Plaignant
Charles Apestéguy
Mis en cause
Hugo Joncas, journaliste
Le Journal de Montréal
Le Journal de Québec
TVA Nouvelles
Résumé de la plainte
Charles Apestéguy dépose une plainte le 22 novembre 2019 contre le journaliste Hugo Joncas, les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, TVA Nouvelles et le site Internet journaldemontreal.com concernant l’article intitulé « Un faux presbytère pour éviter les taxes », publié le 18 novembre 2019. Le plaignant reproche une atteinte à la vie privée, de l’intimidation et du harcèlement, ainsi que de la diffamation (non traitée).
CONTEXTE
Le journaliste Hugo Joncas rapporte que Charles-Eugène Apestéguy (le plaignant dans ce dossier), qui officie comme aumônier à la prison de Rivière-des-Prairies, à Montréal, a bénéficié d’exemptions de taxes municipales et scolaires de manière indue en déclarant sa maison située à McMasterville comme un presbytère. Dans cet article publié par Le Journal de Montréal, repris par Le Journal de Québec et TVA Nouvelles, le journaliste revient sur le parcours du prêtre.
Analyse
Grief 1 : atteinte à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. (Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, article 18)
Le Conseil doit déterminer si les médias en cause ont porté atteinte au droit à la vie privée du plaignant en publiant des photos de sa maison, dont une sur laquelle il apparaît.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte à la vie privée, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 18 du Guide.
Analyse
Charles Apestéguy affirme que les mis en cause ont « mis en danger (sa) personne en montrant (sa) photo, avec la photo de (son) habitation où on peut même voir l’adresse, en première page du Journal de Montréal et de Québec, sur le Web et à la télévision. Ainsi, il ne sera pas difficile pour un détenu de me retrouver à McMasterville pour demander de l’argent ou même me faire du chantage. Mes supérieurs de la prison sont très préoccupés pour moi », ajoute le plaignant en déplorant également que ces photos aient été prises à son insu.
Le Conseil constate que la maison de Charles Apestéguy est au cœur de l’article d’Hugo Joncas et considère que celui-ci traite d’un sujet d’intérêt public puisqu’il est question de l’exemption de taxes municipales dont M. Apesteguy a bénéficié pour ce « presbytère » qui n’en est pas un. Ce dernier reproche principalement aux mis en cause d’avoir révélé son adresse.
Précisons que le journaliste n’est pas visé par ce grief, les photographies choisies pour illustrer un article relevant de la responsabilité du média et non de celle du journaliste.
D’abord, l’adresse de cette maison comme le quartier où elle est située à McMasterville ne sont ni mentionnés dans le texte ni identifiables sur les photographies. Sur la photo publiée en Une du Journal de Montréal du 18 novembre 2019, on peut voir Charles Apestéguy qui se tient à une rampe d’escalier devant une maison qui n’est pas identifiable. Deux autres photographies sont publiées dans l’article en ligne sur le site Internet du Journal de Montréal. Sur la première (placée en en-tête de l’article), on voit Charles Apestéguy qui descend des escaliers devant une maison. Une personne dont le visage est flouté se trouve en haut des marches. Au premier plan figurent deux voitures. Sur la première, la plaque d’immatriculation a été floutée. Sur la deuxième, la plaque d’immatriculation n’est pas visible. La deuxième photographie est insérée dans le corps de l’article. On y voit la façade d’une maison (celle dont Charles Apestéguy descend les escaliers dans la photo à la Une du Journal de Montréal et en en-tête de l’article) dont le numéro d’adresse (836) est visible, sans qu’on sache le nom de la rue. Enfin, sur le site Internet de TVA Nouvelles, l’article de Hugo Joncas est illustré par la même photographie que celle en en-tête de l’article publié par le site Internet du Journal de Montréal. Elle est accompagnée de la légende suivante : « Le prêtre Charles-Eugène Apestéguy, photographié il y a quelques jours à la sortie de son cottage de McMasterville, en Montérégie, où il n’a pas payé de taxes depuis 2009. »
Dans un précédent dossier (D2017-06-086(2), où seuls les noms de la rue et de la municipalité étaient mentionnés dans l’article en cause, la commission d’appel a confirmé le rejet du grief d’atteinte à la vie privée et à la dignité en soulignant que le média n’avait pas publié l’adresse municipale de l’appelante et que les informations transmises « étaient nécessaires à la compréhension de l’article, puisqu’il s’agissait de la couverture d’une inondation, un évènement d’intérêt public, et que le lieu de l’inondation était une information importante ». Pareillement, dans le cas présent, l’adresse municipale de Charles Apestéguy n’a pas été publiée. La ville où réside ce dernier ainsi que la photo de la maison qui fait l’objet de l’article sont des informations qui aident à la compréhension d’un sujet d’intérêt public traité par le journaliste Hugo Joncas.
Au demeurant, le plaignant a lui-même présenté sa maison comme un presbytère afin de bénéficier d’une exemption de taxes municipales. Or, un presbytère est rattaché à un lieu de culte public. Le Conseil ne saurait donc voir une atteinte à la vie privée de M. Apesteguy concernant ce qu’il a lui-même qualifié de presbytère.
Dans sa réplique au Conseil, le journaliste Hugo Joncas ajoute, par ailleurs, que l’adresse de M. Apestéguy était de nature publique, car « n’importe qui peut facilement [la] trouver dans des registres publics ».
Dans ce cas, non seulement l’adresse de M. Apestéguy n’a pas été publiée, mais le fait de montrer cette maison – déclarée comme un presbytère à mauvais escient – était d’intérêt public. Dans une décision antérieure (D2015-08-016), le Conseil avait jugé que les mis en cause n’avaient pas attenté à la vie privée du plaignant en le filmant devant sa résidence. Le Conseil avait alors pris en considération le fait que le sujet du reportage était d’intérêt public et que les images avaient été tournées à partir d’un lieu public. » De la même manière, dans le cas présent, le sujet traité par Hugo Joncas était d’intérêt public les photographies visées par Charles Apestéguy ont été prises à partir d’un lieu public, à savoir la rue bordant la maison du plaignant.
Grief 2 : intimidation et harcèlement
Principe déontologique applicable
Chantage et intimidation : « Les journalistes et les médias d’information ne se livrent pas à du chantage, de l’intimidation ou du harcèlement envers leurs sources d’information. » (Guide, article 23)
2.1 Intimidé au téléphone
Le Conseil doit déterminer si Hugo Joncas a intimidé le plaignant lorsqu’il l’a interviewé par téléphone.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’intimidation, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 23 du Guide.
Analyse
Lorsque Charles Apestéguy a parlé au téléphone avec Hugo Joncas, le 4 novembre 2019 en après-midi, il prétend que le journaliste « a tout dit pour m’intimider, en évoquant les informations qu’il aurait eues d’une lettre anonyme, au sujet de ma corporation de McMasterville, insinuant que je n’avais pas été honnête pour l’obtention d’une exemption de taxes en 2009, comme organisme religieux à but non lucratif, comme si c’était tout à fait bidon, dans le but de frauder, ce qui est totalement faux, puisque cette demande avait été faite en toute transparence et légalité. » Pour sa part, Hugo Joncas conçoit que le plaignant « a dû trouver (ses) questions plutôt désagréables. Je ne sais pas si j’ai “insinué qu’il était malhonnête”; j’ai sans doute laissé entendre que l’exemption de taxes dont il bénéficiait sur sa maison de McMasterville semblait ne pas respecter la Loi sur la fiscalité municipale ».
De plus, le plaignant estime que lors de cet appel, le journaliste a été « plus que désagréable, c’était un bombardement de questions, dans le but de vouloir m’impressionner et me déstabiliser, qui n’avaient pratiquement rien à voir avec le sujet des taxes municipales. Je lui ai donc demandé si tout ça était dans le but simplement de m’attaquer personnellement ou dans le but d’avoir un dialogue au sujet de la fiscalité. »
Le journaliste Hugo Joncas affirme quant à lui qu’en parlant à M. Apestéguy « de sa cause de voie de fait, je n’ai pas voulu “l’impressionner”, mais bien lui donner la chance de commenter une information à son sujet que je comptais publier, comme l’exige notre métier. M. Apestéguy a bien obtenu une absolution conditionnelle, mais il a bel et bien été déclaré coupable de voie de fait, en l’occurrence sur un marguillier de la paroisse où il avait officié avant de devoir partir. »
Le Conseil constate que le plaignant n’apporte pas la preuve que le journaliste l’a intimidé lors de l’appel téléphonique en question. Or, le Conseil a maintes fois rappelé qu’« il revient au plaignant de faire la preuve des accusations qu’il formule », tel que mentionné dans la décision D2004-07-006. En l’absence de preuve apportée par le plaignant, le Conseil n’est donc pas en mesure de trancher l’inexactitude alléguée et rejette le grief.
En outre, l’article 9 alinéa e du Guide impose aux journalistes et aux médias de faire preuve d’équilibre dans le traitement d’un sujet en présentant « une juste pondération du point de vue des parties en présence ». Dans le cas présent, le Conseil estime qu’Hugo Joncas avait le devoir de contacter le plaignant pour obtenir sa version des faits sur un sujet remettant en question son honnêteté. Bien que ce dernier ait pu être déstabilisé par les questions du journaliste, celui-ci n’a fait que son travail et malgré la perception que M. Apestéguy en a eue, le Conseil ne saurait voir de l’intimidation dans le fait de poser des questions avec insistance.
2.2 Harcelé à domicile
Le Conseil doit déterminer si Hugo Joncas a harcelé le plaignant en se rendant à son domicile pour l’interviewer.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’intimidation, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 23 du Guide.
Analyse
Charles Apestéguy estime que le journaliste l’a harcelé : « Un soir, à mon retour du travail, il est apparu près de ma voiture dans le noir. J’ai paniqué me demandant sur le coup qui ça pouvait bien être. Avec une arrogance pitoyable, il m’a bombardé de questions. J’étais vraiment ébranlé et me suis précipité à l’intérieur de mon domicile. » Le Conseil constate cependant que le plaignant ne démontre pas que cette visite du journaliste à son domicile constitue du harcèlement.
Hugo Joncas confirme qu’il s’est présenté chez M. Apestéguy, « pour l’excellente raison que je devais faire mon travail en confirmant qu’il n’était pas mort, puisqu’après que je me fus entretenu avec lui au téléphone et qu’un photographe l’eût pris en photo, une image d’Apestéguy couché dans un cercueil s’est mise à circuler. Comme il ne répondait plus à mes appels, j’ai dû m’assurer qu’il était toujours vivant et lui demander comment il expliquait la circulation de cette photo. J’ai ajouté sa réponse à l’article : “C’est un montage” et “Mange de la marde”, une exhortation qui a atteint un niveau de grossièreté dont je ne me suis heureusement pas même approché lors de mes communications avec lui. » Le journaliste ajoute que « nous avons le devoir déontologique de nous assurer que la personne sur laquelle nous écrivons a eu toutes les chances de répondre à nos questions et, bien sûr, de nous assurer que la personne dont nous nous apprêtons à parler n’est pas morte. Pour éviter une visite à son domicile, M. Apestéguy n’avait qu’à répondre au téléphone. »
Le Conseil considère que dans le contexte, le journaliste n’a fait que son travail en se rendant au domicile du plaignant pour vérifier qu’il n’était pas décédé et pour tenter d’obtenir sa version des faits concernant cette photo le montrant allongé dans un cercueil.
Dans une décision antérieure (D2018-04-042), le Conseil avait rejeté un grief de manque d’équité en faisant valoir que « le fait que [la mise en cause] ait plusieurs fois tenté de joindre [la plaignante] pour obtenir sa version des faits ne constitue pas en soi du harcèlement. » Pareillement, dans le cas présent, le Conseil estime que le fait que le journaliste ait passé plusieurs appels au plaignant restés sans réponse et qu’il se soit ensuite déplacé à son domicile pour l’interroger sur une image le montrant dans un cercueil ne constitue pas du harcèlement. Au contraire, Hugo Joncas n’a fait que son devoir en tentant d’obtenir la version du principal intéressé dans cette affaire, souligne le Conseil.
Grief non traité : diffamation
Charles Apestéguy reproche à Hugo Joncas d’avoir « mis en cause (sa) bonne foi auprès du public, utilisant des histoires simplement dans le but de démolir sa crédibilité (…) Je suis désolé, mais ça, ce n’est pas du journalisme professionnel ça, mais bien du lynchage médiatique et de l’acharnement dans le but de porter atteinte à la réputation d’une personne qui a droit de travailler et de vivre en paix. »
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation, et plus largement la diffamation, ne sont pas du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire, comme le précise l’article 13.03 du Règlement No 2.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Charles Apestéguy contre le journaliste Hugo Joncas, les quotidiens Le Journal de Montréal et Le Journal de Québec, TVA Nouvelles et le site Internet journaldemontreal.com concernant les griefs d’atteinte à la vie privée, d’intimidation et de harcèlement.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost