One », publié le 6 août 2019. La plaignante reproche de l’information inexacte.
CONTEXTE
En s’appuyant sur des documents judiciaires, le journaliste Vincent Larouche relate dans l’article en cause comment la pirate Paige A. Thompson est parvenue à s’introduire dans les serveurs informatiques de la banque américaine Capital One afin d’y subtiliser les données personnelles de ses clients.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause rapportent une information inexacte en écrivant « la femme » dans le passage suivant : « La femme aurait ainsi réussi à accéder à des demandes de carte de crédit où les demandeurs inscrivaient leurs informations personnelles, notamment leur numéro d’assurance sociale. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Ghislaine Gendron reproche à Vincent Larouche de présenter Paige A. Thompson comme une femme alors que cette dernière est une « transfemme ». Selon la plaignante, « le fait de redéfinir le mot “femme” et lui assigner une autre signification contrevient aux normes journalistiques et induit le public en erreur. Clairement, la signification prêtée au mot “femme”, dans cet article, fait référence au genre, c’est-à-dire aux stéréotypes sociaux associés à la façon dont certaines femmes se présentent (…) Ces fausses informations (on prétend que ce sont des femmes, et non des transfemmes qui sont accusées de ces crimes) ajoutent de la confusion à la perception de la violence et de la criminalité associées statistiquement au sexe des individus. Ce choix de la rédaction “invisibilise” (involontairement) la violence masculine », estime-t-elle.
Toutefois, le Conseil observe que le journaliste réfère à des documents officiels du département de la Justice des États-Unis dans lesquels Paige A. Thompson est identifiée à l’aide des pronoms personnels « she » and « her » et de l’adjectif possessif « her ». Il pouvait donc légitimement présenter cette personne comme une femme et utiliser le féminin pour la caractériser.
Le Conseil constate par ailleurs que Paige A. Thompson utilise un prénom féminin et que cette personne se présente dans la sphère publique comme une femme, ainsi qu’en témoignent des articles de presse (publiés avant le présent article) qui lui ont été consacrés. Vincent Larouche n’a donc commis aucune erreur en présentant Paige A. Thompson comme « la suspecte », « la femme », une « ingénieure » ou encore « la pirate ».
Enfin, le Conseil estime que pour la compréhension du crime dont Paige A. Thompson est accusée, il n’était pas nécessaire de préciser que celle-ci est une femme trans, contrairement à ce qu’aurait souhaité la plaignante. Cette information était en effet superflue dans le cadre de cet article qui porte sur la manière dont la pirate informatique est parvenue à subtiliser des données à la banque Capital One.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Ghislaine Gendron contre le journaliste Vincent Larouche, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant le grief d’information inexacte.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentante des journalistes :
Noémi Mercier
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Jed Kahane
Date de l’appel
31 August 2021
Appelant
Ghislaine Gendron
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
En s’appuyant sur des documents judiciaires, le journaliste Vincent Larouche relate comment la pirate informatique Paige A. Thompson est parvenue à s’introduire dans les serveurs de la banque américaine Capital One afin d’y subtiliser les données personnelles de ses clients.
MOTIF DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement au grief d’information inexacte.
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information – « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelante apporte des éléments qui démontrent que le comité des plaintes, qui a rejeté le grief d’inexactitude de la plaignante, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelante déplore que « le journaliste et le Conseil de presse confondent les mots “genre” et “sexe”. Ce “glissement” est préoccupant dans le discours public des médias. L’identité de genre fait référence au “ressenti interne d’une personne” et appartient au discours et à l’idéologie queer; on y adhère ou pas, c’est un choix personnel. Le sexe par contre est l’ensemble des caractéristiques biologiques des mammifères. Les mots et les catégories “femmes” et “hommes” sont déterminés en fonction du sexe. Ce n’est pas le cas pour les expressions “transfemmes” ou “femmes trans” qui, elles, font référence au “ressenti” des personnes. »
L’appelante, Ghislaine Gendron, est d’avis que la personne qui est le sujet principal de l’article, Paige A. Thompson, ne peut pas être qualifiée de femme puisque qu’elle est une femme trans et que le comité des plaintes aurait donc dû juger inexacts les mots « la femme » « la pirate », « une ingénieure », ou encore « la suspecte » contenus dans l’article pour décrire cette personne.
Au moment du reportage, Paige A. Thompson avait été inculpée de fraude informatique devant la Cour de district à Seattle.Pour son reportage, Vincent Larouche s’est basé sur le jugement de la Cour, comme l’ont expliqué les mis en cause en première instance. Le comité des plaintes a jugé que le journaliste pouvait référer à Paige A. Thompson comme étant une femme, tout comme le faisait le juge dans les documents de la Cour.
Pour Mme Gendron, « le fait que les documents de la cour réfèrent à Paige A. Thompson avec le pronom “she” » ne justifie pas qu’un journaliste en déduise qu’il s’agit d’une femme. « Autrefois oui, c’était le cas. Plus maintenant. On peut le déplorer, mais c’est un fait que les conventions sociales sont en mutation. Le journaliste M. Vincent Larouche le sait certainement : de nouvelles “règles de politesse” sociales conviennent de l’utilisation du pronom souhaité par un individu concerné. » L’appelante ajoute que le fait que des documents de cour se conforment à ces règles de politesse ne fait pas de Paige A. Thompson une femme.
La commission d’appel rejette les arguments de l’appelante, car le comité des plaintes a bien appliqué le principe d’exactitude en affirmant que le journaliste pouvait s’appuyer sur le jugement d’un tribunal, qui constitue un document officiel, dans lequel les termes « she » et « her » étaient employés, pour l’écriture de son article. Ce faisant, le comité des plaintes a appliqué le principe d’exactitude conformément aux décisions antérieures telles que la D2018-04-033, qui affirme que le journaliste pouvait se fier à un document officiel de la Sécurité publique pour qualifier un groupe d’extrême droite. En se penchant également sur l’angle du sujet du reportage, qui relate comment la pirate informatique est parvenue à subtiliser des données à la banque Capital One et de quelle façon les autorités sont parvenues à la démasquer, le comité des plaintes s’est assuré que l’utilisation des termes cités plus haut ne nuisait pas à la bonne compréhension du sujet du reportage.
Qui peut être qualifié de femme constitue une question délicate, qui divise même les mouvements féministes. Ce débat de nature complexe n’est pas parvenu à ce jour à trouver un consensus sur les termes à privilégier. L’appelante présente un côté de ce débat, mais le rôle du Conseil de presse n’est pas d’imposer aux médias des termes à employer ou à proscrire en prenant position dans un débat social.
Le comité des plaintes a donc bien appliqué le principe d’exactitude en s’appuyant sur la liberté éditoriale fondamentale des médias, comme il l’a fait dans maintes décisions antérieures, telles que la D2017-03-051, qui rappelait que le Conseil « n’a pas à établir de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. Les médias et les journalistes doivent cependant peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. » La liberté éditoriale dont jouissent les médias, notamment au sujet du contenu et de la forme de ce qu’ils publient, est expliquée au préambule c) du Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier, président de la commission d’appel
Représentant des journalistes :
Jonathan Trudel
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette